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Procès

"Tueur difficile", "joueur de poker", "adaptation": le portrait noir de Nordahl Lelandais par l'ex-procureur de Grenoble

Croquis d'audience du 7 février 2022 de Nordahl Lelandais pendant son procès pour le meurtre de Maëlys de Araujo à la cour d'assises de Grenoble

Croquis d'audience du 7 février 2022 de Nordahl Lelandais pendant son procès pour le meurtre de Maëlys de Araujo à la cour d'assises de Grenoble - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

Jean-Yves Coquillat était procureur de la République de Grenoble lorsque Maëlys a disparu. Il est revenu sur l'enquête menée sous son autorité mais aussi la personnalité de Nordahl Lelandais.

"Toutes les affaires qui touchent les enfants sont particulières, elles marquent, on ne les oublie pas, jamais." Jean-Yves Coquillat était le procureur de la République de Grenoble quand Maëlys de Araujo a disparu dans la nuit du 26 au 27 août 2017. Jusqu'à la nomination d'un juge d'instruction, c'est ce magistrat, aujourd'hui à la retraite, qui a conduit l'enquête dont il évoque les difficultés ce vendredi devant la cour d'assises de l'Isère.

"La tâche principale que je m'étais fixée était de retrouver Maëlys vivante ou morte, confie Jean-Yves Coquillat. Ce travail n'a pas été fait à bien lors de l'enquête de flagrance. Il a été fait pendant l'instruction avec le travail technique (...). Nous avons rempli une partie des objectifs, c'est à dire pouvoir répondre à la première question", où se trouve Maëlys.

Pendant les premiers jours, "je maintenais qu'il fallait penser que Maëlys pourrait être encore en vie", se souvient l'ancien procureur. "Et je ne voulais en aucun cas que notre action puisse mettre Maëlys en péril si elle était détenue quelque part", insiste-t-il.

"Un tueur d'enfant très difficile"

Pourtant, les enquêteurs sont rapidement empêchés par l'attitude de Nordahl Lelandais, selon le magistrat.

"Nordahl Lelandais est un menteur, un séducteur, un usurpateur, très clairement quelqu'un d'organisé et qui s'adapte à toutes les situations. Lorsqu'on lui pose une question spontanément, il ne vous dira pas la vérité. Ca en fait un tueur d'enfant très difficile", déclare-t-il d'emblée.

Deux éléments ont compliqué l'enquête: la "stratégie" de Nordahl Lelandais et sa "tactique" de défense. Sa stratégie a consisté à nier, nier son implication, puis nier l'enlèvement, enfin nier le meurtre. Jean-Yves Coquillat, tel un professeur de droit, indique que la violence, la contrainte mais aussi la ruse peut caractériser juridiquement l'infraction d'enlèvement. Car selon l'ex-magistrat, Nordahl Lelandais sait qu'il encourt une peine moins lourde si l'enlèvement n'est retenu. Idem pour la qualification de meurtre. L'ancien procureur rappelle que la version de l'accusé a évolué selon les éléments de l'accusation. Une stratégie de "joueur de poker".

"Cela en fait quelqu'un d'extrêmement dangereux, il évolue, il s'adapte", tranche l'ancien magistrat.

"Le fait d'enlever un enfant n'est pas anodin surtout quand on a tué quelqu'un quelques mois auparavant. Son comportement, ne pas avouer, il a tout fait pour retarder l'issue sur la découverte du corps. Il est évident que quand on découvre un corps quelques mois après, on a très peu de chances de découvrir des choses intéressantes. Et surtout les expertises psychiatriques. C'est un garçon qui sait s'adapter. Nul doute que s'il recommençait aujourd'hui, il ne ferait pas les mêmes erreurs."

"Un fait divers pas comme les autres"

Sa "tactique" de défense, conseillée par ses avocats selon l'ex-procureur, a reposé sur la décrédibilisation de l'enquête.

"Le travail médiatique a failli payer", rappelle-t-il, amer.

D'autant que la médiatisation de l'affaire en fait une particularité. "Les affaires de meurtres d'enfant remuent particulièrement l'opinion publique, celle-ci n'a pas dérogé à la règle. C'est très trivial de le dire mais la victime était une enfant jolie et très photogénique, qui attirait la sympathie. Chacun peut s'assimiler à cette enfant, à cette famille."

"Ce fait divers pas comme les autres", comme l'a fait remarquer Jean-Yves Coquillat, s'est aussi confronté à l'absence de preuves, notamment causé par le "silence" de l'accusé.

"Il nous fallait un ensemble de preuves absolument irréfutables, précise le magistrat.

Évoquant la vidéo où l'on voit une forme blanche dans la voiture de Nordahl Lelandais au moment de la disparition de Maëlys, il appuie son point. "Pour nous c'était suffisant mais pas suffisant pour obtenir des aveux, là encore il fallait continuer." La découverte d'une goutte de sang sera décisive.

"C'est rare mais ce n'est pas une attitude exceptionnelle, estime Jean-Yves Coquillat. En revanche être confronté pendant des mois à la souffrance de la famille, c'est une épreuve pour la conscience, encore faut il avoir une conscience."

"Submergé" par l'émotion

A regret, l'ex-procureur ne peut que constater que Nordahl Lelandais n'est pas renvoyé devant la cour d'assises de l'Isère pour l'agression sexuelle de la fillette. "Ce que je pensais, c'est que Nordahl Lelandais l'avait enlevé pour la violer et la tuer pour la simple et bonne raison qu'on n'emmène pas un enfant pour aller voir des chiens, ça n'a ni queue ni tête. Surtout quand on est pédophile, car quelqu'un qui se filme en train de toucher le sexe de très jeunes enfants est un pédophile."

"Ce fait divers pas comme les autres", Jean-Yves Coquillat l'a vécu aussi d'un point de vue personnel. L'ex-magistrat est revenu sur ce 14 février 2017, jour de découverte des restes de Maëlys. Face à ce qu'il qualifie de "cinéma" de Nordahl Lelandais quand celui-ci s'est mis à genoux pour implorer le pardon de la fillette juste après avoir indiqué où se trouvait ce corps, l'ex-procureur se souvient avoir été "submergé" par ses émotions.

Ce 14 février, le procureur de l'époque doit donner une conférence de presse pour mettre fin à ces six mois d'incertitude sur le sort réservé à la fillette. Il arrive alors à Pont-de-Beauvoisin, se gare sur le parking où l'attend le maire de la ville. Il lui demande alors un endroit pour s'isoler, reprendre ses esprits. "Il m'a prêté son bureau", se souvient-il, expliquant s'être entretenu avec son adjoint. Il demande alors à ce dernier de le laisser seul.

"Je me sentais submergé par l'émotion et je ne le voulais pas", raconte-t-il.

"Je sais très bien que personne ne me croira sur ce que je pourrais dire, même mes émotions, on ne les croit pas", répondra simplement Nordahl Lelandais.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV