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Cinéma

"CODA", "The Power of the Dog"... Le sacre des plateformes de streaming aux Oscars

Le casting du film "CODA" lors des SAG Awards le dimanche 27 février 2022

Le casting du film "CODA" lors des SAG Awards le dimanche 27 février 2022 - Dimitrios Kambouris - Getty Images via AFP

Le remake de "La Famille Bélier" et le film de Jane Campion, distribués par Apple TV+ et Netflix, ont remporté les récompenses suprêmes du 7e Art.

Entre les plateformes de streaming et les Oscars, l'histoire a parfois été compliquée. Un temps tentée d'interdire la participation de Netflix et consorts à la course aux Oscars, l'Académie accueille désormais à bras ouverts leurs productions. Et les célèbre. 2022 restera dans les annales de Hollywood comme l'année de leur sacre.

Pour la première fois en 94 éditions, l'Oscar du meilleur film a été attribué à un film destiné au streaming. C'est CODA, remake de La Famille Bélier diffusé sur Apple TV+, qui a remporté la mise, coiffant au poteau The Power of the Dog, l'autre favori de la cérémonie.

Ironiquement, ce n'est pas Netflix, la plateforme qui a sans doute le plus cherché ces dernières années à s'imposer aux Oscars, qui fait office de pionnière, mais Apple TV+, entrée seulement cette année dans la course à la récompense suprême.

Profiter de la pandémie

Ce ne sont pas les seules récompenses glanées par les géants du streaming. Troy Kotsur, une des stars de CODA, a remporté la statuette du meilleur acteur dans un second rôle. Et la réalisatrice de CODA, Sian Heder, a reçu l'Oscar du meilleur scénario adapté. Summer of Soul (Disney +), qui retrace l'histoire du méconnu Harlem Cultural Festival de 1969, a obtenu l'Oscar du meilleur documentaire.

Cette victoire des géants du streaming est cependant à prendre avec des pincettes: Netflix, qui cumulait 27 nominations cette année, n'a reçu qu'un seul prix, celui de la meilleure réalisation pour Jane Campion. En 2021, Netflix avait raflé 40 nominations, et n'avait remporté que sept statuettes. En tout, la plateforme a obtenu 16 Oscars pour un total de 119 nominations depuis 2015.

Ce n'est pas la première fois que Netflix rate de peu l'Oscar du meilleur film. Roma d'Alfonso Cuaron, que la plateforme distribue, lui a permis de décrocher trois statuettes en 2019, dont celles du meilleur réalisateur et du meilleur film en langue étrangère. Amazon a de son côté remporté l'Oscar du meilleur scénario et du meilleur acteur pour Casey Affleck pour Manchester By The Sea en 2017.

La présence des plateformes aux Oscars n'a fait que croître depuis 2014, et s'est même accentuée depuis le début de la pandémie. Une grande partie des films nommés cette année étaient ainsi produits ou distribués par des plateformes de streaming, comme La Tragédie de Macbeth (Apple TV+) de Joel Coen, Don't Look Up: Déni Cosmique (Netflix), parabole grinçante sur la crise climatique, ou les films d'animation Les Mitchells contre les machines (Netflix) et Raya et le dernier dragon (Disney+).

Booster les vues et s'offrir une légitimité

Comment expliquer cet acharnement des plateformes à vouloir s'imposer aux Oscars? Considérés comme la récompense du 7e Art, les Oscars offrent une indéniable visibilité aux films. Même si les audiences de la cérémonie sont en chute libre depuis deux ans, un Oscar booste les vues. C'est en tout cas ce qui s'est passé pour Roma (Netflix).

"La semaine qui a suivi l'annonce des nominations, les vues de Roma ont fait un bond de 250%", expliquait alors au Huffpost un porte-parole de Netflix, soulignant cependant que cet exemple restait une exception. Si Apple ne laisse jamais filtrer les moindres données sur ses abonnés, il y a fort à parier que le triomphe de Coda draine de nouvelles souscriptions dans le giron d'Apple.

Les Oscars permettent également aux plateformes d'asseoir leur crédibilité. En 2020, Ted Sarandos, le patron de Netflix, expliquait lors d'une intervention face à des investisseurs que viser les Oscars faisait partie intégrante de sa stratégie. Se félicitant des nombreuses nominations de The Irishman et Marriage Story, Ted Sarrandos soulignait qu'il y voyait le moyen d'attirer des talents et de monter des films ambitieux.

La plateforme, qui a produit des auteurs comme les frères Coen, Spike Lee ou Steven Soderbergh, est en effet devenue le refuge de cinéastes qui ne parviennent pas à faire financer leur film. Martin Scorsese a pu y produire The Irishman, film-fleuve sur la mafia qu'il rêvait de tourner depuis les années 2000.

Une course qui va s'intensifier

Pour vaincre les a priori de l'industrie du cinéma, Netflix a accepté de se plier au calendrier des Oscars, comme le font les studios traditionnels. La plateforme a même sorti dans les salles américaines certains de ses films et a adapté son planning de diffusion pour pouvoir faire campagne entre septembre et décembre. The Irishman est sorti en novembre 2019, et The Power of the Dog en décembre 2021. Apple TV+ a fait de même pour La Tragédie de Macbeth.

Netflix et Apple TV+ ne vont pas s'arrêter en si bon chemin. La course aux Oscars des plateformes va s'intensifier dans les prochaines années. Désormais lié à Netflix par un contrat d'exclusivité, Noah Baumbach dévoilera en fin d'année son nouveau film, White Noise, avec Greta Gerwig et Adam Driver. Sera diffusé au même moment le très attendu Blonde d'Andrew Dominik, biopic de Marilyn Monroe avec Ana de Armas, et Pinocchio, comédie musicale en stop motion de Guillermo Del Toro. Autant de vainqueurs potentiels.

Si Martin Scorsese ne travaille plus avec Netflix, il n'est pas pour autant reparti travailler avec les studios traditionnels. Le réalisateur presque octogénaire s'est reporté sur Apple TV+ pour son prochain projet. Killers of the Flower Moon, un western avec Leonardo DiCaprio et Robert de Niro. Ce film, qui bénéficie des moyens d'une superproduction Marvel, devrait se tailler la part du lion dans la campagne des Oscars de 2023. L'ère de l'égémonie des plateformes aux Oscars ne fait que commencer.

Jérôme Lachasse