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Procès

"Vous n'arriverez pas à mettre Salah Abdeslam dans une case": les psychiatres témoignent au procès du 13-Novembre

L'accusé Salah Abdeslam devant la cour d'assises spéciale au palais de justice de Paris, le 13 avril 2022

L'accusé Salah Abdeslam devant la cour d'assises spéciale au palais de justice de Paris, le 13 avril 2022 - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

Les experts psychiatres qui ont examiné Salah Abdeslam ont témoigné ce jeudi devant la cour d'assises de Paris. Ils ont décrit un accusé bloqué entre deux postures, un endurcissement de son idéologie ou une ouverture.

"Un examen psychiatrique et psychologique ne peut être que décevant, voire insupportable. Le docteur Daniel Zagury, psychiatre et habitué des tribunaux, avait prévenu, son témoignage ne correspondrait pas forcément aux attentes des victimes sur la personnalité de Salah Abdeslam. Pour lui, qui l'a examiné avec un autre psychiatre, le docteur Bernard Ballivet, l'accusé est "banal", "un humain plutôt ordinaire qui s'est engagé dans une déshumanisation totalitaire".

"Participer à un crime de masse ne requiert pas d'être un grand malade, un grand pervers, un grand psychopathe, résume le psychiatre. Les crimes les plus abominables ne sont pas nécessairement faits par des sujets avec une personnalité pathologique."

Salah Abdeslam a longuement refusé cet examen. Peu de temps après son transfert dans une prison française, il a refusé de rencontrer les experts. En juin 2021, le prisonnier refuse une nouvelle fois de sortir de sa cellule. Entre-temps, le personnel pénitentiaire a noté "un épisode délirant qui a duré quelques semaines et qui peut être rattaché à un isolement strict". Le détenu était persuadé qu'on cherchait à l'empoisonner, qu'il y avait "de la colle" partout. Cet épisode a pris fin quelques semaines après que ses conditions de détention ont été légèrement assouplies.

"Une issue" pour Abdeslam

Hormis cela, les psychiatres ont "formellement écarté" chez Salah Abdeslam une "pathologie psychique". Le 12 novembre 2021, deux mois après le début du procès, l'accusé accepte de rencontrer les experts. Pendant 2h30, le seul membre encore en vie des commandos du 13-Novembre se montre "courtois", "manifestement attentif à peser chacune de ses paroles" et "soucieux de témoigner d'une image de lui-même en opposition à ce qu'on réverbérait de lui".

"Il y avait la crainte que notre expertise le déshumanise", se souvient Daniel Zagury.

Le "soldat de Daesh" tel qu'il se revendiquait au début du procès, a, pour la première fois la semaine dernière, présenté ses "condoléances" et ses "excuses" auprès des victimes et de leurs proches. "Il semble avoir évolué vers quelque chose de moins fermé, de moins contraint qui laisse entrevoir la possibilité d'une issue en dehors de cette carapace", note le psychiatre qui, dès la fin de l'année dernière, a senti une "oscillation" chez Salah Abdeslam entre deux "postures": entre un "enfermement" dans une idéologie radicale et "une ouverture, même modeste". Une ouverture selon lui "en germe".

"Ce qui est important de comprendre, c'est que les postures entre lesquelles il oscille ne sont pas prises dans le béton, on n'observe pas un enfermement définitif dans un carcan, ni un effondrement et une critique radicale de ce système totalitaire dans lequel il est enfermé, mais un enjeu conflictuel."

Un "perroquet" intelligent

Daniel Zagury a rencontré un bon nombre de jeunes radicalisés, des "perroquets" qui "récitent le bréviaire de tout radicalisé". Salah Abdeslam est lui un "perroquet intelligent". Pour comprendre, il faut faire appel aux principes de la psychiatrie. "L'enjeu aujourd'hui, c'est soit il renie, trahit à ses yeux, le camp totalitaire dans lequel il s’est engagé et qui l’a amené à surjouer l’islamiste, soit il se renie lui-même", note l'expert, qui a témoigné dans de grands dossiers criminels comme celui de Michel Fourniret ou de Guy Georges.

"L'enjeu pour lui, c'est de redevenir le petit gars de Molenbeek, ou le soldat de dieu", poursuit-il, n'excluant pas une radicalisation "postérieure" aux attentats pour "être plus royaliste que le roi". Pour l'expert, un effondrement de son endoctrinement pourrait présenter un "risque suicidaire".

Les faits en eux-mêmes, Salah Abdeslam a refusé d'en parler avec les deux experts. Pourquoi a-t-il renoncé comme il le dit? Les psychiatres n'ont pas de réponse. Pourquoi n'a-t-il, jusqu'alors, eu aucun mot envers les victimes? Il y a "un sentiment de culpabilité, en germe, mais qui est derrière des postures de prestance". Alors aujourd'hui, cette fissure dans cette "carapace" construite, qui "le protège des autres et de lui-même", ne pourrait-elle pas être une "dissimulation" dans son combat jihadiste?

"Il est très contrôlé mais en même temps honnête", relève Bernard Ballivet.

Faut-il attendre alors, grâce au procès, une explication au parcours de Salah Abdeslam? "Ce qui nous apparait comme contradictions, mensonges, ne sont peut-être que le reflet de la coexistance de plusieurs registres chez la même personne à un moment donné", tranche Daniel Zagury. Et de conclure: "Si vous essayez de le mettre dans une case, vous n'y arriverez pas."

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV