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"Un tripatouillage légal": la macronie veut empêcher le débat sur l'abrogation de la retraite à 64 ans

Frank Riester, Aurore Bergé, Stéphane Séjourné, Élisabeth Borne, Yaël Braun-Pivet, Fadila Khattabi, Roland Lescure et Olivier Dussopt le 15 avril 2023

Frank Riester, Aurore Bergé, Stéphane Séjourné, Élisabeth Borne, Yaël Braun-Pivet, Fadila Khattabi, Roland Lescure et Olivier Dussopt le 15 avril 2023 - Thomas SAMSON / AFP

La proposition de loi du groupe Liot sur l'abrogation de la réforme des retraites donne des sueurs froides à la majorité présidentielle. Les députés Renaissance cherchent la solution pour éviter qu'elle arrive dans l'hémicycle, sans réponse miracle pour l'instant.

"Ce texte n'arrivera jamais dans l'hémicycle. J'en suis certain". Cette affirmation dans la bouche d'un député proche d'Aurore Bergé résume à elle seule la détermination de la macronie à éviter tout débat sur la proposition de loi pour abroger la réforme des retraites prévue le 8 juin prochain dans l'hémicycle. Mais les manœuvres s'avèrent bien plus compliquées que prévu.

Défendue par le groupe Liot qui compte d'anciens macronistes, des centristes et des ex-socialistes, ce texte qui vise à rétablir la retraite à 62 ans a, sur le papier, toutes les chances d'être adoptée par l'Assemblée nationale.

"Faire monter la pression sur les épaules de Macron"

Si son avenir politique au Sénat semble, à ce stade, très incertain et son application concrète quasi-impossible, un vote en sa faveur aurait tout d'une déflagration politique pour le camp présidentiel. D'autant plus que la réforme des retraites n'a pas été votée dans l'hémicycle ni en première lecture ni en seconde lecture.

"Une adoption créerait des incidents, des espoirs pour les Français et ferait instantanément monter la pression sur les épaules d'Emmanuel Macron", reconnaît le rapporteur du budget, Jean-René Cazeneuve (Renaissance) auprès de BFMTV.com.

De quoi pousser la macronie à hausser le ton parlementaire. Fadila Khattabi, la présidente de la commission des Affaires sociales, s'est fendue mercredi d'un courrier à son homologue de la commission des Finances Éric Coquerel (LFI).

La PPL Liot, "vraiment pas un travail de fond"

Dans une lettre, elle lui demande de juger de la recevabilité financière de la proposition de loi en se fondant sur l'article 40 de la Constitution qui empêche de créer une nouvelle charge financière sans la compenser financièrement.

Si cette proposition de loi créée bien 15 milliards d'euros de charges publiques supplémentaires, elle est également financée par une taxe sur le tabac et renvoie à l'organisation d'une "grande conférence de financement" pour "envisager de nouvelles pistes de financement" des caisses de retraite.

"Ce n'est vraiment pas du travail de fond. On ne va pas faire passer le paquet de clopes à 100 euros, non, pour payer les retraites de nos anciens? Franchement...", s'agace un député Renaissance de la commission des Finances.

"Une prise de conscience tardive" de l'enjeu politique

Le député de la majorité Charles Rodwell va encore plus loin. "Si nos oppositions les plus extrêmes sont prêtes à outrepasser la Constitution, il faut vraiment s'inquiéter de l'avenir si un jour elles étaient élus".

La proposition de loi a pourtant été jugée suffisamment solide pour que le bureau de l'Assemblée nationale, présidé par Yaël Braun-Pivet, la patronne du Palais-Bourbon, juge la proposition de loi recevable le 25 avril dernier.

"Il y a eu une prise de conscience tardive", reconnaît le député Jean-René Cazeneuve. Le ton au perchoir a d'ailleurs changé du tout au tout ces derniers jours.

"De toute évidence, le texte de loi constitue une charge pour nos finances publiques et donc contrevient à cet article", estime désormais la présidente de l'Assemblée, comme elle l'a expliqué sur Sud Radio le 25 mai, renvoyant la balle à Éric Coquerel.

"On ne va pas jouer le principe du jour sans fin en permanence"

Problème pour la macronie: il est très peu probable que le président de la commission des Finances déclare cette proposition de loi irrecevable. "J'observe déjà qu'il y a un gage (un financement, NDLR). J'observe qu'il y a une conférence de financement du régime de retraites qui est prévue dans cette loi", a expliqué Éric Coquerel mi-mai.

