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TOUT COMPRENDRE - Les films et les séries menacés? Pourquoi les scénaristes font grève à Hollywood

Les scénaristes hollywoodiens, qui écrivent les séries qui nous parviennent des États-Unis, ont annoncé une grève ce mardi, après l'échec des négociations avec les représentants des studios et des plateformes.

Un parfum de crise se répand dans les couloirs des grands studios de Hollywood. Aux premières heures du jour ce mardi, des milliers de scénaristes de télévision et de cinéma américains ont annoncé se mettre en grève. D'après les médias locaux, les premières manifestations devraient démarrer dès cet après-midi.

Cette annonce fait suite à l'échec des négociations entre ce corps de métier essentiel pour la production de films et de séries et les représentants des studios et des plateformes.

"Le comportement des entreprises a donné naissance à une économie de petits boulots", dénonce la Writers Guild of America (WGA), le syndicat des scénaristes, dans un communiqué relayé par Reuters.

"Leur posture inflexible dans ces négociations trahit un engagement, et va dévaloriser un peu plus la profession des auteurs", poursuit-elle.

Selon Reuters, la WGA représente environ 11.500 scénaristes basés à New York et Los Angeles, les deux cœurs du divertissement américain, mais aussi dans d'autres villes. Leur dernière grève, survenue il y a quinze ans, avait mis à l'arrêt la production de nombreuses séries, dont beaucoup avaient vu leur saison écourtée ou retardée.

• Pourquoi cette grève intervient-elle maintenant?

Variety rapporte que le contrat de trois ans qui lie la WGA et l'Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP), représentante des principaux studios et plateformes dont Disney et Netflix, est arrivé à expiration lundi.

L'ombre d'une mise à l'arrêt planait sur Hollywood depuis des semaines: le 18 avril dernier, les membres de la WGA avaient voté en faveur d'une grève si aucun accord n'était trouvé à cette date butoir, comme l'indiquait CNN à l'époque.

Comme pressenti, la menace a été mise à exécution lorsque l'AMPTP a annoncé lundi en fin de journée que les négociations "se sont conclues sans parvenir à un accord ce jour".

• Que réclament les scénaristes?

Comme le résume l'AFP, les scénaristes réclament une hausse de leur rémunération, des garanties minimales pour bénéficier d'un emploi stable et une plus grande part des bénéfices générés par l'essor du streaming.

Ils disent avoir du mal à vivre de leur métier, avec des salaires qui stagnent, voire baissent en raison de l'inflation, alors que leurs employeurs réalisent des bénéfices et augmentent les salaires de leurs dirigeants.

Ils estiment n'avoir jamais été aussi nombreux à travailler au salaire minimum fixé par les syndicats - selon des statistiques de la guilde relayées par Reuters, c'était le cas d'un tiers des scénaristes entre 2013 et 2014, contre la moitié aujourd'hui. Selon Variety, la demande globale des scénaristes s'élèverait à 600 millions de dollars - soit près de 550 millions d'euros.

• Pourquoi leur situation s'est-elle dégradée?

Plusieurs paramètres entrent en compte pour expliquer la précarisation que déplorent les scénaristes. Et l'avènement des plateformes de streaming, qui ont profondément modifié le paysage télévisuel américain, y est pour beaucoup.

Le New York Times fait valoir qu'il y a encore dix ans, quand les séries ne se regardaient qu'à la télévision, chaque saison équivalait à une vingtaine d'épisodes. À l'heure des plateformes comme Netflix, Disney+, Apple TV+ ou Prime Video, ces saisons se sont drastiquement raccourcies, avec une dizaine d'épisodes chacune.

L'essor des plateformes a également engendré une coupe drastique dans une autre source de revenus des scénaristes, les "droits résiduels". Pendant des décennies, les scénaristes ont perçu ces revenus à chaque réutilisation des œuvres auxquelles ils avaient participées, par exemple lors des rediffusions télévisées ou des ventes de DVD. Il s'agit soit d'un pourcentage des recettes engrangées par les studios pour le film ou l'émission, soit d'une somme fixe versée à chaque rediffusion.

À l'inverse, lorsqu'ils travaillent sur des séries écrites pour Netflix, Prime Video et consorts, les auteurs reçoivent chaque année un montant fixe, même en cas de succès mondial de leur travail comme pour les séries Bridgerton ou Stranger Things, vues par des centaines de millions de téléspectateurs dans le monde entier.

La WGA réclame la revalorisation de ces montants, qu'ils estiment aujourd'hui "bien trop faibles au regard de la réutilisation internationale massive" de ces programmes.

Le syndicat des scénaristes a également fait valoir son désir de mettre en place de garde-fous contre le progrès de l'intelligence artificielle qui, à terme, pourrait mettre la profession en danger.

• Pourquoi les négociations coincent-elles?

L'AMPTP a affirmé avoir présenté une "proposition globale" comprenant une augmentation de la rémunération des scénaristes mais ne pas être disposée à améliorer cette offre "compte tenu de l'ampleur des autres demandes".

Selon son communiqué, les demandes de la WGA en faveur d'une "dotation obligatoire", constituent l'un des principaux points de désaccord. Ce dispositif contraindrait les studios à embaucher un nombre déterminé de scénaristes "pour une période donnée, qu'ils soient nécessaires ou non".

En outre, les studios soulignent que les "droits résiduels" versés aux scénaristes ont atteint un niveau record de 494 millions de dollars en 2021, contre 333 millions dix ans plus tôt, en grande partie grâce à l'explosion des emplois de scénaristes liée à la hausse de la demande en streaming.

Après avoir été dépensiers ces dernières années, lorsque les diffuseurs concurrents ont cherché à augmenter le nombre d'abonnés à tout prix, les patrons soulignent être désormais soumis à une forte pression de la part des investisseurs pour réduire leurs dépenses et réaliser des bénéfices. Et ils nient prétexter des difficultés économiques pour renforcer leur position dans les négociations avec les scénaristes.

• Quels programmes vont être touchés?

Les premières victimes de cette grève vont être les talks-shows américains, émissions de deuxième ou troisième partie de soirée ultra-populaires outre-Atlantique qui reposent en grande partie sur des séquences scénarisées. Les émissions de Stephen Colbert, Jimmy Kimmel, Jimmy Fallon et Seth Meyers vont toutes se mettre en pause dès aujourd'hui, d'après Deadline. La majeure partie de ces présentateurs ont adressé leur soutien aux scénaristes.

Difficile, pour l'heure, de dire si les séries vont elles aussi pâtir de cette grève. "Les plateformes et les grands diffuseurs ont des stocks, il n'y a pas de problème pour 2023", rassure Fabrice Leclerc, journaliste cinéma à Paris Match, sur BFMTV. Néanmoins, la question commencerait à se poser si cette grève venait à s'éterniser, bloquant le développement de futures saisons. C'est ce qui est arrivé il y a quinze ans.

Car cette situation n'est pas inédite. En 2007-2008, une grève des scénaristes avait mis l'audiovisuel américain à l'arrêt pendant 100 jours. L'AFP rapporte qu'elle avait coûté deux milliards de dollars au secteur. De nombreuses saisons s'en étaient trouvées raccourcies: Gossip Girl, Grey's Anatomy ou How I Met Your Mother avaient revu leurs nombres d'épisodes à la baisse.

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret avec AFP Journaliste culture et people BFMTV