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Police-Justice

Chantage présumé au Maroc: les journalistes enregistrés en train de réclamer "3 millions d'euros"

Des enregistrements clandestins et une lettre manuscrite viennent accabler les deux journalistes français, mis en examen samedi pour extorsion et chantage. Récit.

"Je veux trois millions d'euros". Voici ce qu'aurait déclaré Eric Laurent, l'un des deux journalistes français soupçonnés d'avoir fait chanter le royaume du Maroc, dans des enregistrements clandestins révélés par Le Journal du Dimanche. Cette conversation aurait eu lieu le 11 août dernier, avenue Hoche à Paris, dans un palace. Le journaliste rencontre ce jour-là l'avocat du royaume du Maroc, à sa demande, selon nos informations.

Selon cet avocat marocain, Eric Laurent lui aurait annoncé disposer d'informations très compromettantes sur le roi, mais qu'un "arrangement financier" était encore possible. Méfiant, l'avocat a alors mis son téléphone dans la poche, enclenchant la fonction Enregistreur pour garder discrètement une trace de la conversation. Un extrait a été publié par le JDD:

"- J'en veux trois.
- Trois quoi, trois mille?, interroge l'avocat. - Non, trois millions.
- Trois millions de dirhams?
- Non, trois millions d'euros".

Selon les informations de BFMTV, l'avocat marocain, flairant le piège, aurait après cette demande contacté l'avocat français du Maroc. Tous deux décident alors d'alerter le parquet de Paris pour dénoncer des faits présumés d'extorsion de fonds et de chantage. Une enquête préliminaire est ouverte.

Des rendez-vous secrets, des policiers en embuscade

Au courant du mois d'août, une deuxième rencontre est organisée. Cette fois-ci, prévenus, les policiers de la brigade de répression de la délinquance contre la personne assistent très discrètement au rendez-vous, qui se déroule une nouvelle fois dans un palace parisien de l'avenue Hoche. Le téléphone de l'avocat marocain enregistre la conversation. Il est encore question d'argent et d'informations compromettantes. Le conseil prie Eric Laurent de faire venir Catherine Graciet qui, selon le journaliste, est partie prenante aussi de la rocambolesque histoire. Tous deux sont réputés pour leur travail d'investigation.

Le troisième et dernier rendez-vous se tient le 27 août, selon nos informations. Eric Laurent, Catherine Graciet et l'avocat marocain doivent se retrouver dans un hôtel de l'avenue Kléber. Mais à la dernière minute, la journaliste, méfiante, décide de changer de lieu. Tous trois se retrouvent alors au bar du Raphaël, en face sur l'avenue. Les policiers, toujours en embuscade, suivent la marche et s'installent à différents points stratégiques du bar et de l'hôtel. Le téléphone de l'avocat, encore une fois, enregistre, posé face contre la table. Mais au moment de parler d'argent, Catherine Graciet lui demande de le ranger.

Selon nos informations, elle aurait alors indiqué qu'ils souhaitaient toujours trois millions d'euros, ainsi que le versement d'un acompte pour preuve de bonne foi. L'avocat hésite. Il monte dans sa chambre, les fait patienter au bar 45 minutes. Puis redescend, le téléphone dans la poche. Il leur explique que ses clients ne feront rien sans un document signé de la main des deux journalistes. Ils acceptent.

Chantage ou traquenard?

Cette lettre manuscrite, versée depuis au dossier d'instruction, BFMTV se l'est procurée. On y lit que les deux journalistes s’engagent à "ne plus rien écrire sur le royaume du Maroc" et à "ne plus jamais s’exprimer publiquement sur ce pays directement ou indirectement ou par personnes interposées", "ni à faire quelques révélations (...) sur ce sujet". En contrepartie du silence des deux journalistes, le Maroc s'engage à verser "la somme de deux millions d'euros". "Nous confirmons avoir reçu à ce jour une avance de 80.000 euros", écrit encore Catherine Graciet dans le document signé de sa main.

Le deal conclu, Eric Laurent et Catherine Graciet repartent, une enveloppe de 40.000 euros chacun dans leurs affaires. Mais devant l'hôtel, à la sortie, la police les attend. Ils sont tous deux interpellés. Après avoir été placés en garde à vue, ils ont été mis en examen dans la nuit de vendredi à samedi, et laissés libres sous contrôle judiciaire. Ils risquent jusqu'à cinq ans de prison.

Pour l'avocat d'Eric Laurent, l'affaire n'est pas du tout ce qu'elle laisse paraître. Selon lui, il s'agit d'une "opération politique" de Rabat contre deux journalistes critiques, "dont l'enquête est de nature à révéler de lourds secrets". "Un traquenard", résume Me William Bourdon. Quant aux informations compromettantes sur le royaume du Maroc, qui auraient servi de monnaie d'échange, nul ne sait pour le moment de quoi il s'agissait.

A. G. avec Dominique Rizet