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Clash Valls-Taubira: ce qu'il faut savoir sur la réforme de la politique pénale

Manuel Valls et Christiane Taubira, en octobre 2012.

Manuel Valls et Christiane Taubira, en octobre 2012. - -

Le ministre de l'Intérieur a fait parvenir au président de la République un courrier dans lequel il critique le projet de loi de son homologue à la Justice. De quoi s'agit-il? Explications.

La réforme de la politique pénale, promise depuis près d'un an par la ministre de la Justice Christiane Taubira pour abandonner le "tout-carcéral" des années Sarkozy, commence à se transformer en véritable épine dans le pied pour le président François Hollande.

Sommé d'arbitrer les orientations à donner à ce texte par le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, dans un courrier révélé mardi par Le Monde, le président a gardé le silence. Matignon en revanche a tenu à minimiser le conflit entre les deux ministres. Que se reprochent-ils l'un à l'autre? Que prévoit ce texte explosif? BFMTV.com fait le point.

> De quelle réforme s'agit-il?

Christiane Taubira l'avait promis en prenant ses fonctions de garde des Sceaux: elle désengorgerait les prisons. Sa méthode? Réformer la politique pénale, qui favorise depuis une dizaine d'années le tout-carcéral et l'augmentation de la durée des peines.

Mais ce projet de loi, qui devait être présenté au début du mois de juillet en Conseil des ministres, ne cesse d'être repoussé sine die, au grand dam de la ministre de la Justice. Pendant ce temps, le nombre de détenus ne cesse d'augmenter.

En coulisses, les tractations sont brutales, comme le montre la publication d'un courrier de Manuel Valls mardi dans Le Monde. Le ministre de l'Intérieur évoque ainsi un projet "politiquement sensible, tant au sein de notre propre majorité que vis-à-vis de l'opposition".

> Que propose Christiane Taubira?

Trois grands axes se dégagent de ce texte, qui bouscule les mentalités en misant sur la réinsertion plutôt que sur la détention carcérale.

La suppression des "peines plancher", mises en place en 2007 par Rachida Dati après l'élection de Nicolas Sarkozy. Actuellement, en cas de récidive, et si le délit ou le crime est punissable d'au moins trois ans de prison, une peine minimale est automatiquement requise, quels que soient les faits commis. Une procédure automatique qui déplaît à la ministre de la Justice. Les peines planchers produiraient "4.000 années d'emprisonnement supplémentaires par an", rappelle la Chancellerie. Dans une circulaire parue en septembre 2012, elle demandait déjà aux procureurs de "tenir le plus grand compte dans leurs réquisitions et leurs choix de poursuites, de la situation personnelle, sociale et économique de chaque prévenu".

• L'examen systématique des cas aux deux tiers de la peine de prison. Le texte de loi prévoit un réexamen de la situation de chaque détenu condamné à moins de cinq ans de prison pour un aménagement de peine en dehors des murs: une libération conditionnelle, une mesure de semi-liberté, ou un placement sous bracelet électronique, le temps que la peine soit terminée, afin que la réinsertion se fasse sous surveillance de la justice.

La création d'une peine de probation. Cette mesure phare consisterait à remplacer les courtes peines de prison par des peines allant de six mois à cinq ans, qui seraient effectuées "dans la communauté", hors les murs. Le condamné serait contraint à des mesures de contrôles réguliers et à une série d'activités destinées à prévenir la récidive. En résumé, il s'agirait de désengorger les prisons des délinquants, pour n'y laisser que les criminels et les récidivistes. Un système déjà en vigueur au Québec.

> Que reproche Manuel Valls?

Les désaccords entre le ministre de l'Intérieur, qui se situe plutôt à droite du PS, et la ministre de la Justice, classée à gauche, ont éclaté au grand jour avec l'échange rendu public par Le Monde de courriers virulents. Les critiques de Manuel Valls portent tant sur le fond que la forme du projet de loi.

• Sur la méthode, le ministre de l'Intérieur, qui a reçu le 12 juillet l'avant-projet de loi, estime que les délais de réflexion et de débats sur l'orientation du texte sont trop courts. "Cette brièveté du temps d'échanges, d'expertises conjointes et de débats" lui pose problème. Il critique également l'importance accordée par la Chancellerie aux conclusions rendues en février par la "Conférence de consensus", un comité formé de vingt personnes aux horizons divers. Pour lui, ce socle pour la réforme est "fragile".

• Sur le fond, Manuel Valls n'a absolument pas la même vision que Christiane Taubira sur la politique pénale à mener en France. Pour désengorger les prisons, il plaide, comme l'opposition, pour un agrandissement du parc pénitentiaire, et refuse en filigrane la suppression des peines plancher et l'aménagement des peines aux deux tiers. Et pour lutter contre la récidive, Manuel Valls préfère proposer "une transformation profonde […] des parquets", plutôt que "les évolutions législatives" souhaitées par Christiane Taubira, comme la peine de probation.

> Quelle suite à ce projet de loi?

L'Elysée, interpellé par Manuel Valls dans son courrier, n'a fait aucun commentaire mardi. Matignon, en revanche, s'est employé à minimiser le conflit, n'y voyant qu'une "phase normale d'échanges préalables aux arbitrages". "Qu'il y ait des divergences d'appréciation entre les ministres de la Justice et de l'Intérieur, cela n'est pas anormal".

Le texte doit toujours être présenté en Conseil des ministres à la rentrée, sauf report de dernière minute, comme cela a déjà été le cas plusieurs fois jusqu'à présent. A un an des municipales, la majorité semble peu à l'aise pour manier ce projet de loi explosif.

Alexandra Gonzalez