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Police-Justice

Des premiers heurts à l'intervention... Minute par minute, le déroulé des affrontements de Sainte-Soline

La mobilisation à Sainte-Soline a rapidement tourné à l'affrontement. Alors que les autorités pointent du doigt la virulence des "black blocs", la Ligue des droits de l'Homme dénonce la "violence criminelle" des forces de l'ordre et le délai d'intervention des secours auprès des victimes.

Depuis bientôt une semaine, la polémique autour des débordements à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) ne cesse de gonfler. Ce rassemblement, organisé le samedi 25 mars pour protester contre un projet de "bassines", n'est pas le premier à avoir donné lieu à des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, mais il apparaît comme l’un des plus virulents.

Ses organisateurs mettent en cause une "violence absolument criminelle" des forces de l'ordre, tandis que le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, dénonce la brutalité "inexcusable" de "l'extrême gauche". Face à "un déferlement de violence inouïe", la riposte a été ciblée et "proportionnée", affirment les autorités, avec 5015 grenades lacrymogènes tirées, 89 grenades de désencerclement, 40 dispositifs déflagrants et 81 tirs de LBD.

Alors que les deux camps se renvoient la responsabilité, de nombreux blessés sont à déplorer de toutes parts. Et c’est sur la prise en charge médicale des manifestants - particulièrement de Serge D., blessé à la tête et toujours dans le coma - que les autorités sont encore une fois pointées du doigt, accusées d’avoir retardé l’arrivée des secours sur les lieux du conflit.

BFMTV.com revient, minute par minute, sur le déroulé de cette journée chaotique, selon les versions délivrées par les autorités, les secours et les manifestants.

Un long cortège d'au moins 6000 personnes selon la préfecture et 30.000 selon les organisateurs, défile vers le chantier controversé des Deux-Sèvres, barré par plus de 3200 gendarmes et policiers.

Dès 13h00, de violents heurts éclatent entre des militants radicaux, qui font usage "de mortiers d'artifices, de chandelles romaines et de cocktails molotov de forte contenance", et les forces de l'ordre qui, selon la gendarmerie, ripostent avec des gaz lacrymogènes et un canon à eau notamment.

Mickaël B., 34 ans, est le premier militant gravement blessé au cou par un projectile. Selon Libération, il est dans un premier temps pris en charge - un peu avant 13h30 - par un infirmier qui le trouve "inconscient (...) dans un état critique". "Je vois un hématome cervical très important et une insuffisance respiratoire sévère, la personne suffoque", raconte-t-il.

Après des requêtes vaines auprès du Samu, Mickaël est finalement extrait dans une camionnette des organisateurs de la manifestation puis conduit à l’hôpital de Poitiers.

Pendant les heurts, Serge D., 32 ans, est à son tour victime d'un traumatisme crânien. "On était sur le côté gauche de la bassine (au nord, NDLR), je l’ai vu se prendre un projectile au niveau de la tête", raconte une témoin de la scène à Libération. "Il est tombé raide sur le sol. On l’a transporté un peu plus loin, pendant que les (grenades) continuaient de tomber."

À cette heure-ci, les sapeurs-pompiers reçoivent un appel faisant état d’un "homme blessé à la tête et inconscient", rapporte la préfecture des Deux-Sèvres dans un bilan publié sur le site du ministère de l’Intérieur.

"Les pompiers se rendent sur place mais ne trouvent pas la personne et repartent", retrace Farnam Faranpour, chef du pôle des urgences de Niort, interrogé par BFMTV.

"Une minute plus tard, on reçoit nous aussi l'appel pour ce blessé. La personne au téléphone nous dit que le blessé se trouve à 100 mètres des véhicules des gendarmes qui brûlent", poursuit-il. "C'est compliqué pour nous d'intervenir sur cette zone."

Selon la préfecture des Deux-Sèvres, après l’alerte sur le cas de Serge D., le Samu prévient, à 14h02, le directeur des secours médicaux et enclenche le Smur (Structures mobiles d'urgence et de réanimation) de Ruffec, "le plus proche du lieu du rassemblement".