L'insoumis n'a d'ailleurs pas manqué de manier l'ironie. "Il faudra quand même m'expliquer cette logique qui veut que le bureau de l'Assemblée présidé par Yaël Braun-Pivet valide cette proposition de loi, y compris au titre de l'article 40, mais ensuite estime de façon aussi certaine qu'il me reviendrait de l'invalider", a ainsi répondu dans la foulée le président de la commission des Finances sur son compte Twitter.

"On ne peut pas jouer le principe du jour sans fin en permanence. On nous dit qu'on veut tourner la page. Oui, je confirme qu'on veut légiférer sur d'autres choses à un moment", tance de son côté la porte-parole des députés Renaissance Prisca Thévenot.

Braun-Pivet, "aucun intérêt à s'abîmer"

De quoi pousser certains macronistes à espérer que la présidente de l'Assemblée nationale convoque un nouveau bureau pour remettre le sujet sur la table. Sans vraiment trop y croire.

"Elle est inamovible donc elle n'a évidemment aucun intérêt à prendre des coups dans cette séquence. Il y a un petit côté 'je fais mon devoir mais je ne vais pas me brûler les ailes non plus'", décrypte un cadre de la majorité qui reconnaît cependant "une forte pression sur elle".

En l'absence de convocation d'un nouveau bureau, la balle est dans le camp de la commission des Affaires sociales mercredi. Avec un espoir pour les députés Renaissance: que la proposition de loi pour abroger la réforme des retraites ne soit pas adoptée.

"Le rêve" d'un texte rejeté en commission des Affaires sociales

Dans cette hypothèse, les députés Liot déposeraient alors un amendement pour la sauver. Cette nouvelle version contraindrait quasi-automatiquement le bureau de l'Assemblée à se réunir à nouveau.

"Ce serait le rêve. Ça nous sortirait des embrouilles", avance un poids lourd de la majorité.

L'option semble cependant peu réaliste. Mais les députés de la commission peuvent également décider de supprimer l'article premier qui abroge les 64 ans dans la proposition de loi tout en adoptant le reste du texte. Une manœuvre qui forcerait le groupe Liot à rajouter l'article au dernier moment, lors de l'examen dans l'hémicycle.

"Un petit côté tripatouillage légal"

De quoi donner la main à Yaël Braun-Pivet qui présiderait les débats et pourrait le déclarer irrecevable au titre de l’article 40, jugeant que la proposition de loi grève de façon disproportionnée les finances publiques.

"C'est une approche inédite dans l'histoire de la 5ème République à ma connaissance. Mais le règlement de l'Assemblée nationale le prévoit bien à l'article 93", souligne un fin connaisseur de la machine parlementaire qui évoque cependant "un petit côté tripatouillage légal".

La présidente serait-t-elle d'accord? "Elle ne veut pas qu’on piétine l’Assemblée nationale", rapporte son entourage dans Le Monde.

"On ne peut pas nous parler d'obstruction"

Si la proposition de loi était adoptée par la commission des Affaires sociales sans modification, la majorité garderait toujours quelques atouts dans sa manche pour empêcher le vote de la proposition de loi, à commencer par la technique de l'obstruction.

Les débats sont prévus pour durer de 9h à minuit pour les niches parlementaires, avant de s'arrêter automatiquement. De quoi pousser la macronie à jouer la carte de l'obstruction en multipliant les amendements pour ralentir les débats et ne pas parvenir au vote.

"On ne peut pas parler d'obstruction, on discuterait, on prendrait le temps de débattre. L'extrême gauche ne peut pas nous dire qu'on n'a pas laissé le temps au débat sur les retraites et nous dire qu'on a trop envie d'échanger maintenant", veut croire le rapporteur du budget, Jean-René Cazeneuve.

"Aucune bonne solution"

Cette position est loin de faire l'unanimité, d'autant plus qu'Emmanuel Macron lui-même y a vu "l'occasion de continuer à expliquer notre projet" grâce à la proposition de loi Liot dans les colonnes de L'Opinion.

"On peut faire comme nos adversaires, mais est-ce qu'on ne va pas s'abîmer encore plus en le faisant? Je me le demande", reconnaît un habitué des bancs de l'Assemblée nationale qui ne voit "aucune bonne solution se profiler".

Marie-Pierre Bourgeois