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Laurent Kerusore, Anne Decis, Ambroise Michel, Cecilia Hornus, Fabienne Carat, Sylvie Flepp, le 11 juin 2007 au festival de Monte Carlo.

Valéry Hache - AFP

"C'est une cage dorée": la difficile reconversion des acteurs de "Plus belle la vie"

Alors que l'emblématique série de France 3 s'arrête ce vendredi, la question de la reconversion se pose pour les acteurs, très marqués par leur rôle.

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Y a-t-il une vie après Plus belle la vie? Avec l'arrêt de la série, dont le dernier épisode sera diffusé ce vendredi sur France 3, la question se pose pour les centaines de techniciens qui travaillaient sur le plateau de la Belle de Mai, à Marseille. Mais aussi pour les comédiens.

Car jouer dans un tel feuilleton, c’est s’inviter chaque soir dans le salon des Français. Et accepter de s’effacer derrière son personnage.

"Où que j’aille, le Mistral se balade avec moi", évoque ainsi Laurent Kerusoré, interprète de Thomas Marci depuis 2005

"On m’arrête et on me demande: 'Ils ne sont pas là les autres?'", explique le comédien, dans le récent livre du journaliste de Télérama Pierre Langlais, Incarner une série.

"Jolie notoriété" ou "cage dorée"?

"Les trois-quarts du temps, quand on m’arrête dans la rue, on me parle de la série. On m'appelle parfois Barbara", abonde auprès de BFMTV, la comédienne Léa François, qui joue Barbara Évenot depuis 2009 dans Plus belle la vie.

Car en 18 ans de diffusion quotidienne, et 4665 épisodes, la série a su créer un lien très fort avec le public. Précurseur sur de nombreux sujets de société comme le mariage homosexuel ou le harcèlement, le feuilleton a été à la fois un miroir de la société et un moteur de changement.

Associés au succès de la série, les acteurs sont très appréciés du public. "C'est une jolie notoriété, une notoriété très populaire", souligne Fabienne Carat, qui a incarné Samia Nassri pendant 15 ans.

Les comédiens de "Plus belle la vie" Franck Borde, Dounia Coesens, Rebecca Hampton et Laurent Kerusoré posent lors d'une séance de dédicace, le 19 novembre 2008 à Marseille.
Les comédiens de "Plus belle la vie" Franck Borde, Dounia Coesens, Rebecca Hampton et Laurent Kerusoré posent lors d'une séance de dédicace, le 19 novembre 2008 à Marseille. © Gérard Julien - AFP

Les acteurs récurrents de la série le soulignent tous, un tel rôle est avant tout une chance, dans une profession si difficile et si concurrentielle. "Je connais tellement de comédiens pour qui c'est compliqué, que quand on a la chance que ça marche et de tourner autant, pendant tant de temps, ça serait dommage de trouver ça difficile", relève ainsi Léa François.

Dans Incarner une série, Laurent Kerusoré évoque lui aussi ce statut d'"intermittent privilégié" que confère un tel rôle. Mais le compare en même temps à une "cage dorée".

"Le doré, c’est la sécurité relative de l'emploi. (...) La cage, c’est que c’est foutu: j’étais et je resterai Thomas Marci pour la plupart des spectateurs, des décideurs de chaîne et des producteurs."

Un tournage chronophage

Les comédiens de Plus Belle la vie ne sont certes pas les seuls à être enfermés dans un rôle. Mais ils pâtissent peut-être de l'image populaire de la série, mais aussi des conditions de tournage. Et du casting pléthorique.

"C’est une série avec beaucoup de personnages et d’acteurs et pas vraiment de vedettes", analyse Pierre Langlais. "C'est dur de briller dans un cadre comme celui-là, qui offre un espace de jeu assez réduit", ajoute le spécialiste des séries.

Une photo prise lors du dernier jour de tournage de "Plus belle la vie" à Marseille, le 28 septembre 2022.
Une photo prise lors du dernier jour de tournage de "Plus belle la vie" à Marseille, le 28 septembre 2022. © Nicolas TUCAT / AFP

Beaucoup de scènes, peu de prises... Le rythme de Plus Belle La vie n'est pas non plus forcément propice aux performances d'acteurs.

Et il est d'autant plus difficile de passer à autre chose que le tournage du feuilleton, très chronophage et intense, permet difficilement de mener d'autres projets en parallèle. "Quand on est en intrigue principale, on ne peut pas faire autre chose", confirme Fabienne Carat.

