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Yaël Braun-Pivet, une ascension éclair jusqu'à la présidence de l'Assemblée nationale

L'ancienne avocate pénaliste a été élue présidente de l'Assemblée nationale ce mardi après-midi. Son itinéraire express en macronie a fait d'elle une figure incontournable de la coalition présidentielle, en manque d'incarnation depuis la défaite de plusieurs ténors.

De l'incrédulité de "l'ancien monde" à son élection au perchoir. En cinq ans, Yaël Braun-Pivet s'est imposée sur les bancs de la coalition présidentielle jusqu'à parvenir à diriger l'Assemblée nationale, l'un des postes les plus prestigieux du monde politique. La députée des Yvelines accède au Perchoir à l'issue d'un second vote des députés. Retour sur son parcours fulgurant.

C'est en 2017 que cette avocate pénaliste, alors 46 ans au compteur et totalement inconnue, gagne à la surprise générale les législatives dans les Yvelines. À peine arrivée au Palais-Bourbon, celle qui est parvenue à faire tomber le député Jacques Myard après 24 ans à l'Assemblée nationale, part à l'assaut de la toute puissante commission des Lois.

Une élection surprise à la Commission des lois

Poste jusqu'ici réservé aux routards de la politique qui maîtrisent les arcanes de la vie parlementaire, c'est elle, la native de Nancy, qui l'emporte, sans pourtant être la candidate qui a alors les préférences de l'Élysée.

"Elle a débarqué sur l'estrade en débardeur, nous a fait un discours hyper sincère. Les vieux ont pris une baffe monumentale", raconte alors un participant au Point.

Il faut dire que le parcours de Yaël Braun-Pivet détone. Après une dizaine d'années à plaider, la jeune femme s'expatrie au début des années 2000 à Taïwan, au Japon où elle sera un temps trésorière de la section locale du Parti socialiste, et enfin au Portugal.

De retour en France, elle tente de monter une entreprise de location de chambres de courte durée avant de se lancer dans le bénévolat auprès des Restos du cœur, pour lesquels la quadragénaire ouvre le centre de Chanteloup-les-Vignes et organise des consultations gratuites d'avocat. En 2016, Yaël Braun-Pivet adhère à En marche, avant d'être élue députée.

Flottement

Mais à peine arrivée à la tête de la Commission des finances, ses premiers pas laissent perplexes. En plein débat sur la moralisation de la vie politique en juillet 2017, la présidente lâche, sévère, sur la responsable de texte, pourtant de son bord politique: "Elle est inexistante, c'est comme si elle était à Nouméa sur une chaise longue".

Avant d'estimer avoir face à elle "un groupe (de son bord politique, NDLR) qui dort,qui ne sait pas monter au créneau, qui est vautré", sans prendre garde à son micro, resté ouvert.

"Ses débuts ont été compliqués. Édouard Philippe disait des horreurs à son sujet, comme beaucoup des vieux briscards qui avaient l'étiquette LaREM mais qui faisaient de la politique depuis des années... Nous, on était comme elle, on découvrait ce monde, la rendant d'une certaine façon très sympathique", explique une députée macroniste auprès de BFMTV.com.

Le Canard enchaîné lui prête également la volonté de ne pas être présente le mercredi à l'Assemblée, jour où se réunissent les commissions, pour s'occuper de ses cinq enfants.

"Elle sait très bien défendre les intérêts de la macronie"

Une vive passe d'armes avec Robin Reda, alors député d'opposition, fait également les choux gras de la presse. Après un rappel au règlement de Yaël Braun-Pivet, l'élu de l'Essonne, alors âgé de 26 ans lui répond "vous pourriez être ma mère", avant de lui présenter ses excuses sur Twitter.

"On a senti beaucoup de flottement à son arrivée. Et puis, elle a eu une formation accélérée par les administrateurs de la Commission. Elle a développé un certain savoir-faire en faisant attention à tout ce que le monde puisse s'exprimer. Mais elle a aussi montré qu'elle savait très bien défendre les intérêts de la macronie", analyse Sébastien Huyghe, ex député LR et ancien membre de la Commission des lois auprès de BFMTV.com.

Parmi ses faits d'armes qui déplaisent fortement sur les bancs de l'opposition: son attitude lors de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla dont elle est alors co-rapporteuse. La députée des Yvelines refuse d'auditionner le secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler.

De quoi faire dire à Guillaume Larrivé, le co-rapporteur LR de la commission d'enquête, qu'elle est alors "entravée par la volonté d’un homme: Emmanuel Macron et par ses relais à l’Assemblée nationale aux ordres de l’Élysée".

