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Incendie à Notre-Dame de Paris: un an après, où en est l'enquête? Notre document inédit

Le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris était ravagée par un violent incendie parti de la charpente de la nef. Les équipes de Ligne Rouge ont enquêté pour comprendre comment un tel sinistre a pu se produire dans l'un des monuments les plus visités de la capitale française.

Le 15 avril 2019, en fin d'après-midi, une foule importante de Parisiens s'est massée face à l'île de la Cité, en plein coeur de la capitale. Impuissants, ils assistent à l'effondrement de la flèche de la cathédrale Notre-Dame touchée par un violent incendie. L'effondrement de la flèche, et la destruction des toitures et de la charpente, laissent un trou béant dans la structure. Un an après, l'enquête, confiée à trois magistrats instructeurs, n'a pas rendu ses conclusions et pourrait durer encore plusieurs mois. Pour l'heure, aucune personne n'a été mise en cause.

Les équipes de Ligne Rouge ont enquêté pour tenter de comprendre comment un tel incendie a pu se produire. A partir d'images inédites et de témoignages d'anciens agents chargés de la sécurité de Notre-Dame de Paris ou d'experts qui ont conçu le plan incendie du monument, ce document revient sur ces 52 minutes avant l'intervention des pompiers prévenus trop tard pour empêcher les dégâts irréparables, conséquences d'une série de négligences?

  • Un agent de sécurité trop novice?

Ce 15 avril 2019 marque aussi la date du premier jour de travail à Notre-Dame de Paris de l'agent qui assurait la surveillance incendie du monument. Selon nos informations, cet homme avait reçu une formation de deux fois deux heures pour connaître la mission qui lui était confiée. Une formation réglementaire pour la société privée Elytis, en charge de la surveillance incendie des lieux. 

"Un agent qui ne bouge pas sur le site, ne peut pas connaître le site, a confié un témoin à BFMTV, sous couvert d'anonymat. Notre-Dame c'est tellement complexe, on ne peut pas former un agent en trois jours, c'est impossible!"

La mission de l'agent affecté à Notre-Dame de Paris requiert une grande vigilance: surveiller une armoire électrique sur laquelle chaque voyant correspond à l'un des 160 détecteurs de fumée installés dans la cathédrale et répartis sur quatre zones (les combles, le beffroi, la crypte et le presbytère).

  • Une alerte donnée beaucoup trop tard

Il est 18h18 ce fameux 15 avril quand un voyant orange s'allume sur cette grande armoire électrique. Le détecteur qui a déclenché le voyant correspond à la zone des combles. Une zone qui peut désigner deux endroits bien distincts de la cathédrale: les combles de la sacristie et les combles de la nef. L'agent de sécurité, dont c'est le premier jour sur place et qui en est à sa 13e heure de travail en raison de l'absence de l'agent qui aurait dû le remplacer, prévient l'employé du clergé également affecté à la surveillance incendie.

"Vu qu'il n'a pas eu l'adresse exacte, il a commencé par les combles de la sacristie, relate André Finot, responsable de la communication de Notre-Dame de Paris. Il a cherché mais comme c'est une grande zone, ça lui a pris du temps. Il ouvre la porte des combles, mais c'est une charpente métallique, et il ne voit rien."

Les deux hommes continuent d'échanger. De nombreux témoins évoquent l'état de stress dans lequel se trouvait l'agent de la société Elytis. Un élément aurait d'ailleurs pu lui permettre de trouver l'origine du feu: il s'agit d'un code, c'est-à-dire un numéro attribué à chaque détecteur, qui s'est affiché sur l'écran d'armoire électrique. 

Alors que l'alarme s'est déclenchée dans la cathédrale, invitant les fidèles présents pour la messe à quitter les lieux, à 18h28, l'agent envoie un message à son supérieur pour lui demander de l'aide. Ce dernier ne le rappelle qu'à 18h43 et lui donne la localisation exacte. 

"Il l'appelle et lui dit 'il y a erreur, il y a le feu dans la charpente', détaille André Finot. L'agent relais, salarié du diocèse, court par l'escalier qui monte à la charpente, il est accompagné d'un régisseur de la cathédrale, ils arrivent dans la charpente et voient ce départ de feu."

Choqués, les deux hommes repartent en courant, après avoir pris la scène en photo. Sur cette image, que BFMTV révèle, on voit des flammes hautes ravager la charpente.

Une image inédite du début de l'incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019
Une image inédite du début de l'incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019 © Document BFMTV

Les pompiers sont appelés à 18h49. A 19h10, les premières lances à eau sont utilisées. 52 minutes se sont écoulées entre l'intervention des soldats du feu et le déclenchement du voyant orange dans le PC sécurité de la cathédrale.

  • Le feu, un ennemi connu mais mal appréhendé?

Les pompiers vont lutter 8 heures contre cet ennemi déjà connu. La charpente de Notre-Dame de Paris, longue de 100 mètres et large de 13 mètres, est constituée d'un millier de chênes. Un plan incendie a été mis en place en 2014.

"La charpente de Notre-Dame était un lieu historique on ne voulait pas y toucher, c'était une marque du passé", explique Serge Delhaye, expert judiciaire en incendie près de la cour d'appel de Paris. "On a privilégié la détection, la surveillance et l'intervention humaine rapide et précoce pour étouffer un début d'incendie, plutôt que de noyer un lieu par des extinctions automatiques qui pourraient provoquer plus de dégâts que l'incendie lui même", abonde Benjamin Mouton, ancien architecte en chef de la cathédrale.

Pas de système de douches installé mais des extincteurs tous les 10 mètres. Pas de caméras de surveillance installées non plus mais des détecteurs de fumée, moins coûteux. Le plan prévoyait également deux agents en charge de la surveillance incendie à temps plein.

Mais en 2015, selon nos informations, la DRAC, Direction régionale des affaires culturelles, diminue les effectifs. Questionnée par BFMTV, la directrice adjointe de l'institution explique que pour remplacer le second agent de la société privée, ils ont fait appel aux salariés du clergé qui jusqu'alors accueillaient le public.

"Les agents du clergé n'étaient que de simples surveillants. Ils ne faisaient pas de rondes, ils ne faisaient que de la médiation dans la cathédrale. Ils n'ont jamais fait de rondes", rétorque un ancien agent de sécurité sous couvert d'anonymat.

Pire, le système semblait défectueux avec des détecteurs qui se déclenchaient régulièrement alors qu'il n'y avait pas de départ de feu. Selon les rapports de ces agents, que BFMTV a pu consulter, ces anomalies ont été signalées à la hiérarchie d'Elytis. La société assure avoir prévenu la DRAC.

  • Une origine du sinistre difficile à identifier

Au terme de l’enquête préliminaire fin juin 2019, le parquet de Paris avait privilégié la piste accidentelle, évoquant dans un communiqué l’hypothèse d’une cigarette mal éteinte ou d’un dysfonctionnement électrique. Des travaux de rénovation du toit de Notre-Dame étaient en effet en cours au moment de l'incendie. Les 12 ouvriers qui travaillaient sur le chantier ont été entendus par les enquêteurs et ont expliqué ne pas avoir fait de travaux de soudure ou utilisé de chalumeau le jour de l'incendie et les jours précédents.

L'hypothèse d'un mégot mal éteint a été évoquée par la justice. L'horloger de Notre-Dame, qui remontait chaque semaine le système, confirme, grâce à une photo prise avant l'incendie, que l'origine du feu était au coeur du chantier. Il confirme également avoir vu des mégots par terre. "Durant le chantier il y en avait plus qu'à l'accoutumée mais principalement sur les balcons en pierre à l'extérieur".

Le patron de l'entreprise en charge des travaux estime qu'il était "techniquement" impossible que ses ouvriers fument sur le chantier car ils étaient équipés, de la tête au pied, par des équipements de protection. 

"On a avancé la théorie du mégot qui est très improbable parce que maintenant les cigarettes s'éteignent très rapidement", estime pour sa part Serge Delhaye, désigné expert judiciaire dans cette enquête.

Concernant l'hypothèse d'une défaillance électrique, celle-ci est également difficile à étayer. Les investigations n'ont pas relevé de problèmes majeurs sur l'installation électrique du monument. Reste l'installation électrique installée pour le chantier, comme le prouve des images que BFMTV s'est procurées. Le dirigeant de l'entreprise de travaux assure qu'il s'agissait de matériel entièrement neuf et aux normes.

Isabelle Quintard, Yves Couant, Régis Desenclois avec Justine Chevalier