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Éric Dupond-Moretti visé par une nouvelle plainte pour "prise illégale d'intérêt"

Le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti, arrivant à la Cour de justice de la République, à Paris, le 29 mars 2022

Le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti, arrivant à la Cour de justice de la République, à Paris, le 29 mars 2022 - Emmanuel DUNAND © 2019 AFP

Déjà mis en examen, Éric Dupond-Moretti est visé par une plainte du syndicat majoritaire chez les magistrats pour prise illégale d'intérêts.

À son arrivée, place Vendôme, le 7 juillet 2020, Éric Dupond-Moretti avait bien tenté de déminer le terrain. "J’entretiens avec les magistrats des rapports d’amitié", avait-il lâché lors de son discours d’intronisation comme ministre de la Justice. Difficile de dire que la réciproque est vraie. Déjà mis en examen pour "prise illégale d’intérêts" dans deux affaires impliquant des magistrats, le garde des Sceaux est, ce jeudi, visé par de nouvelles accusations du même ordre.

Selon nos informations, l’Union syndicale des magistrats a écrit mercredi à la Cour de justice de la République (CJR) pour dénoncer le traitement subi par Marie-Laure Piazza, première présidente de la cour d’appel de Cayenne (Guyane), depuis que l’ancien avocat a été nommé ministre. Un signalement qui s’apparente à une plainte le visant explicitement.

Quand Dupond-Moretti écopait d’un rappel à la loi

Pour bien comprendre cette affaire, il faut commencer par remonter le temps jusqu’en octobre 2016. À l’époque, Marie-Laure Piazza est présidente de la cour d’assises de Bastia (Haute-Corse). Éric Dupond-Moretti, lui, est, depuis longtemps déjà, l’avocat qu’on surnomme "Acquittator". Alors qu’il intervient en défense d’un accusé lors d’un procès, il s’en prend à la juge, critiquant, entre autres, sa partialité supposée et son manque d’empathie. Le tout en des termes peu amènes qui conduisent le parquet à ouvrir une enquête préliminaire et à le sanctionner finalement d’un rappel à la loi pour menaces et actes d’intimidations.

Marie-Laure Piazza poursuit sa carrière et atterrit en Guyane où elle prend la tête de la cour d’appel de Cayenne. C’est là, le 1er juillet 2021, qu’elle découvre que sa juridiction va faire l’objet d’un "examen de situation" diligenté par le garde des Sceaux. Signé par Véronique Malbec, la directrice de cabinet du ministre, il est alors ordonné "afin d’appréhender les répercussions" de son organisation "sur la santé des magistrats et fonctionnaires".

En la matière, la procédure est stricte. Normalement, "l’examen de situation" d’une juridiction ne doit pas s’attarder sur les potentielles responsabilités individuelles de ceux qui la dirigent. Mais, le 10 décembre 2021, Marie-Laure Piazza est surprise de voir que le rapport, transmis au Premier ministre et au garde des Sceaux, la met en cause nommément.

En particulier "l’objectif numéro 7" qui l’invite "à conduire sans délai la nécessaire réflexion que la situation exige de toute urgence sur l’intérêt de se maintenir à ses fonctions dès lors qu’elle n’a plus de crédit suffisant pour porter le changement qui s’impose", selon les informations de BFMTV.

Magistrate depuis 32 ans, Marie-Laure Piazza décide de rester. Mais le 24 février, les services du Premier ministre embrayent et ordonnent une enquête administrative de l’Inspection générale de la justice à son encontre.

Une "opération de communication" pour l’entourage du ministre

La juge se demande alors si elle doit ce triste sort à sa gestion de la juridiction guyanaise ou à l’inimitié qu’Éric Dupond-Moretti lui porte depuis leur passif bastiais. Elle sollicite alors le soutien de son syndicat, qui a déposé plainte sur ce point.

C’est désormais à la Cour de la justice de décider de la suite de ce dossier. Avec à la clef, un potentiel rendez-vous judiciaire en vue d’une mise en examen. Les deux dernières fois qu’il a été convoqué, Éric Dupond-Moretti avait refusé de répondre aux questions des juges d’instruction, estimant qu’ils avaient "perdu tout sens de la mesure".

Dans cette affaire, l’ancien ténor des barreaux peut toutefois se satisfaire de bénéficier du soutien d’Emmanuel Macron. Répondant à la question d’un journaliste en marge de la présentation de son programme de campagne, le 17 mars, le président-candidat a pris la défense de son ministre.

"Quand des syndicats de magistrats décident de lancer une procédure contre un garde des Sceaux, et le font dans une instance où ils siègent eux-mêmes, je considère que je ne rendrais pas service à la démocratie en cédant à ce que je ne considère pas comme un fonctionnement satisfaisant", a-t-il assuré.

Oubliant un peu vite qu’il est impossible de savoir si les magistrats de la Cour de justice de la République sont syndiqués ou non.

De son côté, l’entourage d’Éric Dupond-Moretti a fait savoir, auprès de l’AFP, que cette nouvelle plainte n’était qu’une "opération de pure communication".

Vincent Vantighem