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"C'est un choix sociétal risqué": l'inquiétude des médecins face au calendrier des réouvertures

L'inquiètude des soignants est palpable, devant les annonces de déconfinement progressif qui va s'amorcer à partir de la mi-mai. Selon eux, cette décision intervient de manière trop précoce, alors que les indicateurs peinent encore à décroître.

Le monde médical ne cache pas son exaspération, ce jeudi, à la découverte du calendrier de réouvertures présenté par Emmanuel Macron. Le chef de l'État vise une réouverture des terrasses, des commerces et des lieux culturels dès le 19 mai. Les cafés, restaurants et salles de sport rouvriront quant à eux en intérieur le 9 juin, avant une suppression du couvre-feu le 30 juin.

Si les restaurateurs et le monde de la culture se réjouissent déjà de ces perspectives, les médecins et scientifiques, eux, jugent que cela intervient trop tôt "par rapport à une logique scientifique". Cet agenda est "écarté de la réalité scientifique" et "on a l'impression d'avoir perdu une bataille d’écoute”, a déclaré le professeur Gilles Pialoux sur RTL, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon.

"Je ne vois pas par quel miracle ça va se stabiliser"

"Peut-être que ça va se stabiliser, mais je ne vois pas par quel miracle", a-t-il poursuivi, redoutant que la couverture vaccinale ne soit pas suffisante pour protéger la population au moment où tous les lieux publics rouvriront.

"C'est de nouveau un pari politique (...) On est quand même dans une situation sanitaire qui n'est absolument pas satisfaisante", s'étonne aussi sur BFMTV Karine Lacombe, infectiologue et cheffe du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine à Paris. "On est un des seuls pays du monde à abroger les mesures de freinage alors qu'on est dans une situation sanitaire parmi les moins satisfaisantes d'Europe".

"Les indicateurs restent extrêmement élevés"

"C'est un choix sociétal risqué, que l'on paye au prix fort puisqu'on accepte tous les jours on certain nombre de morts", considère aussi Agnès Ricard-Hibon, directrice du Samu du Val-d'Oise et ancienne présidente de la SFMU (société française de médecine d'urgence) sur notre plateau. "Notre engagement c'est d'éviter les morts évitables, c'est de faire en sorte que tout patient qui a des chances de survie puisse avoir accès à la réanimation".

Or "aujourd'hui mon Samu a mis plus d'une heure à essayer de trouver un lit de réanimation pour un patient. Donc on est déjà à saturation des lits de réanimation". La directrice du Samu explique que même si le nombre d'entrées en réa décroît très légèrement ces derniers jours, le changement n'est pas perceptible pour les équipes médicales qui doivent reprogrammer des patients non-Covid.

Bien-sûr qu'"on est inquiets" face à ces annonces, confirme Julien Carvelli, réanimateur aux urgences de l'hôpital de la Timone à Marseille sur BFMTV. "Certes on a peut-être vu le pic épidémique passer, mais les indicateurs restent extrêmement élevés. (...) La situation à la Timone est sous tension: on a plus de 90 patients Covid dans nos réanimations, plus de 200 patients hospitalisés dans les unités conventionnelles".

Des mesures de freinage actionnables en cas de dégradation

"À date du 19 mai, le taux de contamination devrait être autour de 15.000 nouvelles contaminations par jour en France, ce qui est quand même trois fois plus que le seuil que nous avions retenu pour pouvoir appliquer une politique de dépister/tracer/isoler", rappelle le professeur Bruno Megarbane sur BFMTV.

Même si, pour le chef du service de réanimation à l'hôpital Lariboisière à Paris (AP-HP), le choix gouvernemental semble "raisonnable" dans le sens où les indicateurs baissent certes lentement, mais ils suivent une courbe descendante et devraient être accompagnés par une couverture vaccinale croissante.

Lors de son entretien à la presse régionale, Emmanuel Macron a précisé que des mesures de "freins d'urgence" seraient actionnables en cas de dégradation de la situation sanitaire et si le virus circule à nouveau trop fortement. Elles permettront de bloquer des réouvertures prévues dans le cadre du déconfinement.

À ce jour, huit départements ont encore un taux d'incidence supérieur à 400 cas pour 100.000 habitants: à savoir la Seine-Saint-Denis, le Val-d'Oise, le Val-de-Marne, les Bouches-du-Rhône, l'Essonne, la Seine-et-Marne, l'Oise et Paris.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV