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"Star Wars Visions": dans les coulisses de "The Spy Dancer", l'épisode réalisé par des Français

Une scène de l'épisode "The Spy Dancer" de la série "Star Wars Visions", qui a été réalisé par le studio français La Cachette

Une scène de l'épisode "The Spy Dancer" de la série "Star Wars Visions", qui a été réalisé par le studio français La Cachette - ©2023 Lucasfilm Ltd. & TM. All Rights Reserved.

Le studio français La Cachette, connu pour son travail sur Primal, a imaginé un des épisodes de l'anthologie animée de Star Wars. Son réalisateur Julien Chheng raconte les coulisses de cette aventure.

Les Français débarquent dans une galaxie lointaine, très lointaine. Le studio d'animation parisien La Cachette a été choisi par Disney pour réaliser un des épisodes de la deuxième saison de Star Wars: Visions, une anthologie offrant carte blanche à des artistes pour livrer leur interprétation de l'univers imaginé par George Lucas.

Écrit et réalisé par Julien Chheng, et disponible depuis jeudi sur la plateforme de streaming Disney+, The Spy Dancer met en scène en seulement seize minutes l'affrontement entre Loi'e, une sorte de Mata Hari de l'espace au lourd passé (doublée par Camille Cottin), et les forces de l'Empire.

"Au début, lorsqu'on a été contacté par Disney pour travailler sur Star Wars: Visions, on n'y a pas cru", se souvient Julien Chheng, qui travaillait alors sur Ernest et Célestine 2.

"On avait carte blanche sur l'écriture du scénario, la conception des personnages, de l'univers graphique. Ça nous a mis une pression énorme."

Une histoire d'espionnage

Cette collaboration est une immense reconnaissance pour ce studio fondé il y a neuf ans, et qui s'est fait un nom avec Primal, série culte de Genndy Tartakovsky (Samouraï Jack), où un homme des cavernes devient ami avec un dinosaure. Unique en son genre, sans dialogue, avec des scènes d'action inoubliables, elle a marqué les esprits aux États-Unis.

La Cachette propose trois idées à Disney. "Notre rêve était d'animer un combat de sabres lasers, ou d'avoir un personnage qui ait la force", confesse le réalisateur. "Comme on est un studio essentiellement reconnu pour nos séquences d’action, on a conçu deux histoires dans cette veine-là."

La première mettait en scène une jeune fille à la campagne devenant une Jedi. La seconde, moins classique, imaginait un robot de maintenance découvrant qu'il a la force. Une idée refusée par Disney: "Ils nous ont dits que ce n'était pas possible. Dans l'univers de Star Wars, il y a des règles à respecter. Ça nous a impressionnés."

La troisième idée, située dans un univers rappelant celui du cabaret parisien, est plébiscitée. "Ce côté espionnage, avec ce personnage à la fois au service de l'Empire et de la Rébellion, qui recueille des informations de l'ennemi pour les utiliser contre lui, leur a beaucoup plu. Et ça permettait de montrer les forces de l'Empire au repos."

Un an de fabrication et un nom de code

Il a fallu en tout un an à La Cachette pour concevoir son épisode de seize minutes. "Ils n'avaient pas de durée maximale, c'est juste qu'en termes de budget et de temps de fabrication, au-delà de 15 minutes, on commençait à être ric-rac pour faire bien les choses et le livrer à temps", explique Julien Chheng, avant de détailler:

"L'écriture a pris trois mois. Il a fallu ensuite trois-quatre mois pour le développement visuel, enregistrer les comédiens, trouver les couleurs, le style et développer le storyboard. Idem pour l'animation."

"Quinze personnes ont travaillé dessus", précise-t-il. "Tout le monde était tellement motivé que c'est allé très, très vite."

L'équipe du studio La Cachette qui a travaillé sur l'épisode "The Spy Dancer"
L'équipe du studio La Cachette qui a travaillé sur l'épisode "The Spy Dancer" © La Cachette

Mais tout s'est effectué dans le secret le plus absolu, Star Wars oblige. "Ce n'était pas évident", reconnaît Delphine, cheffe décoratrice de The Spy Dancer. "On devait faire très attention. On en parlait en utilisant un nom de code, Kyoto. C'est encore difficile aujourd'hui de parler de l'épisode en utilisant son vrai titre!"

