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Euro 2016: la réquisition, une arme antiblocage à manier avec précaution

Comment acheminer les supporters sur les lieux de la compétition en période de grève? Le secrétaire d'Etat aux Transports a évoqué vendredi le recours aux réquisitions. Mais la mise en œuvre de cette mesure ne peut répondre qu'à des conditions très particulières.

Le blocage annoncé des lignes RER B et D pour l'ouverture de l'Euro 2016, ce vendredi, place le gouvernement dans l'embarras. Acculé, le secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies a évoqué vendredi matin sur Europe 1 un recours "aux réquisitions". Malgré la grève qui affecte son trafic, la SNCF a mis en place des navettes spéciales du RER entre Paris et le Stade de France pour acheminer les spectateurs, a-t-il rappelé lundi. Il a en outre réaffirmé que le gouvernement ne renoncerait "à aucun moyen à sa disposition", et que "s'il faut utiliser les réquisitions (de conducteurs de trains, Ndlr) demain, nous le ferons".

Le ministre précise donc les avertissements déjà adressés aux grévistes par Manuel Valls et François Hollande tout en ajoutant qu'un service minimum sera bien assuré (avec les navettes susmentionnées). Mais justement, c'est là que le bât blesse.

"La réquisition ne peut avoir pour objectif de rétablir un service normal", précise Me André Icard, avocat au barreau du Val de Marne, dont le blog de droit public éclairant mentionne la décision du Conseil d'Etat du 27 octobre 2010.

> Qui peut réquisitionner?

L'ordre de réquisition défini à l'article L2215-1 du Code des collectivités territoriales fixe des modalités de mise en oeuvre de cette mesure. C'est le gouvernement (donc Manuel Valls) ou le préfet qui peuvent décider d'y recourir. "Depuis l'échec du Général de Gaulle à réquisitionner les mineurs de Lorraine, aucun gouvernement ne s'y est plus risqué", précise l'avocat joint par BFMTV.com. C'est en pratique les préfets, "aux ordres", qui engagent cette "méthode forte". "La "méthode douce étant de faire évacuer les grévistes des voies", précise André Icard.

> A quelles conditions une réquisition est-elle possible?

Si le formalisme de l'arrêté de réquisition (ici, un exemple), "qui fait trois lignes", reste succinct, puisqu'il doit essentiellement indiquer la durée et le domaine d'application de la mesure, il doit cependant "être motivé depuis une décision du Conseil d'Etat du 24 février 1961.

Les motifs possibles sont "une atteinte grave, soit à la continuité du service public, soit à la satisfaction des besoins de la population". Ces deux formulations assez vagues sont en réalité laissées à l'appréciation du juge administratif qui pourra après coup, suspendre l'arrêté litigieux. La réquisition doit aussi revêtir un caractère d'urgence.

Maître Icard n'est cependant pas "persuadé qu'en l'espèce, les conditions soient réunies". "L'Euro est prévu depuis bien longtemps et les grèves durent depuis trois mois", fait-il valoir. Sur le fond, le juriste pose aussi la question de savoir si "se rendre au stade pour voir un match de football correspond à la 'satisfaction d'un besoin de la population'?" La chose paraît plus évidente pour l'éducation ou la santé.

Surtout, l'avocat rappelle que la réquisition contredit la liberté fondamentale du droit de grève qu'elle ne peut que limiter, mais certainement pas battre en brèche. L'arrêt du Conseil d'Etat du 9 décembre 2003 l'avait rappelé très clairement à propos du service public des sages-femmes: "Le préfet (...) ne peut toutefois prendre que les mesures imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public".

En clair, "le préfet de Paris ne peut réquisitionner qu'une partie des conducteurs pour assurer un service minimum, mais pas plus", précise Me Icard. Il estime que "le gouvernement est dans l'impasse".

> De quels recours disposent les réquisitionnés?

La réponse est celle de l'article L521-2 du Code de justice administrative et se nomme "référé liberté fondamentale". Elle permet, "en 48 heures" de suspendre l'arrêté de réquisition. Pour André Icard, il ne fait guère de doute que les syndicalistes y recourront.

Le problème reste que le droit de grève est une liberté fondamentale, donc très haute dans la hiérarchie des normes. Le Conseil d'Etat l'avait rappelé dans une ordonnance de référé liberté du 22 octobre 2010, à propos d'une demande de réquisition de la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne. L'action du préfet ayant eu pour résultat de rétablir un service normal, l'arrêté avait été suspendu. 

> Quelles sanctions si les personnels n'obtempèrent pas?

Toutes ces précautions législatives sont proportionnelles au caractère de gravité d'une réquisition. Selon Bruno Poncet du syndicat Sud-Rail qui s'exprimait sur RMC, la dernière réquisition de la SNCF date de 1940.

La mesure est donc rare et les sanctions peuvent être sévères. Elles peuvent aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et 10.000 euros d'amende. "Il est très grave de pas obéir (à un ordre de réquisition, Ndlr) et c'est le licenciement à coup sûr", rappelle Me Icard.