"On se lève à 6 heures, on rentre à 19h30, on a beaucoup de texte pour le lendemain", raconte l'actrice. "C’est compliqué."

La comédienne Sara Mortensen a ainsi dû renoncer au rôle de Coralie Blain, qu'elle a incarné pendant 7 ans, le jour où elle a décroché le rôle principal dans la série policière Astrid et Raphaëlle. Impossible de concilier les deux, la comédienne est remerciée en 2019. "La production ne parvenait plus à gérer mon emploi du temps", expliquait-elle alors sur Instagram.

Changer le regard des réalisateurs

Pour une Sara Mortensen ou une Laetitia Milot, qui enchaîne aujourd'hui les téléfilms, combien d'acteurs vont rester enfermés dans leur image d'acteur de Plus belle la vie?

"On ne peut pas généraliser", estime Fabienne Carat, qui a quitté la série en 2021. "Il y en a qui feront plein d’autres choses et d’autres pour qui l'étiquette sera trop forte. C’est inexplicable. Ça dépend de ce qu’on dégage, de ce qu’on fait à côté, des gens qu’on rencontre, des projets qui vont nous polir différemment. De l’imagination aussi des réalisateurs ou des producteurs, qui vont nous voir ailleurs."

 Sara Mortensen, Fabienne Carat, Cecilia Hornus et Léa Francois le 7 juin 2014 au festival de la télévision de Monte Carlo
Sara Mortensen, Fabienne Carat, Cecilia Hornus et Léa Francois le 7 juin 2014 au festival de la télévision de Monte Carlo © Valéry Hache - AFP

Après son départ de la Plus belle la vie, la comédienne a elle-même été confrontée à cette image, qui colle à la peau.

"Je m’étais dit 'c’est un genre d’étiquette qui va se décoller à la sueur de mon travail', évoque encore Fabienne Carat. J’ai compris au fil des années que ce n’était pas une étiquette, que c’était un tatouage, et que la seule façon de continuer, c’était de rajouter d’autres dessins autour de ce tatouage."

L'actrice de Section de recherches a tenté d'autres expériences, loin de Plus belle la vie. Plus que son one woman show, sa participation à Danse avec les stars, en 2020, a pour elle été décisive.

"J’ai senti dans les regards des gens quelque chose de différent. Il y avait un peu d’admiration".

Pour tourner la page des années Mistral, Laurent Kerusoré, qui s'était déjà essayé à la chanson il y a quelques années sur scène, retente sa chance en musique: il tourne actuellement son premier clip. "On n'est jamais à l'abri d'un succès", a-t-il plaisanté, interrogé par France 3.

"Retrouver une forme de virginité"

"Les acteurs vont devoir retrouver une forme de virginité", analysePierre Langlais. "Trouver un réalisateur qui leur fasse confiance pour leur demander autre chose. Peu y arrivent."

Fin octobre, Laurent Orry (Jérôme Belesta) s'est ainsi ouvert de ses difficultés à Télé Loisirs. Non sans une certaine amertume. "En France, je galère. Ce milieu est très fermé. Je me souviens d'une réalisatrice qui semblait très intéressée par mon travail mais quand je lui ai dit que j'avais joué dans Plus belle la vie, tout était terminé!"

"Les acteurs de Plus belle la vie sont parfois victime d'ostracisme", assure Richard Guedj, qui a longtemps officié comme directeur d'acteurs de la série.

"Il est arrivé, que lors de casting, tel ou tel acteur refuse de donner donner la réplique à un autre, parce qu'il venait de Plus belle la vie", affirme-t-il.

Plus optimiste, Léa François voit dans sa notoriété Plus belle la vie un tremplin plus qu'un boulet. "On sait maintenant en regardant un peu la télé, que les chaînes, les producteurs et les réalisateurs sont aussi un peu friands des séries. Et dans plein de programmes, on voit des têtes qu'on a déjà vues ailleurs!".

"Ils ont beaucoup de talent. On les reverra bientôt", est persuadé Richard Guedj. Lui se fait "plus de souci pour les techniciens, les petites mains" - Plus belle la vie faisait travailler plus de 600 personnes chaque année. Pour elles, France Télévisions a promis de multiples tournages de séries dans la région marseillaise en 2023 pour "compenser l'impact de l'arrêt" du feuilleton.

Magali Rangin