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Procès

Des méthodes de "voyous": jusqu'à deux ans de prison requis au procès de la CSI 93

Quatre policiers de la CSI 93 étaient jugés ce mercredi pour une intervention violente à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis en 2019 menant à des interpellations soupçonnées d'être arbitraires. La justice les soupçonnent aussi d'avoir falsifié leur procès-verbal.

Comment une intervention aussi anodine pour l'équipage "Alpha 2" de la CSI 93 a pu conduire quatre policiers de cette unité devant le tribunal correctionnel de Bobigny? "Est-ce que quelqu'un a dit pourquoi il y avait un contrôle? Qu'est-ce qui justifie ce contrôle? Pourquoi vous le poussez? Pourquoi vous le frappez en premier? C'était quoi la rébellion? Pourquoi vous signez le procès-verbal sans l'avoir lu?" Autant de questions posées par le tribunal qui a tenté de faire l'autopsie de cette opération policière ratée pour laquelle ces quatre agents sont jugés, sans toujours y parvenir.

"Nous n'avons pas besoin d’une police qui fonctionne comme ces quatre policiers ont pu fonctionner", a déploré le procureur de la République de Bobigny lors de son réquisitoire sévère. Il a requis entre six mois avec sursis et deux ans de prison dont un an avec sursis à l'encontre des quatre prévenus jugés, notamment, pour des violences lors d'une interpellation et la falsification du procès-verbal en résultant. "Ils ont sali l’image de cette institution" a poursuivi le représentant du parquet évoquant ceux qui "se sont comportés comme des voyous".

Un motif de contrôle flou

"Quand j'ai senti que j’étais menacé, je lui ai porté des coups", maintient Riahd B. Le 30 mai 2019, c'est lui le chef de l'équipage qui vient de patrouiller dans la cité Emile Cordon, lieu de deal connu des autorités comme l'ont martelé les quatre policiers à l'audience. "Ça personne ne le nie", lance le procureur. Leur présence est signalée par les guetteurs. "On nous annonce par la radio que des individus partent en courant", explique Loïc P., la quarantaine, cheveux ras gris. "Ça peut être légitime de partir en courant mais c’est aussi parce qu’on a des choses à se reprocher", abonde son ancien collègue Yohann P., à la carrure athlétique.

Les policiers l'assurent, de par leur expérience, les "fuyards" se réfugient toujours vers la rue Claude-Monet, à quelques pas de la cité, "faisant semblant" de vaquer à leurs occupations pour échapper à une interpellation. "Où sont ces personnes qui courent dans la rue?", interroge le procureur. Pendant l'enquête et devant le tribunal, les policiers ont évoqué une "ambiance tendue". "C'est pas forcément des gens qui vous lancent des cailloux, c’est du ressenti, des regards, des insultes", tente d'expliquer Yohann P.

"Le sac du goûter"

Arrivé le premier dans la rue, il est rapidement rejoint par son collègue Olivier D. et leur chef Riahd B. Pourquoi contrôler Jonathan S., un homme de 36 ans, assis devant le salon de coiffure dont il est propriétaire écoutant de la musique? "Il existe une ou plus raisons plausibles que les individus qui sont là peuvent avoir commis une infractions", justifient désormais les policiers. Lui est ciblé parce qu'il écoute de la musique.

Jonathan S. les questionne d'abord sur leur motif de leur contrôle, sans obtenir de réponse, finit par accepter de se relever. A ce moment-là, le brigadier-chef lance discrètement derrière lui un sac plastique, contenant du cannabis. "Je l'ai vu" martèle devant le tribunal la victime. Le policier nie évoquant "le sac du goûter" d'un de ses collègues. Pourquoi jeter ce sac? "Pour débloquer la situation, je voulais lui dire qu’il y avait un sac pour qu’il change d’attitude et qu’il se laisse faire", se défend-il disant "regretter son geste". Yohann P. avait d'ailleurs évoqué une "ruse" nécessaire devant le juge d'instruction.

"Il y a la loi qui protège les gens qu’on contrôle…. La loi ne nous protège pas sur l’instant T d’un accident tragique", énonce-t-il aujourd'hui devant le tribunal.

"On n'en serait pas là"

Contrôle peu motivé, "ruse" difficile à justifier, le tribunal reproche aussi aux policiers des violences. Pendant l'interpellation, Jonathan S. finit par se retourner face au mur pourqu'Olivier D. réalise des palpations en vue de l'interpeller. A cet instant, le brigadier-chef l'attrape par les chevilles pour le faire tomber au sol en vue de l'interpeller. "C’était quoi la rébellion?", s'étonne la présidente du tribunal. "A partir du moment où il résiste pendant tout le contrôle avec ses bras...", peine le policier.

"Mais est-ce que ce n’est pas une rébellion violente?", insiste la magistrate. "Quand on a déjà passé une dizaine de minutes à négocier pour qu’il se lève, dix autres pour qu’il se retourne... A la base ce n’est pas moi qui entre dans le conflit, c’est lui qui refuse de se faire contrôler", maintient le policier. "Si M. S. s’était contenté de se laisser contrôler, on n'en serait pas là aujourd’hui", abonde son ancien chef.

"Vous êtes deux, lui il est bloqué par un mur, est-ce que c’était la meilleure solution?", rétorque la juge. "En tant que chef de groupe j’étais bloqué, soit je laissais faire mais on perdait le terrain, tente de se défendre Riahd B. Il allait se vanter auprès des autres, après on n'a plus de crédibilité."

Crâne rasé, veste en cuir, l'ancien chef du groupe "Alpha 2" est jugé aussi pour des violences sur Louqmane T. Malgré ces trois dernières années où il ne fait plus partie de la police, il n'a pas perdu son langage administratif, presque déshumanisé, comme il lui a été reproché, évoquant "un individu dangereux". "Il n’avait pas à rentrer dans ce périmètre, explique-t-il. "Je le vois se prendre la tête avec Loïc P. Je l’ai vu en difficulté. En tant que chef de groupe, je me suis levé."

Des vidéos décisives

Dans ce dossier, Me Raffaëlle Guy, l'avocate des parties civiles et le procureur de Bobigny l'ont rappelé, sans les vidéos de l'épicerie devant laquelle les faits se sont déroulés, Jonathan S. et Louqmane T. "n'auraient jamais été crus". Sur ces images, diffusées à l'audience, il apparaît clairement que c'est l'ancien brigadier-chef qui va au contact du jeune homme, manifestement calme, en le poussant violemment avant de lui asséner le premier coup. "J'ai senti qu'il voulait en découdre", confirme une nouvelle fois l'ancien policier.

"C’est ça qui fait mal, c’est de savoir que s’il n’y avait pas eu les caméras pour moi c’était foutu", exprime aujourd'hui Jonathan S., qui avait poussé son compagnon d'infortune "en état de choc" à la sortie de sa garde à vue à porter plainte.

De tous les faits qui leur sont reprochés, c'est pourtant pour "faux en écriture par personne dépositaire de l'autorité publique", qu'ils encourent la peine la plus lourde. Loïc P. assure l'avoir rédigé au commissariat de Saint-Ouen "sur un bureau avec beaucoup de passage et du brouhaha", avec le "stress" de l'interpellation. Les autres assurent l'avoir signé sans le lire. "Les erreurs, les inexactitudes dans ce PV vont dans un seul sens, vers l’accusation" des deux jeunes contrôlés, relève le procureur qui évoque "un PV faux de A jusqu’à Z".

"Nous n’avons pas besoin d’une police comme ça", poursuit le magistrat.

Le parquet a demandé l'inscription au casier judiciaire des quatre hommes des éventuelles condamnations prononcées par le tribunal, qui a mis son jugement en délibéré au 15 juin. Une mention qui leur empêcherait d'exercer le métier de policier.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV