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"On flirte avec une forme de grand banditisme": les aliments des fêtes, une cible prisée des voleurs

Huîtres, foie gras, truffes, saumon, fromages... À l'approche des fêtes de fin d'année, les forces de l'ordre portent une attention toute particulière aux aliments stars, très prisés des voleurs.

Le 27 novembre au matin, quand Régis Junqua arrive dans son exploitation, la bergerie du Tilh, à Artigueloutan (Pyrénées-Atlantiques), la porte est fracturée. Dans la salle d'affinage, 200 fromages ont disparu, "le travail d'une année", selon lui. Grâce à ses caméras de surveillance, Régis Junqua a pu voir les cambrioleurs: deux hommes, cagoulés et équipés de frontales, qui se sont introduits dans les locaux la nuit précédente.

"Ce qu'on voit, c'est qu'ils sont organisés, calmes et qu'ils font les choses de manière très méthodique", a expliqué l'agriculteur à BFMTV.

Car les voleurs savaient exactement ce qu'ils cherchaient, selon lui: "L'attaque était ciblée puisque ce sont les fromages les plus vieux qui ont été cambriolés", et donc les plus chers. À la clef, un préjudice financier de 20.000 euros, mais aussi moral pour l'exploitant: "C'est le travail d'une année qui a été volée par on ne sait pas qui".

Et ce vol est loin d'être un cas isolé dans la région. "Il y a eu énormément de cambriolages, tout autour de chez nous, dans des épiceries locales, chez un producteur de jambon, chez un producteur de canard. C'est quelque chose qui est de plus en plus fréquent à l'approche des fêtes de fin d'année", a détaillé le fromager.

"Des professionnels de la délinquance"

Mais le problème ne concerne pas uniquement le département. Partout en France, producteurs et artisans redoutent le vol de leurs marchandises à quelques semaines de Noël. Parmi les mets incontournables des fêtes de fin d'année, il y a évidemment le foie gras. Dernier exemple en date, mi-octobre, où deux conserveries du Lot ont été cambriolées à quelques jours d'intervalle. Résultat, 800 kilos de foie gras volés et un butin estimé à 150.000 euros.

Car, ce ne sont pas les canards que cherchent les cambrioleurs, mais bien le produit fini, prêt à être dégusté: "On ne vole jamais un foie de canard, ça ne coûte rien, mais une fois qu'il a été travaillé, ça prend de la valeur", détaille Joffrey Conte, capitaine du groupement de gendarmerie de Dordogne, un département lui aussi touché par la problématique.

"On constate des vols de fret, notamment quand les camions sont stationnés sur les aires d'autoroute, des vols directement dans les entrepôts des grossistes, mais aussi des vols à main armée dans certains magasins", explique à BFMTV.com Alain Rossi, procureur de la République de Cahors, qui a ouvert une enquête après le cambriolage des deux conserveries.

"Ça devient risqué à partir du moment où le produit est sous vide, car il est prêt à la revente", ajoute Joffrey Conte.

D'autant, qu'à l'inverse des vols à l'étalage, "réalisés par le citoyen lambda, par opportunisme ou en raison de l'inflation, ceux dans les entrepôts ou les camions sont très organisés", enchaîne le capitaine.

"Certains sont des professionnels de la délinquance, car ce sont des quantités énormes et derrière, il faut un système de revente, à l'étranger ou chez des grossistes", ajoute le gendarme.

Pour le procureur de la République de Cahors, plus que l'augmentation des vols, c'est le niveau de délinquance qui a évolué: "On flirte avec une forme de grand banditisme, les auteurs prenant des précautions identiques à celles de braqueurs chevronnés comme l’utilisation de cagoules, la désactivation des téléphones, l’utilisation de détergents pour rendre les analyses ADN impossibles, l'utilisation de véhicules volés et faussement plaqués", analyse Alain Rossi.

"Le déplacement d'un camion, c'est la partie sensible"

Mais en Dordogne et dans le Lot, un autre mets prestigieux fait aussi l'objet de toutes les surveillances: la truffe. À l'inverse du foie gras, ce n'est pas tant le produit qui intéresse les voleurs, mais l'argent qu'il génère.

"La truffe, c'est vendu essentiellement sur les marchés, et comme c'est cher, ça brasse énormément d'argent liquide", explique Joffrey Conte.

"Les voleurs repèrent directement sur les marchés les vendeurs qui ont beaucoup de liquide, ils les suivent chez eux ensuite et ils cambriolent leur domicile pour récupérer l'argent", poursuit le gendarme.

Pour lutter contre ces vols, les forces de l'ordre échangent régulièrement avec les entreprises locales. "D'abord, on met en place une évaluation gratuite pour les exploitants pour repérer les signaux et les faiblesses de leur sécurité", explique Joffrey Conte.

"On leur conseille de ne pas avoir de surstocks, d'installer des alarmes, des caméras de surveillance et des coffres-forts, et d'essayer de ne pas avoir trop d'argent liquide dans les locaux, de le déposer régulièrement à la banque", poursuit le gendarme.

Pour les camions qui transitent avec des marchandises précieuses, telles que le foie gras ou les truffes, certaines mesures de protection existent aussi.

"Le déplacement d'un camion, c'est la partie la plus sensible, il ne faut pas qu'il dorme dehors car le camion est vulnérable", ajoute Joffrey Conte.

Pour éviter que les véhicules ne soient cambriolés pendant les temps de pause, notamment la nuit, les entreprises peuvent sceller les camions. "Le conducteur lui-même ne peut pas l'ouvrir, il se déverrouille à distance", explique le capitaine. Les forces de l'ordre proposent des "points de ravitaillements": "Il s'agit d'une zone confinée et sécurisée", poursuit-il.

Ça, c'est pour la partie prévention. Car, à partir de mi-octobre, la brigade de gendarmerie de Dordogne multiplie les patrouilles "sur les routes, sur les zones de stockage, dans les centres commerciaux, et notamment les grandes enseignes, mais aussi sur les marchés avec la présence de militaires en tenue", détaille le capitaine, qui ajoute: "Par exemple, dans les supermarchés, on est vigilant, car dans les entrepôts, il n'y a pas que le foie gras, il y a aussi le saumon, le champagne et les huîtres".

"Ce sont des vols de professionnels entre eux"

Ces huîtres, avant même qu'elles ne soient volées dans les entrepôts, ce sont dans leurs bassins ou dans les cabanes ostréicoles qu'elles sont les plus vulnérables. À Arcachon, en Gironde, les forces de l'ordre sont confrontées aux vols toute l'année. Mais, là encore, à l'approche des fêtes, la période est sensible: "Les ostréiculteurs font presque la moitié de leur chiffre d’affaires à ce moment-là", explique à BFMTV.com le major Jérôme Goussard, le patron de la brigade nautique d’Arcachon.

"C'est la hantise des ostréiculteurs, car un vol, ça remet en question leur santé économique", poursuit-il.

Si de petites quantités sont parfois volées à marée basse, par des plaisanciers, "qui viennent se servir", le bassin est confronté à des vols beaucoup plus importants. Début décembre, trois tonnes d'huîtres ont été volées dans un bassin de Lège Cap Ferret, soit l'équivalent de 15.000 euros, nous explique le major.

"Quand il s'agit de telles quantités, ce sont des vols de professionnels entre eux", ajoute-t-il. Il faut savoir comment s'y prendre, car ce n'est pas évident d'accéder aux parcs d'huître, il faut avoir un embarquement adapté et puis il faut pouvoir écouler la marchandise", analyse Jérôme Goussard.

Les huîtres sont alors revendues sur les marchés, aux enseignes de grandes distributions ou partent vers d'autres régions. "On sait aussi qu'elles sont remises dans d'autres parcs de la région", précise-t-il.

Depuis plusieurs années, la surveillance s'accélère "dès le début du mois d'octobre", explique le gendarme. "On est présent tous les jours et on essaye d'être là aussi la nuit au maximum. À partir de l'automne, notre temps n'est quasiment dédié qu'à ça", détaille le major. Car la brigade nautique d’Arcachon garde encore en tête un vol de sept tonnes, dans la nuit du 8 au 9 octobre 2017, chez un jeune ostréiculteur du bassin.

Chaque jour, la patrouille navigue, contrôle les bateaux, "note le plus d'informations possibles", confie Jérôme Goussard. Mais la surveillance va encore plus loin. La brigade nautique d’Arcachon s'appuie notamment sur un hélicoptère de la section aérienne de Mérignac, doté d'une caméra thermique.

"Il survole la zone la nuit. Si la caméra détecte la présence de personnes ou d'embarcations, on intervient en bateau", explique le major.

Lors des marées importantes, la brigade utilise également des drones, là aussi équipés de caméras thermiques: "Ca nous permet d'avoir une cartographie du bassin, d'identifier l'immatriculation des bateaux", détaille Jérôme Goussard, qui explique qu'en cas de vol, la brigade peut visionner les images du bassin pour identifier les bateaux présents à une date précise.

Manon Aublanc