BFMTV
Extrême gauche

Après le coup de massue des européennes, les insoumis tentent péniblement d'analyser leur défaite

Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry, le soir des résultats des élections européennes, le 26 mai 2019.

Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry, le soir des résultats des élections européennes, le 26 mai 2019. - AFP - Geoffroy Van der Hasselt

Dimanche soir, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a subi une véritable déroute électorale, recueillant péniblement 6,3% des suffrages. Un score qui risque d'affaiblir durablement La France insoumise au sein de la gauche.

Jean-Luc Mélenchon n'en est pas à sa première déconvenue politique. Sa carrière est parsemée de moments de désillusion, à la suite desquels l'ancien socialiste a pour habitude de prendre du champ, avant tout pour retrouver le moral.

Dimanche soir, aux européennes, son mouvement La France insoumise (LFI) a subi une véritable déroute électorale, n'atteignant que 6,3% des suffrages exprimés. Par rapport à l'élection présidentielle de 2017 et les 19,58% recueillis alors par Jean-Luc Mélenchon, l'écart est immense. Et ce alors que LFI s'était donné pour objectif de démontrer son hégémonie sur la gauche. Ou, du moins, sa position de force, sa cohérence idéologique et sa capacité d'entraînement populaire. 

Changement de braquet

Ce lundi, la plupart des cadres insoumis ont encore du mal à réaliser ce qu'il s'est produit. La gueule de bois est palpable. Au début de la campagne, Jean-Luc Mélenchon espérait miser sur son électorat de la présidentielle, le plus massif, mais aussi le plus friable, le plus hétérogène.

En cours de route, constatant que les choses ne décollaient pas du tout, la liste conduite par Manon Aubry a changé de braquet. Désormais, il fallait viser l'électorat des dernières législatives, celles où LFI avait recueilli 11,03% des suffrages (avec plus de 50% d'abstention). 

"Si on dépasse 10%, c'est bien. Si on est dessous, c'est une défaite sévère", prévenait un membre de l'entourage du chef auprès de BFMTV.

Dégagistes victimes du dégagisme

Au final, les insoumis se trouvent très largement dépassés par Europe Écologie-Les Verts, dont la liste, emmenée par Yannick Jadot, a réalisé une surprenante percée avec 13,5% des voix. Un hold-up sur une partie de l'électorat de la gauche (mais aussi du centre) qui décontenance les proches de Jean-Luc Mélenchon. 

"L’électorat LFI ne s’est pas reporté sur le Rassemblement national, il s’est reporté sur les Verts, sur d’autres formations politiques. Donc ce ne sont pas des gens qui ont choisi un vote de colère, ce sont des gens qui, tout simplement, ont arrêté de voter pour nous, et ont voté pour d’autres, ou n’ont pas voté du tout", déclare l'un d'entre eux à BFMTV.

Certains viennent à se dire victimes à leur tour, après l'avoir prôné durant la campagne présidentielle, d'une forme de "dégagisme": 

"La vague nous a touchés, c'est tout. Les classes populaires, de toute évidence, on ne leur fait plus envie. On s'est polarisé sur les gilets jaunes, mais est-ce que les gilets jaunes représentent toutes les classes populaires? La réponse est non. Et tous ces gens ne se reconnaissent plus chez nous."

"On en a fait des tonnes, avec les gilets jaunes..."

De cette perplexité ressort le clivage stratégique fondamental qui perdure au sein de La France insoumise: celui qui sépare ceux qui entendent fédérer la gauche de ceux qui veulent "fédérer le peuple". S'ajoute à cela l'équation personnelle de Jean-Luc Mélenchon, mise à mal par l'épisode des perquisitions au siège de LFI et de sa réaction fulminante face aux enquêteurs.

Pour un historique du parti, la défaite de dimanche est une "conséquence de fautes cumulées: les perquisitions, les distances prises avec la gauche, le 'eux et nous', la haine plutôt que l'espoir". Et de poursuivre son diagnostic sans concession:

"Et puis les gilets jaunes, les gilets jaunes, on en a fait des tonnes, avec les gilets jaunes... Résultat, ils ont voté à 50% pour le RN, les gilets jaunes! Perméabilité nulle. Le référendum anti-Macron, c’était surtout bon pour Le Pen. Notre formation est totalement mise à l’écart. Le maintien du mouvement se pose." 

Les démissionnaires confortés?

Ceux qui ont quitté le mouvement, dont la liste s'est allongée au fil des mois, jugent aujourd'hui leur choix plus justifié que jamais. 

"C’est étonnant de voir à quel point on avait raison. Après cet effondrement de la FI, il va être très dur de remonter la pente. L’adoption de la ligne populiste, c’est ce qui nous avait permis de frôler les 20% à la présidentielle. Cette ligne-là a été abandonnée, on en voit les conséquences. À l'heure actuelle, la FI est aussi faible que la droite. C’est une défaite", constate un ancien de la maison Mélenchon. 

Pour cet ex-insoumis, "tous les gains" récoltés en 2017 ont été perdus. "La structure gazeuse montre ses limites. On n'a aucun endroit pour parler", déplore-t-il, pointant du doigt la structure atypique du mouvement. Un sujet de crispation qui a, à maintes reprises, secoué LFI en interne. Récemment, ce fut à l'occasion du départ tonitruant du politologue Thomas Guénolé. À quelques jours du scrutin, le conseiller régional d'Île-de-France, Andréa Kotarac, a porté l'estocade en quittant LFI pour voter RN. Un symbole dévastateur.

Ruffin se tient à l'écart

Et maintenant, où va-t-on? Difficile d'y voir clair. Le député électron libre François Ruffin, à qui certains prêtent un conflit d'ambitions avec Jean-Luc Mélenchon, compte bien préserver son autonomie. Notamment à l'Assemblée nationale, où il planche sur divers dossiers, comme la privatisation d'Aéroports de Paris, objet d'un référendum d'initiative partagée. Son entourage assure auprès de BFMTV qu'il se tient bien à l'écart du bilan des européennes.

Un proche du mouvement résume bien l'impasse dans laquelle se trouve désormais le mouvement:

"Si on avait été à 9, 10%, c’aurait été une bonne occasion de remettre sur la table des débats qu’on n'a pas eus depuis deux ans, de changer de ligne, de faire évoluer notre offre. Mais avec 6%, qu’est-ce que tu veux faire évoluer?" 
Jules Pecnard et Anne Saurat-Dubois