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LA VÉRIF - Sur quoi se basent les attaques dont Pap Ndiaye est la cible depuis sa nomination?

A peine nommé, Pap Ndiaye est déjà sévèrement critiqué. Depuis l'annonce de sa nomination au ministère de l'Education ce vendredi, il est la cible des attaques d'extrême droite, l'accusant d'être un "indigéniste" ou un militant du "wokisme".

C'est la surprise du gouvernement d'Élisabeth Borne. Le directeur du musée national de l'immigration, Pap Ndiaye, prend les rênes du ministère de l’Education nationale. Dès l’annonce de sa nomination, des attaques dirigées contre lui sont apparues, venues notamment du monde politique. Mais pourquoi de telles réactions, alors que le nouveau ministre n'a à peine eu le temps d'enfiler son costume, sans avoir eu l'occasion d'annoncer quoique que ce soit?

• Parce qu’il est présenté comme l'"anti-Blanquer"

C’est un virage à 180 degrés tant leurs profils sont éloignés. Jean-Michel Blanquer a fait de la lutte contre le "wokisme" et "l'islamo-gauchisme" un combat personnel, à la tête de l’Éducation nationale pendant cinq ans, ce qui fait de lui le ministre à la longévité la plus importante à ce poste. Combat très médiatique, la question de la laïcité a même fait l'objet d'un lancement de think tank par le ministre alors encore poste.

A l’inverse, Pap Ndiaye a affirmé en juin 2021 à M, Le magazine du Monde: "Je partage la cause des militants woke, la lutte pour la protection de l’environnement, le féminisme ou l’antiracisme." Cependant, et c'est à relever, il a ajouté:

"Mais je n'approuve pas les discours moralisateurs ou sectaires de certains d'entre eux, je me sens plus 'cool que woke'."

Sur "l'islamo-gauchisme", ce mot valise qui sous-entend une proximité entre les milieux islamistes et la gauche française, l’ancien directeur du musée national de l’immigration a considéré que le terme utilisé par Jean-Michel Blanquer ne désignait "aucune réalité dans l'université" et qu'il s’agissait d'une "manière de stigmatiser des courants de recherches".

Certains syndicats d’enseignants estiment que la nomination de Pap Ndiaye permet de tourner une page avec l’ère Blanquer - dont le bilan est sévèrement jugé - mais attendent surtout des résultats. "On s'attend non pas à un symbole mais à une politique de rupture avec celle de Jean-Michel Blanquer", affirme le Secrétaire national du Syndicat national des écoles, collèges et lycées (SNALC) sur BFMTV. Le principal syndicat d'enseignants du secondaire, le Snes-FSU abonde: "Les urgences sont réelles, des réponses rapides sont attendues, notamment en matière salariale."

"On peut y voir une forme de rééquilibrage politique", estime Bruno Cautrès, politologue, chercheur au CNRS et au Cevipof. Sur BFMTV, il estime que son collègue est "un universitaire de haut niveau, très spécialisé dans son domaine d’études". Et de se féliciter qu’un spécialiste d'un domaine se retrouve aux commandes d'un ministère.

• Parce qu'il est jugé "indigéniste", ce qui est faux

En réalité, ce n'est pas tant l'action de Pap Ndiaye qui est critiquée, puisqu’il vient d’être nommé à ce poste, que son C.V. Universitaire et historien, il a notamment travaillé sur les questions d’immigration et de racisme. Des thèmes qu’il n’a pas évoqués au cours de la passation de pouvoir avec Jean-Michel Blanquer.

Pourtant, l'extrême droite estime que cette nomination rue de Grenelle est une "provocation" et taxe Pap Ndiaye de "militant intégrationniste".

"Ce choix de mettre un homme qui défend l’indigénisme, le racialisme, le wokisme à la tête de l’Education nationale est un choix terrifiant pour les parents et les grands-parents que nous sommes", a jugé Marine Le Pen au micro de BFMTV.

"Emmanuel Macron avait dit qu’il fallait déconstruire l’Histoire de France. Pap Ndiaye va s’en charger”, a lancé avant elle l'autre candidat d’extrême droite Éric Zemmour sur Twitter, pour qui le passé universitaire du nouveau ministre mérite d’être fermement critiqué.

Les deux candidats malheureux à la présidentielle estiment que l’enseignant à Sciences Po rompt avec l’universalisme, principe selon lequel chaque citoyen est traité avec les mêmes conditions, sans différenciation selon le genre ou l’origine ethnique.

Un profil qui clive jusque dans la majorité présidentielle. S’il estime que Pap Ndiaye est un “très grand universitaire”, le député MoDem Jean-Louis Bourlanges n’en a pas moins souligné sur FranceInfo le risque de passer d’une “culture politique exigeante en matière de laïcité” à celle d’un autre système "sans crier gare" du nouveau ministre de l’Education.

