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"On a un savoir-faire unique": pourquoi le cinéma d'animation français est le plus envié au monde

Un visuel de la saison 1 d'"Arcane", une série à succès conçue en France

Un visuel de la saison 1 d'"Arcane", une série à succès conçue en France - Netflix

Soutenu par un enseignement de qualité, le milieu de l'animation française est réputé dans le monde entier, de Hollywood au Japon. Enquête sur une exception culturelle française.

L'industrie française du cinéma d'animation n'a jamais été aussi populaire, et ses talents s'arrachent dans le monde entier. Le studio La Cachette a dévoilé en mai dernier The Spy Dancer, un court-métrage Star Wars réalisé pour Disney. La société Mikros s'est de son côté chargée de l'animation de Ninja Turtles: Teenage Years (en salles le 9 août), tandis que des animateurs français ont participé au très attendu The First Slam Dunk (le 26 juillet).

La France est devenue le troisième pays producteur d'animation après les États-Unis et le Japon, avec plus de 8.000 auteurs, artistes et techniciens. Grâce au rayonnement de séries comme Arcane, Miraculous ou encore Totally Spies, Atomic Betty et Code Lyoko, et d'entreprises comme Illumination, Xilam ou Blue Spirit, la France s'est taillée la part du lion dans un milieu très compétitif.

Illumination a ainsi fait appel à Benjamin Renner (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard) pour sa prochaine production 3D, Migration, sur une famille de canards partant passer l'hiver en Jamaïque. Les premières images très prometteuses ont été montrées à Annecy. Des animateurs français ont aussi été contactés pour travailler sur des clips, comme Mehdi Aouichaoui sur Physical de Dua Lipa.

"Il suffit de voir qui est derrière le film d’animation Super Mario Bros. ou encore la série Arcane pour comprendre rapidement que nous faisons partie des leaders en la matière", s'enthousiasme le réalisateur Cédric Biscay, qui travaille avec Thomas Astruc (Miraculous) sur une adaptation d'Astro Boy. Super Mario Bros. a en effet été co-réalisé par le Français Pierre Leduc, tandis que la série Arcane a été conçue par le studio parisien Fortiche.

Ce succès est aussi lié à l'internationalisation généralisée du marché de l'animation, et à la nécessité de pouvoir produire des œuvres qui parlent à tous les publics. D'où la nécessité d'avoir une équipe diversifiée: "Quand une personne a des capacités, on l'inclut au projet", répond Toshiyuki Matsui, producteur de The First Slam Dunk. "Il y a des Français et d'autres nationalités qui ont travaillé sur notre film. C'est important de faire appel à l'international."

"Un style qui s'exporte très bien"

Plébiscitée par un public de plus en plus large, l'animation s'est également hissée à la tête des exportations audiovisuelles françaises. Depuis 2018, les États-Unis et la Chine comptent parmi les premiers acheteurs d’animation française. Selon le CNC, le marché international était même à l’origine de 62 % des entrées des films d’animation français en 2021.

"L'animation française est désirée par tous les publics dans le monde", nous confiait le mois dernier Julien Chheng, cofondateur de La Cachette et réalisateur de The Spy Dancer. "Il y a une qualité technique ultra-exigeante en design, en couleurs et des influences à la fois américaines et japonaises qui font que ce qu'on fait en France peut plaire un peu partout dans le monde. C'est un style qui s'exporte très bien."

Philippe Alessandri, co-producteur de Mars Express, ambitieux polar de SF sélectionné à Cannes et au festival d'Annecy, partage cette analyse: "Une personne travaillant chez Nickelodeon me disait récemment qu’elle voulait faire un film en France, parce qu’elle aimait bien le 'franime', la façon dont les Français ont digéré l'animation japonaise. Contrairement à nous, les Américains l’ont mal digéré, c’est trop américain, pas assez japonais."

Genndy Tartakovsky a ainsi collaboré avec La Cachette sur sa série préhistorique Primal, récompensée aux Emmy Awards. Le créateur de Samuraï Jack et réalisateur de la trilogie Hôtel Transylvanie a aussi fait appel à eux pour sa dernière série, Unicorn: Warriors Eternal, diffusée en mai dernier sur Adult Swim.

"Les Américains nous respectent beaucoup pour notre exigence", précise Philippe Alessandri. "Ils connaissent nos budgets, et ils n'en reviennent pas qu'on soit capable de sortir des films de cette qualité-là. Mars Express, c’est seulement un budget de 8 millions d’euros." Ils apprécient aussi les initiatives prises: "Les équipes de Mikros se sont vraiment appropriées le look de Ninja Turtles. Ça n'arrive pas souvent", note Jeff Rowe.

