BFMTV
Musique

Retour des 80's, du disco, de la house... pourquoi la pop se recycle-t-elle tant?

The Weeknd, Juliette Armanet ou encore Beyoncé se sont récemment inspirés de mouvements musicaux vieux de plusieurs décennies (les synthés 80's, le disco et la house, respectivement)

The Weeknd, Juliette Armanet ou encore Beyoncé se sont récemment inspirés de mouvements musicaux vieux de plusieurs décennies (les synthés 80's, le disco et la house, respectivement) - Suzanne Cordeiro - AFP / UMG / Larry Busacca - Getty Images North America - AFP

De Dua Lipa à Clara Luciani, en passant par Drake et même Beyoncé, la pop mondiale de ces dernières années s'est beaucoup inspirée d'anciens courants de la chanson. Une pratique tout sauf inédite, mais accentuée par les nouveaux moyens de consommation de la musique.

L'été sera house ou ne sera pas. C'est ce qu'a annoncé Beyoncé, le 20 juin dernier, en dévoilant son dernier single. Ce genre musical dansant popularisé dans les années 1990 est au cœur des inspirations de Break My Soul, titre choisi pour donner le ton de Renaissance, son septième album disponible ce vendredi.

La reine de la pop américaine avait été devancée de quelques jours par Drake, qui avait dévoilé l'album Honestly, Nevermind une semaine plus tôt. La presse et le public ont œuvré main dans la main pour descendre le disque - si bien que le chanteur est lui-même monté au front pour se défendre - mais aussi pour souligner ses surprenantes sonorités house, oubliées depuis 30 ans.

Et à bien y regarder, ces dernières années ont été marquées par de nombreuses résurgences similaires. De part et d'autre de l'Atlantique, les radios ont d'abord assisté à un retour en force des synthétiseurs des années 1980 (The Weeknd, Dua Lipa, Harry Styles, Soprano) avant de parler d'une renaissance du disco (Kylie Minogue, Juliette Armanet, Clara Luciani). Vingt ans après Avril Lavigne, Sum 41 ou Blink 182, la pop-rock teintée de punk a été remise au goût du jour par les succès phénoménaux d'Olivia Rodrigo, Machine Gun Kelly ou Yungblud. Et si Queen Bey elle-même cède à la tendance du désarchivage musical, on est en droit de se demander si la pop mondiale ne souffrirait pas d'un certain manque d'inspiration.

Pas de quoi tirer le signal d'alarme, selon Olivier Julien, maître de conférences spécialisé dans les musiques populaires à la Sorbonne Université: "À certains égards, l’histoire des musiques populaires est, au moins depuis le milieu du siècle dernier, une histoire de recyclage", rappelle-t-il pour BFMTV.com.

"Par essence, ce sont des musiques 'industrielles', dans le sens où elles s'inscrivent dans une économie de marché. Pour l’industrie du disque, je pense qu’il s’agit surtout de perpétuer des formules qui ont déjà fait leurs preuves tout en les actualisant au gré des évolutions technologiques, voire sociétales."

"La mode est souvent à la musique d'il y a 25 ans"

Cette relecture d'anciens genres musicaux ne serait-elle alors qu'une basse stratégie commerciale, dont l'objectif serait de produire à la chaîne des hits assurés? Pour Victor Le Masne, compositeur et producteur de musique, ces résurgences relèvent surtout d'une tendance naturelle de l'art "à se nourrir de lui-même", dans tous les secteurs:

"Un nouveau King Kong sort au cinéma tous les trente ans, Steven Spielberg vient de réaliser une nouvelle version de West Side Story, Marvel cartonne avec des films tirés de BD des années 1940... même en architecture, on a observé une grosse résurgence des années 1930 dans les années 1970, avec le style art déco. C'est pareil pour la musique. Et j'ai le sentiment que les producteurs de 30 ans vont souvent avoir tendance à produire des sons qui leur rappellent leur enfance. En gros, la mode est souvent à la musique d'il y a 25 ans."

Ce délai semble évident quand le musicien énumère les exemples: la nostalgie des 50's en plein coeur des années 1970-80, avec des films comme Grease ou les bandes-originales de Footloose et Dirty Dancing. En 1992, Vanessa Paradis explorait le rock'n'roll des années 1970 pour son album intitulé Vanessa Paradis, écrit et produit par Lenny Kravitz. Deux ans plus tard, Cédric Klapish s'imposait au cinéma avec Le Péril jeune, chronique d'une année de terminale dont l'intrigue se situe en 1976...

"La question, c'est ce que l'on va en faire pour ne pas tomber dans la répétition", poursuit-il. "On puise dans l'existant, on s'en inspire, mais il ne faut pas se perdre en regardant trop dans le rétroviseur. Mon but, en tant que producteur, c'est de rester éveillé à mon époque, rester moderne."

Kitsch hier, politique aujourd'hui

Le travail de Victor Le Masne est au cœur de ce questionnement: il a travaillé avec Kavinsky et Gaspard Augé (ancienne moitié de Justice), deux ambassadeurs de la réhabilitation des années 1980. Il est également l'un des principaux artisans de l'album Brûler le feu de Juliette Armanet, au ton résolument disco. "Cela correspondait à une envie de Juliette", se souvient-il. "Quand je commençais à réfléchir au différentes sonorités de ce nouvel album je pensais aux grandes divas disco comme Cher, Diana Ross ou Donna Dummer, et je me disais que ce serait un personnage qui lui irait bien."

Au-delà de la nostalgie, peut-être que le retour d'anciens genres musicaux trouve aussi sa source dans certaines avancées sociétales. C'est la théorie qu'avance Éric Jean-Jean, animateur musical pour RTL et RTL2. Le spécialiste trouve pertinent que le disco ait droit à une deuxième vie, à l'heure où les droits des femmes et de la communauté LGBT se retrouvent au cœur du débat public:

"On ne s'en est pas rendu compte immédiatement, mais le disco était aussi une musique communautaire. Elle a été un peu décriée, mais elle a été importante pour la communauté gay, pour les femmes, elle était précurseure politiquement. Quand Gloria Gaynor chante I Will Survive, elle interprète un hymne féministe. Je comprends que des filles comme Juliette Armanet ou Clara Luciani s'en revendiquent."

"La musique se métisse"

Plus globalement, cette rencontre entre le disco et la variété française, entre le rap et la pop (Soprano) ou encore entre le R&B et la house (Beyoncé), est aussi le symptôme d'une nouvelle manière de consommer la musique. "Aujourd’hui, les jeunes ont Spotify, iTunes, Deezer", poursuit-il. "Au lieu d'aller chez le disquaire, et de dépenser leur argent dans les rayons qu'ils connaissent, ils écoutent des playlists où ils entendent du rap, du rock, de la pop et de l’électro. Les jeunes générations sont totalement décomplexées dans ce qu'elles écoutent, et ça se retrouve dans les productions. La musique se métisse, parce qu'elle a les moyens de se nourrir de tout."

Pour Olivier Julien, de la Sorbonne, la démocratisation du sample a sans doute eu son rôle à jouer. Cette technique qui consiste à emprunter un élément d'une chanson pour l'incorporer dans une autre "n'a fait qu'accentuer le phénomène, en le rendant plus apparent". Si elle est apparue dès les années 1970, cette pratique est toujours plus utilisée. Break My Soul, où Beyoncé retravaille un titre de Robin S., et le hit Break My Heart de Dua Lipa, dans lequel elle adapte le célébrissime riff de guitare de Need You Tonight, tube d'INXS en 1987, en sont deux récents exemples.

Reste à savoir où se situent les pionniers des années 2020. "Peut-être qu'il n'y a pas eu de nouvelles inventions technologiques qui permettent de faire naître un nouveau genre de musique", estime Éric Jean-Jean. "Mais je reste fasciné par la créativité. Prenons l'exemple de PNL: ils proposent vraiment quelque chose de nouveau en mêlant de l'ambient, un son électro des années 1990, avec des textes très rap." Et de conclure:

"Au final, la musique, c'est comme la cuisine: ce sera toujours de la viande, du poisson et des légumes, mais il y aura toujours un génie qui trouvera comment les mélanger d'une manière qu'on n'imaginait pas."
https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV