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Parlement

Retraites: une semaine à enjeux pour l'abrogation de la réforme

Le Palais Bourbon, siège de l'Assemblée nationale, en mars 2020 à Paris

Le Palais Bourbon, siège de l'Assemblée nationale, en mars 2020 à Paris - Ludovic MARIN © 2019 AFP

Les députés démarrent cette semaine en commission l'examen du texte visant à supprimer le report de l'âge légal de départ à la retraite. Les macronistes s'organisent pour empêcher un vote de la proposition de loi.

Le bras de fer est engagé depuis des semaines déjà, mais il va se concrétiser un peu plus ce mercredi. Ce jour-là, les députés commencent à partir de 9h30 les débats en commission des affaires sociales autour de la proposition de loi du groupe indépendant Liot, consistant notamment à abroger le report de l'âge légal à 64 ans, prévu par la réforme des retraites.

Des semaines déjà que les camps respectifs affinent leurs arguments en prévision de cette joute parlementaire, qui pourrait déboucher sur un "séisme politique", selon Bertrand Pancher, président du groupe Liot. L'élu de la Meuse peut compter sur la gauche - dont les députés ont co-signé le texte - le Rassemblement national, et certains députés de droite. Soit un nombre de voix significatif, d'autant plus qu'une majorité simple est suffisante pour adopter une proposition de loi.

Débats autour de la recevabilité financière du texte

En face, les troupes présidentielles s'organisent pour éviter un affront majeur. Même si, comme elles le soulignent à l'envi, le texte n'aurait probablement aucune chance de recevoir l'aval du Sénat, au regard de la position favorable de sa majorité de droite concernant la réforme des retraites.

Les macronistes jouent la carte de la constitutionnalité, même si l'initiative Liot a reçu le feu vert du bureau de l'Assemblée nationale. Tous évoquent l'article 40 du texte suprême, selon lequel les parlementaires ne peuvent proposer de mesure créant une dépense non-financée. Abroger le report de l'âge légal reviendrait à se passer des économies réalisées par la réforme et à créer un trou dans la raquette de "15 milliards d'euros", pointait récemment Aurore Bergé, cheffe de file des députés Renaissance.

Les soutiens du texte renvoient à deux articles de la proposition de loi, stipulant pour l'un l'oganisation d'une "conférence de financement du système de retraite" d'ici au 31 décembre avec notamment les partenaires sociaux; et pour l'autre une taxe sur les tabacs visant à gager les pertes engendrées par cette réforme.

Éric Coquerel veut "privilégier le débat parlementaire"

En principe, le fin mot de l'histoire reviendra au député insoumis Éric Coquerel, sommé de s'exprimer sur la recevabilité financière de la proposition de loi, en sa qualité de président de la commission des finances.

Sa décision ne fait guère de doute: l'élu de Seine-Saint-Denis a plaidé en faveur d'une "appréciation souple de l'article 40" pour "privilégier le débat parlementaire", dans une tribune publiée par Le Monde ce dimanche. Le député met en avant un "droit constitutionnel bien plus important" que cette disposition: "celui du droit de l'opposition".

Mais il n'est pas certain que l'insoumis ait totalement le champ libre. Pour prendre la main, les macronistes pourraient vider le texte de sa substance lors du passage en commission, en supprimant l'article d'abrogation des 64 ans. L'opposition serait alors contrainte de réintroduire la mesure par un amendement en prévision de la séance du 8 juin.

Cette procédure permettrait à la présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet de décider elle-même de la recevabilité financière. Mais, déjà, faudrait-il que cette stratégie soit concrétisée par un vote de la majorité de la commission des Affaires sociales. Et rien n'est sûr. Sur les 72 membres, 32 sont issus de la majorité et 32 de la Nupes, du RN, ou de Liot. Comme souvent, tout se jouera du côté de la droite, elle-même divisée sur les retraites.

D'autres moyens que l'article 40 pour contrer ce texte

Dans tous les cas, une question restera en suspens: que ferait Yaël Braun-Pivet si ce scénario se réalisait? Cette dernière ne s'est pas encore décidée. Pour l'instant, elle a mis la pression sur Éric Coquerel, déclarant:

"Je ne peux concevoir qu'il prenne une autre décision que l'irrecevabilité".

Quoi qu'il arrive, la majorité disposerait de plusieurs armes pour empêcher un vote dans l'hémicycle, même si elle ne réussissait pas à supprimer l'article d'abrogation en commission. Le camp présidentiel pourrait miser sur l'obstruction - le texte ne pouvant être débattu qu'entre 9h et minuit - ou déclencher le vote bloqué, soit l'article 44.3 de la Constitution. Celui-ci permettrait à l'exécutif de choisir les articles à mettre aux voix des députés, et de se passer ainsi de la mesure d'abrogation.

Le coût politique serait très lourd pour un gouvernement déjà accusé d'être passé en force par 49.3 sur sa réforme des retraites, toujours impopulaire dans l'opinion publique. Mais que dire de l'ampleur du revers pour l'exécutif que représenterait un vote favorable?

Baptiste Farge