Polyvalence des techniciens français

Résultats, les commandes internationales affluent. La France est ainsi le troisième pays pourvoyeur de séries d'animation (avec 65 titres), derrière les États-Unis (313 titres) et le Japon (214 titres)). France Télévisions est aussi le premier groupe européen avec 40 programmes d’animation commandés. Entre 2012 et 2021, l’international représentait 24,9% du financement des films d’animation d’initiative française, selon des chiffres publiés par le CNC. En 2021, ce chiffre représentait 29,1%.

Une reconnaissance et un succès notamment liés à la polyvalence des techniciens français, malgré une certaine faiblesse en matière de gestion de projets, selon un rapport du CNC publié l'année dernière.

Cette spécificité française doit beaucoup à la qualité du tissu éducatif. En 2022, quatre écoles françaises d'animation se classaient ainsi dans le top 15 Animation Career Review, avec les Gobelins en première position, suivis par l'ESMA, ARTFX, l'École Mopa.

"Il y a une tradition française", indique Alex Baduel, directeur de l’enseignement "Animation/VFX" à l’école 3iS (qui dispose de campus à Paris, Bordeaux, Nantes et Lyon). "Certes, on est capable de se mettre au service de n’importe quel type de production, et de s'adapter, mais quand on regarde les courts-métrages français d’école, il y a une identité forte, une part de singularité qu’on ne va pas trouver ailleurs."

"Les États-Unis ont fermé de grandes écoles d'art pour se spécialiser dans la 3D. Aujourd’hui, ils ont un vrai besoin de créateurs qu'ils vont chercher en France. On a un savoir-faire unique au monde", acquiesce Benoît Chieux, dont le film Sirocco a fait l'ouverture du festival d'Annecy. "On arrive à l’aboutissement d’un système mis en place il y a 20, 25 ans par l’éducation et la formation professionnelle."

"La France a réussi à combiner le dessin et la technologie", ajoute-t-il. "Même les Japonais ont beaucoup de mal à amener la 3D sur des terrains graphiques intéressants." "Les animateurs français comptent parmi les meilleurs au monde, car la France mise à fond sur l’éducation artistique, et possède de nombreux trésors culturels", complète Jeff Rowe, réalisateur de Ninja Turtles: Teenage Years. "Ils bénéficient d'un héritage culturel immense."

Manque de main d'œuvre

La France est surtout depuis les années 1960 un berceau d'innovation en matière d'animation, de Paul Grimault (Le Roi et l'oiseau) à Michel Ocelot (Kirikou et la sorcière) en passant par René Laloux (La Planète sauvage). Sans oublier les frères Brizzi, qui ont dirigé un studio d'animation à Montreuil pour Disney. Mais dans les années 1990 et 2000, toute une génération d'animateurs de talent s'était envolée à Hollywood, désertant la France.

La situation s'est désormais inversée et profite aux productions françaises. "L'animation de Sirocco est assez exigeante, avec des mouvements [de caméra] très complexes", souligne Benoît Chieux. "Il y a 20 ans, on aurait eu du mal à trouver une équipe suffisamment nombreuse pour fabriquer ce film. Aujourd’hui, tous les maillons se sont développés à grande échelle en France. On voit grandir une industrie qui va continuer à se développer."

"C'est le marché qui décide simplement où ces talents vont pouvoir s'exprimer", estime Cédric Biscay. "Il semble que dorénavant, il soit possible de garder ces talents en France et c’est tant mieux pour la filière et l’image du pays". Son adaptation d'Astro Boy témoigne de cet âge d'or: "depuis maintenant plusieurs années, le Japon ne peut plus se satisfaire de son marché intérieur et a pleinement conscience de la force de ses franchises à l’international."

Mais la production française ne doit pas se laisser monopoliser par ces productions américaines au détriment de productions plus personnelles: "On n'a rien contre travailler sur des shows créés par des Américains, avec des budgets importants, mais ce qui est agaçant est de n'avoir que ça", alerte Philippe Alessandri.

Les animateurs français sont si sollicités qu'un manque de main d'œuvre est aussi possible. "On ne trouve pas quarante personnes compétentes au coin de la rue. Surtout en ce moment, où il y a plusieurs productions en même temps. Tout le monde est très demandé. Ça devient un vrai enjeu", conclut Benoît Chieux. "Il y a vingt ans, l'animation était un métier marginal. Aujourd'hui, c'est devenu un métier comme un autre, avec une vraie compétitivité."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV