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Police-Justice

Poursuivie en diffamation pour avoir dénoncé des mauvais traitements sur des enfants

Céline Boussié le 19 septembre 2017 à Toulouse

Céline Boussié le 19 septembre 2017 à Toulouse - Pascal Pavani-AFP

Elle est accusée de diffamation. Cette ancienne employée d'un institut médico-éducatif est poursuivie par son ancien employeur. Céline Boussié avait dénoncé des mauvais traitements subis par les enfants handicapés accueillis dans ce centre.

Elle avait dénoncé les mauvais traitements que subissaient les enfants handicapés dans l'institut médico-éducatif (IME) de Moussaron, à Condom dans le Gers, alors qu'elle y travaillait. Aujourd'hui, elle est poursuivie pour diffamation par son ancien employeur.

"Le courage de dénoncer une situation inacceptable"

Céline Boussié, présidente de l'association Handi'gnez-vous, qui lutte contre la maltraitance des personnes handicapées, et ancienne salariée de cet IME, a dû faire face à la justice mardi au tribunal correctionnel de Toulouse. La directrice de l'institut lui reproche des propos tenus en 2015 sur Europe 1 -également poursuivie- et LCI. Propos que l'avocat de Céline Boussié, contacté par BFMTV.com, ne souhaite pas répéter.

"Ma cliente a le sentiment d'être persécutée", assure Fiodor Rilov. "Et elle attend que la justice rende une décision de relaxe qui permettrait de remettre les choses à l'endroit. Elle a eu le courage de dénoncer une situation inacceptable qui durait depuis des années. Grâce à son intervention, des mesures ont pu être prises. Il est incompréhensible et anormal qu'elle soit sur le banc des accusés. Elle doit être reconnue comme une lanceuse d'alerte, quelqu'un qui a eu le courage de prendre ses responsabilités pour faire ce que son devoir lui dictait."

"Enfermés la nuit dans des cages en verre"

"Pour avoir fait mon travail, pour avoir protégé des enfants, c'est moi qui suis sur le banc des accusés", s'indignait-elle aussi sur le site d'informations régionales Mediacités. Embauchée en 2008 comme aide médicale psychologique dans cette structure privée qui reçoit des financements publics, Céline Boussié assure constater "dès le départ" de graves anomalies dans l'accueil de ces enfants polyhandicapés.

"Nous étions deux aides médico-psychologiques pour dix, voire douze enfants. Il fallait tout faire, le ménage, les repas, la toilette. Les filles et les garçons n'étaient pas séparés. Une petite fille de 5 ans pouvait être lavée en même temps qu'un adolescent de 15 ans. Nous n'avions pas le temps pour du travail éducatif", a-t-elle témoigné pour Libération.

Céline Boussié assurait aussi que "des enfants étaient enfermés la nuit dans des cages en verre de 3 m², sans poignée. Comme au zoo. Bourrés de médicaments". Des images choquantes dévoilées dans un reportage de Zone interdite -diffusé au procès- qui montre en caméra cachée des enfants attachés à leurs lits, l'un d'entre eux enfermé dans un débarras, ou faisant leurs besoins dans un seau.

"Des coups portés aux enfants"

Céline Boussié avait alerté l'Agence régionale de santé (ARS) en 2013, qui avait ouvert une enquête et constaté de "graves dysfonctionnements dans les conditions d'installation et de fonctionnement", dans un rapport alarmant. Des dysfonctionnements "susceptibles d'affecter la santé, la sécurité, le bien-être physique et moral, le respect de la dignité et de l'intimité des jeunes accueillis". L'ARS dénonçait une situation de "violence institutionnelle" et déplorait que les dysfonctionnements relevés dans plusieurs précédents rapports n'aient pas été corrigés. 

L'ARS pointait ainsi l'absence de surveillance des enfants polyhandicapés entre 19 heures et 20 heures, la lumière des dortoirs allumée lors des rondes de nuit, la contention de la majorité des enfants, des lits "cages" trop petits, des boxes transparents fermés à clé, pas de différenciation entre espace de nuit et salles de bains, ainsi que des sanitaires sans cloisonnement.

Une plainte classée sans suite

La ministre déléguée aux Personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti, avait alors placé l'établissement sous tutelle -ce qui n'est plus le cas aujourd'hui- et déposé une plainte pour abus de bien social et abus de confiance, qui a été classée sans suite.

Devant la présidente du tribunal, Céline Boussié, larmes aux yeux, a raconté mardi l'horreur que vivaient selon elle les enfants. "Trait pour trait, c'est ce que je voyais", a-t-elle témoigné, avant d'affirmer qu'elle avait aussi assisté à pire: "l'enfermement d'une jeune fille pendant dix jours", "des coups portés aux enfants", "une clef au bras" à un "petit pour qu'il ouvre la bouche".

"Je ne vous apprends pas votre métier mais si je ne dénonce pas c'est trois ans de prison et 45.000 euros d'amende", a-t-elle poursuivi, se demandant "comment il est possible de vouloir protéger les enfants et se retrouver vilipendée sur la place publique" comme elle l'a été. 

À la barre, un psychomotricien a également fait part de "l'indigence des soins accordés aux enfants" et de leurs "conditions de vie indignes", rapporte Le Monde.

L'ONU dénonce "l'impunité" de l'institut

Comme le rappelle Le Monde, trois autres salariés de l'établissement, qui avaient porté les mêmes accusations avant d'être licenciés, ont quant à eux été précédemment condamnés pour diffamation. Un de ces lanceurs d'alerte, Didier Borgeaud, a écopé en 1997 de six mois de prison avec sursis

Le centre pourrait passer sous le contrôle de l'Agapei, une association de gestion d'établissements et services pour personnes en situation de handicap. "Il y a des discussions en vue d'une éventuelle reprise", confirme l'Agapei à BFMTV.com. En octobre 2014, l'agrément de l'institut a été renouvelé par l'ARS, qui a réduit ses capacités d'accueil de 85 à 55 places. "L'établissement ne ressemble plus du tout aujourd'hui à ce qu'il pouvait être au moment de l'inspection", assure à BFMTV.com l'ARS Occitanie. "Cela n'a plus rien à voir. Beaucoup d'actions ont été menées pour améliorer les conditions d'accueil et de sécurité."

Le quotidien du soir rappelle que "sur les dix plaintes déposées contre l'institut par des familles et celle déposée par la ministre de l'époque, aucune n'a abouti à un procès". Le rapporteur de l'ONU pour les droits de l'enfant a pourtant pointé en 2016 "l'impunité" de l'institut. Le jugement a été mis en délibéré au 21 novembre. Des poursuites judiciaires à l'encontre de l'IME sont-elles envisageables? Selon l'avocat de Céline Boussié, "rien n'est exclu".

Céline Hussonnois-Alaya