"Aucune limite"

En termes d'animation, The Spy Dancer est pour Julien Chheng et ses équipes "l'addition de l'expérience" acquise sur Primal (pour les scènes d'action) et Ernest et Célestine (pour la sensibilité du trait et le jeu des personnages). "L'animation de Kyoto est différente, plus réaliste, plus sensible, moins brutale", résume P-J, animateur 2D.

Visuellement, The Spy Danser mêle les genres. "On s'est amusé à faire de l'action élégante, avec des arts martiaux. Il y a aussi une scène de danse un peu abstraite, qui permet d'exprimer la colère de notre héroïne."

"On voulait aller jusqu'aux frontières de ce qui est possible de faire dans l'univers Star Wars, et que ça marche", explique-t-il.

Disney leur a laissé les coudées franches. "C'était très créatif, très stimulant", indique Delphine. "On a donc fait des stormtroopers femmes, hommes, avec différentes corpulences, de différentes ethnies", complète Julien Chheng. "Ils nous ont laissés nous amuser, parce que ce n'était pas dans d'autres épisodes."

Une scène du court-métrage "The Spy Dancer" de la série "Star Wars: Visions"
Une scène du court-métrage "The Spy Dancer" de la série "Star Wars: Visions" © Lucasfilm

Le réalisateur s'est malgré tout imposé une contrainte: "Comme tout se passe en huis clos, dans le cabaret, je voulais quand même qu'on ait des variations d'ambiances et de couleurs très marquées, selon les différentes étapes du film, pour qu'on ait une sorte de voyage colorimétrique, pour que le spectateur ne s'ennuie pas."

"Il y a de jolies ambiances, avec les lasers, qui font les lumières sur les personnages, et les décors. C'est très beau", note P-J. "Mais dessiner le cabaret n'était pas évident. C'est un lieu très organique, très extraterrestre. Il y a plein de perspectives un peu bizarres, mais c'était très fun à faire", ajoute Delphine.

Le plus difficile était de ne pas se laisser "écraser par cet univers", note le réalisateur, qui s'est laissé prendre au jeu en imaginant les noms les plus "starwarsiens":

"Il suffit de rajouter des accents, des traits d'union, des espaces, et ça marche bien. Le prénom de Loi'e est ainsi inspiré de celui de la danseuse Loïe Fuller."

Avec l'accent français

Pour son héroïne, une femme dans la quarantaine-cinquantaine, Julien Chheng voulait "un caractère fort" avec "de la grâce, de la sévérité". "Ça m'a fait aller vers des personnages très anguleux." Il s'est aussi inspiré d'une danseuse de la troupe de Jabba. "Et inconsciemment, je l'ai fait ressembler à Camille Cottin", précise-t-il.

L'héroïne du court-métrage "The Spy Dancer" de la série "Star Wars: Visions"
L'héroïne du court-métrage "The Spy Dancer" de la série "Star Wars: Visions" © Lucasfilm

L'un des chefs de la rébellion, Jon, doublé par Lambert Wilson, est "une sorte de vieux beau à la Belmondo" - la planète où se déroule The Spy Dancer est d'ailleurs baptisée B-Bel. La France est présente jusqu'aux accents des personnages, légèrement surjoués par les comédiens.

"On a beaucoup réfléchi à cette idée", se rappelle Julien Chheng. "Puis on s'est rendu compte que ce qui donnait sa richesse à cet univers était qu'on sente l'ethnicité des peuples qui y vivent. Dans les films, il y a beaucoup d'accents: hispanique, anglais, écossais..."

Le triomphe de l'animation française

Alors que des Français remportent une bataille décisive sur l'Empire, The Spy Dancer témoigne aussi du rayonnement de l'animation française dans le monde - et de son dynamisme, se félicite Julien Chheng. "L'animation française est désirée pour tous les publics dans le monde. Ils ne s'en sont pas cachés quand ils nous ont contactés."

"Il y a une qualité technique ultra-exigeante en design, en couleurs et des influences à la fois américaines et japonaises qui font que ce qu'on fait en France peut plaire un peu partout dans le monde. C'est un style qui s'exporte très bien", estime Julien Chheng.

Et à l'aube de ses dix ans, une telle expérience consolide la position de La Cachette dans le champ de l'animation. "Ça renforce notre envie de continuer", conclut Julien Chheng. "Ça nous permet de partir plus vaillant et confiant quand on va négocier le budget de notre prochaine série ou présenter nos nouvelles œuvres originales."

Le film sera présenté lors du festival d'Annecy le mardi 13 juin. La projection sera accompagnée par une conférence sur les coulisses de sa création.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV