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Pédocriminalité dans l'Église: "Ce n’est pas en autorisant le mariage qu'on règlera le problème"

Photo d'illustration.

Photo d'illustration. - ANDREAS SOLARO © 2019 AFP

Après la publication du rapport sur les abus sexuels dans l'Église, certains responsables politiques ont appelé à l'autorisation du mariage des prêtres, y voyant une solution pour mettre un terme aux violences sexuelles. Une proposition qui revient régulièrement comme élément de réforme de l'Église, mais qui trouve peu de soutiens au sein de l'institution et des experts.

L'image est souvent galvaudée. Elle semble cette fois l'une des rares à pouvoir décrire l'événement: c'est une onde de choc qu'a suscitée le rapport présenté mardi par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase). Mortifiée, la Conférence des évêques de France a reconnu un document "accablant" et le pape a confié son "immense chagrin" et sa "honte" devant l'ampleur du phénomène pédocriminel abrité par l'Église hexagonale entre les années 1950 et 2020.

Aussitôt, une partie de la classe politique a tenu à proposer une solution apparemment miracle.

"Cela doit poser la question à l’Eglise catholique du mariage de ses prêtres", a ainsi lancé Jean-Christophe Lagarde, député élu en Seine-Saint-Denis et président de l'UDI.

Olivier Becht, député alsacien qui préside le groupe Agir à l'Assemblée nationale, a renchéri: "Si j’étais à la place de l’Église catholique, je m’interrogerais sur des évolutions nécessaires comme la chasteté des religieux ou la fin du célibat des prêtres".

Une suggestion qui reflète l'idée, courante dans l'opinion, que la chasteté sacerdotale tiendrait de l'anomalie, d'un anachronisme coupable, une discipline au fond intenable à l'origine de toutes les déviances.

Pourtant, pour les spécialistes interrogés par BFMTV.com, cette conception témoigne seulement d'une méconnaissance des ressorts du fléau pédophile au sein de l'Église, tandis que celle-ci déplore l'incompréhension autour de la signification de la règle du célibat.

"La pensée magique"

"Ce n’est pas du tout en autorisant le mariage que vous règlerez le problème! C’est comme quand on dit que si on rouvrait les maisons closes, il y aurait moins de violences sexuelles. C’est la même logique et dans les deux cas, ça n’a pas de rapport", rembarre ainsi Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier au CHU de Montpellier, expert en psychiatrie légale. Et il connaît d'autant mieux le sujet qu'il collabore depuis 2012 avec le diocèse héraultais sur la question des abus sexuels et participe à une cellule d'écoute, mise en place par ce dernier, depuis 2016.

La psychologue clinicienne lyonnaise Sonia Benzemma travaille quant à elle auprès de l'association L'Ange Bleu, qui vise à prévenir le passage à l'acte pédocriminel. Elle met en garde contre le recours à ce genre de "pensée magique":

"Comme si le mariage empêchait le père incestueux de l’être..."

Le rapport de la Ciase rappelait d'ailleurs que 50% des victimes sont agressées dans un cadre familial. "C'est pire que ça", prolonge Mathieu Lacambre: "Dans neuf cas sur dix, la victime connaît bien son agresseur." Sans que le mariage ou l'absence de "chasteté" ne change quoi que ce soit.

"Un passage à l’acte est toujours à interroger au regard de l’histoire de la personne, et du contexte", souligne Sonia Benzemma.

Des raisons structurelles

Tout de même, avec 216.000 victimes - 330.000 si l'on prend en compte les agresseurs laïcs ayant agi dans un cadre ecclésial - en l'espace de sept décennies, les estimations de la Ciase produisent un effet de masse qui plaide en faveur de causes "systémiques", selon les mots employés mardi par le président de la commission, Jean-Marc Sauvé.

Les causes structurelles existent bel et bien. "C’est un ensemble: le célibat, le huis-clos, la répression de la sexualité, les motivations conscientes et inconscientes de cet engagement notamment à la chasteté", liste la thérapeute lyonnaise. Son confrère, Mathieu Lacambre, voit aussi dans ce dernier point "un facteur favorisant", déplorant "l'idée, l'illusion qu’en prononçant ses vœux, on règle la question sexuelle".

En tant que père supérieur de séminaire, Olivier de Cagny a reçu la visite de huit membres de la Ciase. La formation du clergé était en effet au coeur des travaux de la commission. Durant celle-ci, le pédagogue s'assure d'ailleurs que le futur prêtre ne fait pas fausse route. "Dans le questionnaire que je fais pour la sortie de séminaire, je demande: ‘Le séminariste a-t-il une juste estime de tous les états de la vie?’ Il ne s’agit pas de mépriser le mariage, ce ne serait pas un vrai célibat", éclaire Olivier de Cagny.

"Si l'on constate qu’un séminariste n’a pas choisi son célibat d’abord pour le service de l’Église et du Christ, on va lui proposer un accompagnement psychologique. Et je peux dire à un séminariste: ‘Tu n’es pas encore apte à être prêtre car ta vision du célibat n’est pas juste, il y a une peur, un problème avec le mariage’. Et on voit si ça bouge".

Et "si ça ne bouge pas", on dira à l'intéressé de se chercher une autre profession.

Pour le père Olivier de Cagny, "les gens ne comprennent pas ce que nous voulons vivre et manifester par ce célibat". Pour lui, la question d'une réforme en ce sens ne se pose pas. "Je suis heureux de mon célibat", assure celui qui est père supérieur du séminaire du diocèse de Paris. Il développe: "Ça ne veut pas dire que je ne ressens jamais ça comme un renoncement, mais je ressens une liberté intérieure, je me sens à ma place. Et ça me permet aussi de me sentir proche des gens seuls - qu'ils subissent ou aient choisi cette solitude, ou aient été isolés par les drames de la vie."

Une "liberté intérieure" qui résonne d'ailleurs comme un écho de cette observation du psychiatre montpelliérain.

"J’ai rencontré des hommes d’Eglise qui sublimaient cette question de l’abstinence. Ils s’épanouissaient vraiment dans la chasteté. Quand il y a cette sublimation, la question de la sexualité se détache de l’appareil génital, du corps".

Le célibat, une histoire heurtée

Cette astreinte à l'abstinence n'a rien d'évident, à l'origine, pour l'Église. Abordée dès 305 et le concile d'Elvire en Espagne, cette idée est raffermie au XIe siècle par la réforme grégorienne. Mais on attendra la Contre-Réforme au XVIe et XVII siècle - après une fin de Moyen-âge et une Renaissance qui auront vu de nombreux prélats et même quelques papes avoir des enfants sans chercher spécialement à le dissimuler - pour que l'interdit de la conjugalité entre dans les moeurs.

Le célibat découle en fait de plusieurs sources. Et, historiquement, ses premières justifications sont plus économiques que métaphysiques: on le privilégie pour éviter une éventuelle transmission de richesses patrimoniales et des charges liées à la paroisse à travers la constitution d'une caste de prêtres.

Mais la théologie donne bientôt un supplément d'âme à ce tableau: renoncer au mariage s'impose comme le signe d'un amour dépassant jusqu'à la forme de l'union, et en filigrane, de la vie triomphant de la mort. "Un jour, on m’a demandé pourquoi j’avais fait ce choix, j’avais répondu: ‘Je suis célibataire pour que vous puissiez me poser cette question et que ça éveille en vous une question qui va plus loin’", sourit encore aujourd'hui Olivier de Cagny.

Enfin, l'ultime fondement du célibat du clergé mêle dogme et pastorale: le prêtre est un "alter christus", "un autre Christ" qui en imite le modèle et en répète les actes. Une notion potentiellement dangereuse pour notre interlocuteur qui pointe ici une cause possible de ces affaires qui bouleversent actuellement l'Église.

"Si elle sert à sacraliser le prêtre, en en faisant un intouchable, un homme sans défaut auquel il faudrait obéir en tous points, c’est dramatique".

Des êtres de libido malgré tout

On entre à tout âge au séminaire. Malgré tout, ce sont par définition en majorité des jeunes hommes qui y débarquent. Et ceux-ci sont travaillés par les mêmes hormones que leurs camarades laïcs. Comment parler célibat et chasteté à ces vingtenaires? "On leur tient un discours de vérité et de réalisme: on est des êtres de libido, avec des images dans notre mémoire, des événements peut-être, des désirs peut-être contradictoires", retrace le père supérieur.

Mathieu Lacambre range cette parole plus libre, plus décomplexée qu'auparavant, au nombre des évolutions positives de l'Église. "Aujourd’hui au sein même de l’Église, on arrive plus facilement à considérer la question de la sexualité en-dehors du mariage, à évoquer la question de la masturbation des prêtres etc.", illustre-t-il.

La meilleure manière d'éviter le mur

Psychiatres, prêtres tombent d'accord. C'est en amont des thèmes du célibat et donc du mariage des prêtres que se rencontrent les gageures que l'Église doit désormais affronter pour juguler la pédocriminalité qui la salit et a provoqué, déjà, tant de tourments autour d'elle. Ceux-ci interrogent aussi bien les règles, les structures collectives que les individus.

Dans un cas comme dans l'autre, honnêteté et lucidité s'imposent comme des impératifs. Mathieu Lacambre avance un dernier conseil à l'intention des séminaristes et des prêtres entrant dans leur sacerdoce et que cette actualité pourrait troubler. "Je leur dirais d’être au clair avec eux-mêmes, avec le processus qu’ils engagent", pose le psychiatre qui achève: "Quand on est plus au clair avec sa sexualité, on a moins de risque de se prendre le mur."

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV