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"Encore un peu sous le choc": dans les couloirs du Sénat, le malaise après l'affaire Joël Guerriau

La chambre haute est ébranlée, plus de cinq jours après les accusations de la députée Sandrine Josso à l'encontre du sénateur Joël Guerriau qui l'aurait drogué à son insu. BFMTV.com a recueilli les témoignages de ses collègues.

Entre sidération et colère. Depuis l'annonce de la garde à vue jeudi puis de la mise en examen du sénateur Joël Guerriau, accusé d'avoir drogué la députée Sandrine Josso à son insu, ses collègues de la chambre haute accusent le coup.

"On est encore un peu sous le choc. On en a parlé entre nous ce week-end, ça nous semble tous encore inimaginable", avance auprès de BFMTV.com un parlementaire de la commission des Affaires étrangères dont Joël Guerriau est vice-président.

Plutôt discret dans les médias, ce sénateur siégeait depuis 2011 au sein des Indépendants qui rassemble des élus Macron-compatibles et des proches d'Édouard Philippe. Il a été suspendu d'Horizons tout comme de son groupe samedi.

"On savait qu'il était en petite forme d'un point de vue privé. Sa réélection en septembre dernier a été compliquée. Bon, de là à se retrouver positif à toutes les drogues du monde... Personne ne s'en doutait", explique l'un de ses membres.
La stupeur autour de ce sénateur soupçonné d'avoir drogué une députée
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19:26

"Nous ne connaissons pas la vie privée de nos collègues"

Le sénateur, qui nie tous les faits qui lui sont reprochés, a expliqué aux enquêteurs ne pas consommer de drogue et ne jamais y avoir touché. Un test urinaire a révélé des traces de méthadone, de cannabis, d'opiacés, de MDMA, d'amphétamines et de cocaïne.

Un deuxième test, par voie sanguine, a été réalisé un peu plus tard et s'est en revanche révélé négatif. Enfin, un troisième test, par voie capillaire, montre la présence de drogues dans une faible proportion dans l'organisme de Joël Guerriau, mais sans pouvoir dater une consommation avec précision.

Son avocat, Maître Rémi-Pierre Drai, plaide "l'accident" lors de la soirée avec la députée. Il assure que le parlementaire pensait que la substance qu'il a donnée à Sandrine Josso, sans le savoir selon ses dires, était un simple "euphorisant".

"Nous ne connaissons pas la vie privée de nos collègues", souligne la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret qui partage avec lui les bancs de la commission des Affaires étrangères.

"Il a toujours eu une drôle de réputation quand même. Ici, personne n'a oublié l'histoire de la photo. Moi, je n'ai pas d'image intime dans mon téléphone. Ça dit quelque chose du personnage", analyse de son côté un élu LR.

Un tweet à caractère sexuel en 2016

Ce n'est en effet pas la première fois que Joël Guerriau fait parler de lui. En 2016, en plein débat sur le terrorisme dans l'hémicycle, il avait posté un message sur Twitter (désormais rebaptisé X) dans lequel il évoquait une question du patron des sénateurs LR Bruno Retailleau sur Daesh, accompagnée d'une photo de pénis.

Quelques minutes plus tard, le sénateur avait effacé son tweet, se fendant d'un message. "Inacceptable! Mon compte vient d'être piraté. Merci à ceux qui m'ont prévenu", avait écrit le parlementaire, annonçant le dépôt d'une plainte contre X.

Il avait ensuite indiqué que ses collaborateurs avaient aussi accès à son compte, avant d'expliquer ne plus vouloir déposer plainte. "L'affaire a été réglée en interne", s'était-il justifié.

"J'ai du mal à l'expliquer mais il ne m'a jamais inspiré confiance. J'ai toujours trouvé qu'il dégageait quelque chose de pas très sain, notamment avec les femmes. Il ne sentait jamais quand il avait assez parlé et qu'il était temps de passer à autre chose", confie une sénatrice de droite lorsqu'on lui évoque cet antécédent.

"Il avait un côté un peu étrange, un peu lourd, pas très subtil", remarque encore une collaboratrice parlementaire pour qui ces attitudes "ne sont sûrement pas propres aux consommateurs de drogue mais à beaucoup d'hommes en politique".

"Si vous n'êtes pas solide, vous pouvez craquer"

Le sénateur était en tout cas connu pour aimer faire la fête, à l'issue des séances tardives au Sénat, selon deux collègues. De quoi permettre de digérer un mode de vie particulier, d'après un élu centriste qui confie avoir déjà écumé des bars du quartier avec lui.

"Les gens ne se rendent pas forcément compte, mais on a une certaine pression quand on est sénateur", explique-t-il tout en précisant que "ce n'est pas une excuse pour essayer de violer qui que ce soit".

"Quand vous êtes parlementaire, vous n'êtes pas souvent chez vous, vous partez tôt le mardi, vous rentrez tard le jeudi soir à votre domicile. Ce sont des vies un peu à part quand même. Si vous n'êtes pas solide, vous pouvez craquer", explique l'élu.

"Un temps de latence" avant un éventuel retour

Joël Guerriau peut-il revenir au Sénat dans les prochains jours? Le président de la chambre haute, Gérard Larcher, lui a demandé dans un communiqué de presse publié lundi de se "mettre en retrait" de ses fonctions sénatoriales, sans appeler formellement à sa démission.

"Seule la justice pourrait le démettre de son mandat parlementaire", précise le texte.

"Il va forcément prendre un temps de latence. Il ne peut pas revenir comme si rien ne s'était passé", constate un sénateur, membre de la commission de la Défense.

"On aurait pu lui demander de démissionner par respect pour l'institution, parce que franchement, une mise en retrait ne veut pas dire grand-chose", tance de son côté une sénatrice écologiste.

Un mandat qui court jusqu'en 2029 sur le papier

Certains craignent d'ailleurs que le scandale n'éclabousse l'institution. "Il explique que la drogue consommée vient d'un membre du Sénat. Ce n'est pas rien", remarque la collaboratrice d'un sénateur, voisin de circonscription de Joël Guerriau.

"Les Français savent faire la différence entre le Sénat et l'attitude d'un homme. Les faits ne sont pas commis dans notre enceinte mais chez lui. Il n'y a aucune raison que cela abîme notre image", nuance Ronan Le Gleut (LR).

Le sénateur n'a pas pour l'instant donné suite à la demande de Gérard Larcher. Mis en retrait ou pas, Joël Guerriau reste officiellement sénateur et va continuer à percevoir son indemnité parlementaire.

Sauf décision de justice avec une peine d'inéligibilité, son mandat court jusqu'en 2029. Son avocat a indiqué sur France bleu samedi que son client "continuait ses fonctions".

Marie-Pierre Bourgeois