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Retraites: sans LFI au Sénat, la gauche se prépare à une bataille plus "calme" qu'à l'Assemblée

L'hémicycle du Sénat

L'hémicycle du Sénat - JEAN-PIERRE MULLER / AFP

En l'absence de La France insoumise au Sénat, la gauche adopte une stratégie plus unie qu'à l'Assemblée nationale. Si elle espère ne pas aller au bout de l'examen de la réforme des retraites, elle compte bien discuter du report de l'âge de départ à la retraite à 64 ans. Mais pas avant la grève du 7 mars.

Au tour des sénateurs de se pencher sur la réforme des retraites, dans une ambiance a priori bien plus feutrée qu'à l'Assemblée nationale. Le texte arrive ce mardi au Palais du Luxembourg, d'abord en commission des Affaires sociales, avant de prendre la direction de l'hémicycle jeudi.

La gauche sénatoriale compte bien jeter ses forces dans la bataille pour faire plier le gouvernement, tout en se distinguant des débats parfois chaotiques au Palais-Bourbon.

"On va faire tout pour qu'Emmanuel Macron entende enfin les millions de Français opposés à cette réforme avec notre méthode qui est de dire les choses avec force mais dans le calme", résume Patrick Kanner, le président du groupe socialiste, auprès de BFMTV.com.

Des sénateurs qui "peuvent basculer"?

Au cœur de la stratégie fixée collectivement par les groupes PS, écologiste et communiste: parvenir - contrairement aux députés - à débattre du très emblématique article 7 qui recule l'âge de départ à la retraite à 64 ans, mais pas avant le 7 mars. Les syndicats, qui ont appelé à "mettre la France à l'arrêt" ce jour-là, espèrent une mobilisation massive pour faire bouger les lignes politiques.

"Il y a des sénateurs parmi les centristes qui peuvent basculer en étant sensibles si des millions de Français sont dans la rue", estime la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann.

Dans un hémicycle qui ne compte qu'à peine une vingtaine de sénateurs Renaissance, la gauche juge possible de mettre en échec l'exécutif. Avec un optimisme certain, étant donné la composition du Sénat, majoritairement à droite - le groupe LR, à lui tout seul, dispose de plus de 40% des sièges. Et les sénateurs ont déjà voté à plusieurs reprises un amendement porté par le sénateur René-Paul Savary qui repousse l'âge de départ à la retraite à 64 ans.

Bruno Retailleau, le patron du groupe LR, a d'ailleurs déjà affiché la couleur dans les colonnes du Parisien ce week-end, indiquant "souhaiter voter" la réforme des retraites, "après l’avoir modifiée". En 2017, l'élu de Vendée faisait même campagne pour François Fillon en prônant le recul de l'âge légal de départ à 65 ans.

Le député de droite Aurélien Pradié, qui a croisé le fer contre la réforme à l'Assemblée, ne compte pas de francs soutiens au Palais du Luxembourg. Sans compter qu'avec les élections sénatoriales qui approchent en septembre prochain, les sénateurs LR devraient éviter de se fâcher avec le parti, en charge de distribuer les investitures.

La gauche plus unie qu'à l'Assemblée

La gauche juge pourtant avoir des atouts dans sa manche. À commencer par une stratégie commune. Là où la Nupes s'est divisée pendant les débats dans l'hémicycle sur l'opportunité ou non de multiplier les amendements, les communistes, les socialistes et les écologistes feront front commun au Sénat.

La France insoumise n'a pas de groupe au Palais du Luxembourg et la Nupes, lancée lors des dernières législatives en juin dernier n'a aucune réelle existence rue de Vaugirard - ce qui n'a pas empêché le mouvement de Jean-Luc Mélenchon d'appeler les sénateurs à "tout faire pour empêcher l'adoption de la retraite à 64 ans" au Sénat.

Au grand dam de la plupart d'entre eux qui n'ont pas apprécié la méthode. "Merci du conseil, on n'y avait pas encore pensé. Quelle bonne idée", se moque ainsi l'élue socialiste Laurence Rossignol.

"Personne n'a aimé cette manière de faire et ici, on est tout d'accord sur un point qui nous semble capital: celui de ne pas aller au bout du texte", affirme ainsi Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste.

L'Assemblée nationale n'est pas non plus parvenue à examiner le texte en entier: les députés se sont même arrêtés à l'article 2, pour un texte qui en compte 20.

Larcher pour diriger les débats

Autant dire que le gouvernement se retrouverait dans une situation politique particulièrement délicate si aucune des deux chambres du Parlement ne votait in fine la réforme des retraites - une situation inédite dans l'histoire de la Ve République.

Pour parvenir à cet objectif, l'union de la gauche compte s'appuyer sur les classiques du débat parlementaire pour gagner du temps, entre motions de procédure, prise de parole avant chaque article et chaque amendement. Les sénateurs comptent bien également demander des explications de vote avant chaque scrutin.

Mais le règlement du Sénat est plus contraignant et peut obliger à accélérer les débats en vertu de son article 38 qui limite à deux orateurs "d’avis contraire" les prises de parole "sur l’ensemble d’un article ou dans les explications de vote portant sur un amendement", la gauche n'y croit guère. Elle mise même sur Gérard Larcher, le président du Sénat, pourtant LR.

"Je n'ose croire qu'il se servirait de cet article, lui, qui se présente comme un défenseur du dialogue social et qui dit toujours vouloir défendre les droits du Parlement", grince le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard.

Le gouvernement peut accélérer

Mais le gouvernement dispose d'un dernier outil pour accélérer les débats: l'article 44 de la Constitution. Cette disposition permet au gouvernement de contraindre le Sénat à se "prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement".

"C'est un outil politique qui est loin d'être neutre. Je mets en garde contre toute volonté d'empêcher le Parlement de faire son travail", tance la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, ex-ministre de François Hollande.

Suffisant pour convaincre l'exécutif de ne pas aller sur ce terrain? Le ministre du Travail Olivier Dussopt pratique pour l'instant la méthode douce. Ce dimanche sur BFMTV, il s'est dit "favorable à ce que tous les groupes puissent contribuer" à enrichir la réforme des retraites au Sénat.

Marie-Pierre Bourgeois