En janvier 2019, Yaël Braun-Pivet ferme la porte à toute demande de réouverture de la commission d'enquête alors que la presse révèle de nouveaux éléments.

Apprentissage du pouvoir

C'est que l'ancienne avocate apprend et fait passer ses messages. Yaël Braun-Pivet lance ainsi une trentaine de visites-surprise de prisons, sans prévenir l'administration pénitentiaire, comme l'y autorisent les pouvoirs de la présidence, au grand dam du ministère de la Justice qui ne goûte guère l'initiative.

En pleine crise du Covid-19, elle est également à l'avant-poste des négociations entre le Sénat et l'Assemblée nationale pour faire imposer plus d'une douzaine de textes hautement sensibles.

"Elle a su faire preuve d'une grande servilité vis-à-vis du pouvoir et n'a jamais été dans l'ouverture. Pendant l'examen du pass vaccinal, nous avions le droit à une minute pour défendre nos amendements. On siégait jusqu'à 5 heures du matin... C'était une drôle de conception de notre travail", lâche Ugo Bernacilis, député insoumis et ancien membre de la Commission des finances.

Sans surprise, la macronie fait un examen différent de la situation.

"Elle a tenu la barre sur des sujets très compliqués et pas forcément dans notre ADN, comme sur la loi asile-immigration. Elle a pris de la densité à l'exercice de ses fonctions", juge ainsi un député Renaissance (ex-LaREM).

Une arrivée aux Outre-mer appréciée

Richard Ferrand, alors président de l'Assemblée nationale, ne s'y trompe pas et voit en elle une future concurrente pour le perchoir. De quoi tout faire pour qu'elle rentre au gouvernement en cas de réélection d'Emmanuel Macron.

Pari réussi: en mai dernier, alors que le remaniement traîne en longueur après la réélection d'Emmanuel Macron, elle est nommée au ministère des Outre-Mer, "le plus beau portefeuille qui soit", explique-t-elle lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur, Sébastien Lecornu.

Son arrivée est vue avec bienveillance parmi les députés ultramarins. Son rapport sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie a été apprécié, tout comme ses déplacements de présidente de la Commission des lois en Guadeloupe et en Martinique.

Mais, moins d'un mois après son arrivée au sein de l'exécutif, elle démissionne afin de pouvoir se présenter à la présidence de l'Assemblée nationale, au grand dam des parlementaires d'Outre-Mer. Il faut dire que la défaite de Richard Ferrand aux législatives a changé la donne. Battu à la surprise générale dans sa circonscription du Finistère, l'ancien socialiste comptait bien rester au perchoir pour cette nouvelle mandature.

Pas la candidate de Macron

Le champ est donc libre pour Yaël Braun-Pivet. Là encore, elle n'est pas la favorite de l'Élysée qui aurait préféré faire élire Roland Lescure, l'ex-président de la Commission des affaires économiques. Mais c'est elle et non ce dernier qui est désigné par les députés marcheurs lors d'un vote interne au groupe.

"Ce sont deux personnalités très différentes et elle a un côté très proche des députés que n'a pas du tout son concurrent. Et je pense que les marcheurs ont voulu lancer un signal en choisissant pour la première fois une femme pour la présidence de l'Assemblée nationale", décrypte un administrateur du Palais-Bourbon auprès de BFMTV.com.

Son profil laisse cependant dubitatif un ancien membre de la Commission des finances, membre du MoDem.

"Ça va tanguer tous les jours dans l'hémicycle et je la vois mal, elle, être dans un rôle d'écoute ou de dialogue alors qu'elle n'a fait que prendre ses ordres auprès d'Emmanuel Macron, même si tout le monde sait qu'elle est sympa. Il faudra 100 députés de chez nous tous les soirs pour voter et savoir les rappeler à l'ordre si nécessaire", avance cet ex-député.

Tenir les marcheurs et dialoguer avec les opposants

Charge désormais à Yaël Braun-Pivet de tenir à la fois les troupes de la coalition présidentielle, sans majorité absolue, et de se faire respecter des oppositions qui comptent bien jouer leur partition. Les insoumis ont déjà donné le ton.

"Elle a passé son temps à être désagréable avec nous. Et son arrivée à la tête de l'Assemblée nationale est tout sauf un signe d'ouverture", analyse l'insoumis Ugo Bernalicis.

La voilà prévenue.

Marie-Pierre Bourgeois