"The Crown": le prince Charles a-t-il vraiment voulu pousser sa mère vers la sortie?
Nous sommes en 1991. Le prince Charles convoque John Major, Premier ministre du Royaume-Uni, dans sa résidence de Clarence House. Il veut tâter le terrain. À demi-mot, il évoque le besoin de modernité du pays, et l’obsolescence de la reine, dont la cote de popularité dévisse.
Pour illustrer son propos, Charles fait un parallèle avec son ancêtre Edouard VII, le fils de la reine Victoria, qui a "attendu dans les coulisses" "pendant près de 60 ans" et n’a régné que tardivement. "Il voulait des responsabilités mais sa mère refusait", résume le prince. "Quel dommage, quel gâchis", conclut-il, face à une John Major un peu incrédule.
Cette scène qui a suscité beaucoup de réactions au Royaume-Uni, vous l’avez vue dans la saison 5 de The Crown. Mais s'est-elle bien déroulée comme ça? Charles a-t-il vraiment voulu pousser sa mère vers la sortie?
La scène entre Charles et John Major a-t-elle eu lieu?
C'est de la fiction
Il s'agit d'une invention des créateurs de la série. "Cette scène est totalement inventée", assure Marc Roche, correspondant royal pour Le Point, et auteur de Elle ne voulait pas être reine.
"D'abord, les contacts avec le Premier ministre John Major, c'est la reine qui s'en occupe en tant que chef de l'État, et qui est responsable de l'audience hebdomadaire avec le Premier ministre", explique-t-il dans le Podcast royal. Une audience pour laquelle "il n'y a aucun témoin, qui est un tête à tête et sur laquelle on ne sait rien".
John Major a lui même pris la parole dans le Daily Telegraph, lors de la diffusion de la cinquième saison de The Crown, pour dénoncer ce qu'il a qualifié d'un "tonneau d'absurdités".
"Le divertissement est une industrie formidable, qui apporte un plaisir énorme à des millions de personnes. Netflix ne devrait pas l'avilir par des représentations qui sont à la fois injurieuses et fausses", a-t-il écrit.
Le prince Charles aurait-il voulu accéder plus tôt au trône?
Sans doute, mais il savait que la reine n'abdiquerait pas
"Le prince Charles était sans doute très frustré de l'attente", reconnaît l'expert royal. "Parce qu'il voyait ce qui se passait sur le vieux continent européen, où les souverains arrivés à un certain âge abdiquaient en faveur des princes héritiers."
En Belgique, Albert II abdique en 2013, en faveur de son fils. En Espagne, Juan Carlos abdique en 2014, pour laisser le trône à son fils Felipe. Aux Pays-Bas, c'est également en 2013 que Willem-Alexander devient roi, après l'abdication de sa mère, la reine Beatrix.
"Il est possible que dans les dernières années du règne des conseillers du prince Charles aient pu faire des confidences à la presse à ce sujet", estime Marc Roche. Mais le prince était lui-même "très conscient du rôle institutionnel du prince de Galles, qui n'en a aucun dans le système britannique".
"Le prince héritier d'Angleterre n'a qu'un rôle, c'est attendre", poursuit-il.
"Charles était conscient qu'Elizabeth II allait régner jusqu'à la fin de ses jours, parce que son serment de servir son peuple était religieux, et que c'est une femme très croyante", assure le journaliste.
Le jour de ses 21 ans, en 1947, Elizabeth, encore princesse, s'adressant aux pays du Commonwealth, a en effet fait le serment que "toute (sa) vie, qu'elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous".
Un serment qu'elle renouvellera en 2022, à l'occasion de son jubilé de platine, et alors que son règne touche à sa fin.
Charles et sa mère s'entendaient-il si mal?
Ils étaient très proches
"Contrairement à ce que l'on pensait, Charles et sa mère étaient très proches", assure Marc Roche, soulignant leur "communauté de destin": "Il allait lui succéder."
Le problème entre le prince Charles et la reine Elizabeth portait, selon le chroniqueur royal, sur Camilla, que la reine a mis très longtemps à accepter. La série The Crown l'illustre très bien, dans sa dernière saison, montrant comment la reine, invitée aux 50 ans de Camilla, esquive volontairement l'événement.
Est-il arrivé au prince Charles de sortir de ses prérogatives?
Il est resté dans son rôle
On le sait, Charles, lorsqu'il était prince de Galles, avait pour habitude d'écrire aux ministres du gouvernement britannique des missives, révélées par le Guardian en 2010 sous le nom de "black spider memos" - les mémos "pattes de mouche". Ces lettres portaient sur différents sujets qui lui tenaient à cœur: l'architecture, l'écologie, l'œcuménisme religieux...
Sa mère, Elizabeth II, s'en est, elle, toujours tenue à plus grande neutralité en tant que reine.
"Il avait le droit d'intervenir sur ces sujets, en tant que prince de Galles, puisque cela n'engageait pas la royauté en tant qu'institution qui doit être au-dessus de la mêlée", indique Marc Roche, précisant que le prince entretenait une bonne relation avec le Premier ministre Tony Blair entre 1997 et 2007. "Celui-ci n'en a jamais tenu compte", ajoute-t-il.
Désormais roi, Charles III évite ce genre de saillies, et ne fait plus état de son engagement pour l’environnement qu’en prenant part à la COP28.
Les six derniers épisodes de la sixième et ultime saison de The Crown arrivent sur Netflix ce jeudi 14 décembre. Pour l'occasion, le Podcast royal fact-checke les séquences marquantes de la série avec des experts: retrouvez tous les jours de la semaine un épisode inédit.
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