• 14h22: l'ambulance arrive sur le point de rassemblement des victimes du Clussais

Les secours arrivent à 14h22 au point de rassemblement des victimes, qui se situe à Clussais-la-Pommeraie, à 9 km du rassemblement. "Puis elle reprend la route à 14h46 en direction de la zone où se trouvait le patient", explique Farnam Faranpour, chef du pôle des urgences de Niort.

"La localisation du traumatisé était au plus proche du lieu où les hostilités avaient été particulièrement fortes contre les gendarmes", explique de son côté la préfecture dans son bilan.

Une affirmation contredite par la Ligue des droits de l'Homme (LDH) qui affirme que Serge D. se trouvait dans une zone "parfaitement calme", où rien ne faisait "obstacle à l'intervention du Samu", et il aurait dû être pris en charge "sans délai".

• 14h50: la Ligue des droits de l'Homme appelle le Samu

Tandis que l'ambulance est en route, un médecin et une avocate de la LDH - à distance du lieux des affrontements - s'inquiètent des retours de leurs observateurs présents sur place qui affirment que Serge D. n'est toujours pas pris en charge par les secours.

Le médecin et l'avocate de la LDH décident d'appeler eux-mêmes les secours pour réclamer leur intervention.

"- Le médecin: Vous en êtes où, là, de la plus grosse urgence absolue?
- Le Samu: On a eu un médecin sur place et on lui a expliqué la situation, c'est qu'on n'enverra pas d'hélico ou de moyens SMUR sur place, parce qu'on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l'ordre.
- Le médecin: Alors moi je suis avec des observateurs de la Ligue des droits de l'homme qui disent que leurs observateurs sur place disent que c'est calme depuis trente minutes et qu'il est possible d'intervenir.
- Le Samu: Je suis d'accord avec vous, vous n'êtes pas le premier à nous le dire. Le problème, c'est que c'est à l'appréciation des forces de l'ordre dès qu'on est sous un commandement, qui n'est pas nous (...) On n'a pas l'autorisation d'envoyer des secours (...) parce que c'est considéré comme dangereux."

Cet appel enregistré par la LDH, puis révélé par Le Monde, est désormais au cœur de la polémique accusant les autorités d'avoir retardé l'arrivée des secours.

Même si les manifestants sur place assurent qu'il y a eu des moments d'accalmie qui auraient pu permettre le passage des secours, "la présence de black blocs constitués, armés, était susceptible de relancer les violences très rapidement et en plus ils étaient très mobiles", argumente la préfète, Emmanuelle Dubée, sur BFMTV.

• 14h52: les secours arrivent sur place mais ne trouvent pas Serge D.

Le chef du pôle des urgences de Niort explique que l'ambulance arrive finalement à Sainte-Soline à 14h52. À ce moment-là, les secours cherchent Serge D. mais ne le trouvent pas.

"Entre-temps, un médecin de la gendarmerie trouve Serge D. et le perfuse en attendant que le Smur arrive. Ce médecin a ensuite été pris pour cible, visé par des projectiles, à son départ alors qu'il venait de soigner quelqu'un", assure Farnam Faranpour.

• 15h15: Serge D. est pris en charge par le Smur

Après quelques difficultés, le Smur trouve Serge D. sur le lieu de la manifestation. "Sur place, il est endormi, intubé puis emmené au point de rassemblement de victimes de Clussais", détaille Farnam Faranpour.

"Les secours ont ensuite demandé où Serge pouvait être envoyé et l'hélicoptère est venu le récupérer pour l'emmener à l'hôpital de Poitiers" où il est arrivé à 16h34, explique-t-il à BFMTV.

Pour répondre à la polémique, Farnam Faranpour affirme qu'il n'y a pas eu d'entrave aux secours de la part des autorités. La marche à suivre est d'attendre une décision collégiale des secours, de la préfecture et des forces de l'ordre avant de lancer l'intervention des secours, développe-t-il.

Reste que les familles des deux blessés graves ont déposé plainte pour "tentative de meurtre" et "entrave aux secours". Ce jeudi, Serge et Mickaël sont toujours dans le coma et le pronostic vital de premier est toujours engagé.

Ambre Lepoivre Journaliste BFMTV