Reste que le nouveau locataire de la rue de Grenelle a commencé son premier discours de ministre en rendant hommage à "un collègue historien, Samuel Paty", enseignant assassiné par un terroriste islamiste et devenu symbole de la laïcité à l’école.

La cheffe de gouvernement, Elisabeth Borne, a défendu son ministre: “Pap Ndiaye est un républicain très engagé, qui croit aux valeurs de la République et c'est bien évidemment ce qu'il va porter en tant que ministre de l'Éducation nationale”, a-t-elle affirmé au 20H de TF1. Avant d’en redire un mot, en déplacement ce samedi dans le Calvados, face à l’ampleur des attaques.

"L’objectif est l’égalité des chances. On a encore beaucoup de progrès à faire (...) Tenir l’excellence, assurer l’égalité des chances (...) C’est sa feuille de route et je n’ai pas de doute qu’il va le faire avec compétence, avec énergie, avec détermination", a fermement rappelé Elisabeth Borne devant notre caméra.

Si les “Indigènes de la République” existent bien dans le débat public -un parti politique se définissant comme antiraciste et décolonial porte ce nom- Pap Ndiaye n’en a jamais fait partie. Aucun élément factuel ne permet de qualifier le ministre de la sorte.

En revanche, Pap Ndiaye a par le passé évoqué un "racisme structurel en France", tout en refusant la notion de racisme d’Etat, utilisée par certains intellectuels et mouvements politiques. "Le racisme d'État suppose que les institutions de l'État soient au service d'une politique raciste, ce qui n'est évidemment pas le cas en France", avait-il défendu au Monde en décembre 2017.

• Parce qu’il est accusé d’être "anti-flic"

Autre angle d’attaque de l’extrême droite: les prises de positions de l’universitaire franco-sénégalais sur les violences policières. "L'attitude de déni en ce qui concerne les violences policières en France est classique depuis longtemps. Quelque chose est en train de se passer en France", avait-il déclaré au micro de France Inter le 4 juin 2020, quelques jours après la mort de Georges Floyd, victime d'un policier aux États-Unis.

Invité à analyser les réactions de la société civile américaine à ce meurtre, l’ancien directeur du musée de l’histoire de l’immigration a regretté "que les autorités françaises se raidissent dans un refus de comparer" les affaires George Floyd et Adama Traoré.

De quoi alimenter les réactions de Jordan Bardella, actuel président du Rassemblement National pour qui "Pap Ndiaye est un militant racialiste et anti-flics. Sa nomination est un signal extrêmement inquiétant envoyé aux élèves français au sein de l'Éducation nationale, déjà minée par le communautarisme". Ou de la journaliste et chroniqueuse proche de l'extrême droite Elisabeth Lévy qui a ironisé: "Macron me déçoit. Pap Ndiaye à l’Education Nationale c’est bien, mais il aurait dû nommer Assa Traoré à l’Intérieur et Houria Bouteldja à la Culture."

Ces réactions font l’impasse sur la totalité des propos prononcés par l'auteur de La Condition noire. Dans la même interview de 2020, il a expliqué que les policiers faisaient "un travail nécessaire et important" et a souligné, malgré des points de convergences, des différences entre les violences policières américaines et françaises, dont un niveau de violence incomparable.

• Par simple et pur racisme

Depuis l’annonce de sa nomination par Alexis Kohler, sur le perron de l’Elysée, Pap Ndiaye est la cible d’insultes racistes. Certains internautes se cachent derrière les prétextes des arguments présentés plus haut pour se laisser aller, en réalité, à des propos purement racistes.

"La concentration des réactions sur Pap Ndiaye ne laisse pas beaucoup de doute. L’extrême droite, sous couvert de critiques politiques (...) sous-entend que 'cette personne droite' est dangereuse pour la société”, analyse Dominique Sopo sur BFMTV. Selon le président de SOS Racisme, il y a "évidemment un fond raciste dans ces attaques".

Un racisme décomplexé et affiché sur les réseaux sociaux qui n’étonne pas sa soeur, la romancière Marie Ndiaye, lauréate du prix Goncourt en 2009:

"Bien sûr, on s'y attendait. Cela n'a rien de surprenant. Quand on accepte ce genre de mission, on accepte aussi ce qu'il y a de plus détestable (...) Je l'admire d'accepter de ne plus être complètement lui, mais d'être aussi un personnage qu'on agresse de manière absurde, complètement stupide", a affirmé l’autrice de Trois femmes puissantes, sur RTL.

Sofiane Aklouf