BFMTV
Bandes dessinées

"Testosterror", la nouvelle BD satirique de Luz qui se moque des masculinistes

Le dessinateur Luz en 2023

Le dessinateur Luz en 2023 - Joel Saget

Le dessinateur revient après son adaptation de Vernon Subutex avec un délirant récit post-apocalyptique où un virus fait chuter le taux de testostérone des hommes. Un album déjà couronné de succès dans les librairies.

On connaissait le Beaujolais nouveau. Il faudra désormais compter sur le Luz nouveau. L'ex-dessinateur de Charlie Hebdo publie désormais, avec une régularité de métronome, un album par an. Et avec succès: sa dernière BD, Testosterror, délirant récit post-apocalyptique dans lequel un virus fait chuter le taux de testostérone des hommes, s'est déjà écoulée à plus de 10.000 exemplaires, une semaine après sa sortie.

"Il faut se méfier du Beaujolais nouveau, parce qu'il n'y a rien de plus dégueulasse que ce vin masculiniste", lance Luz, qui reconnaît néanmoins que cet album, son premier en huit ans à ne pas faire référence aux attentats de janvier 2015, marque pour lui un nouveau départ: "C'est le premier livre où je ne parle pas expressément de moi. C'est mon premier livre de fiction totale."

Cette comédie, qui rappelle ses reportages dans Charlie Hebdo, met en scène avec humour une résistance de mâles radicalisés, qui voient dans la pandémie un complot, prélude à un projet de "grand remplacement" des hommes par les femmes. Dans ce chaos, Jean-Pat', concessionnaire automobile martyrisé par un père viriliste, et version 2023 du Beauf de Cabu, tente de devenir un homme nouveau.

La couverture de la BD "Testosterror" de Luz
La couverture de la BD "Testosterror" de Luz © Albin Michel

"Je ne parle pas vraiment de moi dans Testosterror, parce que je n'ai pas tant que ça été victime du masculinisme", poursuit-il encore. "J'ai eu des mâles alpha dans ma famille, mais ils ont surtout été des sources scénaristiques. Je ne sais pas si les mecs que je connais et auxquels j'ai piqué beaucoup de phrases et de comportements masculinistes vont se reconnaître."

Combler "un manque de lecteur"

Avec Testosterror, Luz démarre un nouveau cycle dans sa carrière. "Le problème, c'est que je fais commencer ma carrière de dessinateur de bande dessinée en 2015. Mais je l'ai commencé bien plus tôt en réalité! Testosterror me permet de revenir aux fondamentaux satiriques de J'aime pas la chanson française (une BD de 2007 où il se moque de la chanson française, NDLR) qui est de prendre un sujet et de l'essorer totalement."

"C'est probablement la chose que je fais le mieux: si ce n'est de faire marrer les autres, en tout cas essayer de me faire marrer", complète l'artiste qui rêvait de dessiner Testosterror "depuis très longtemps": "C'est un long scénario que j'ai commencé à écrire il y a cinq ans et qui parle de beaucoup de choses: de masculinité bien sûr, mais aussi du Covid, du rapport père/fils et de mon amour des chiens."

Pour Luz, Testosterror comble surtout "un manque de lecteur": "le fait qu'il n'y a plus un Pétillon (dessinateur satirique disparu en 2018, NDLR) pour dessiner un Jack Palmer ou L'Enquête corse." Avec Testosterror, il se place en héritier: "Si on accumule Testosterror avec les deux tomes de Vernon Subutex, j'ai plus de 1.000 pages de travaux sur mes contemporains."

Blockbuster à la sauce Luz

Testosterror rappelle son adaptation de Virginie Despentes: même profusion de détails dans chaque planche, même regard acéré sur les maux de notre temps et mêmes personnages haut en couleur. "C'est dû à un truc très simple", explique Luz. "J'ai vécu presque cinq ans avec les personnages de Vernon. Je n'avais plus trop envie de les quitter. J'avais envie de continuer à dialoguer avec eux."

Un extrait de la BD "Testosterror" de Luz
Un extrait de la BD "Testosterror" de Luz © Albin Michel

Le héros de Testosterror était au départ une version obèse de Vernon Subutex: "Il dirigerait une boîte de robinets, car je cherchais quelque chose de phallique. Mais je me suis rendu compte au bout d'une trentaine de pages que c'était de la merde. Que ce n'était pas le bon personnage. Et surtout, que ce n'était pas drôle. Si je voulais parler de la masculinité, qu'elle soit toxique ou pas, il fallait mettre de l'ironie."

Après plusieurs albums aux thématiques sombres, Luz a voulu faire un pas en direction du public. En résulte son livre le plus accessible avec une fin digne d'un blockbuster hollywoodien (Gladiator, Predator et Braveheart l'ont inspiré).

"J'ai eu envie que les personnages s'adressent davantage aux lecteurs. J'ai eu aussi envie de baston et d'épique, de faire de grandes batailles sachant que je suis incapable d'en dessiner!"

Passer du temps avec son public

Marquées par une inventivité graphique inouïe, les planches de Testosterror, comme celles de ses autres BD Vernon Subutex, Indélébiles et Hollywood Menteur, témoignent surtout de son besoin de créer sans cesse, quitte à ne laisser aucun espace libre: "Peut-être que ça se veut tellement généreux en dessin et en texte que ça manque d'espace. Mais en même temps, c'est ça la masculinité. C'est un espace étouffant."

Tous ses livres depuis Catharsis évoquent aussi ce thème de l'étouffement: "C'est désormais l'un des enjeux de mon travail: laisser de la place à l'imaginaire. Je suis peut-être encore angoissé par l'idée d'être compris. Du coup, je mets tout. C'est un point commun avec mon travail à Charlie. À chaque fois que je faisais une double page, j'avais cette obsession de tout mettre, d'être absolument exhaustif."

Un trait obsessionnel de son travail qui trahit aussi son envie de partager "un temps infini" avec ses lecteurs et ses lectrices. "Mais je ne peux pas." Les séances de dédicaces ne sont pas à l'ordre du jour: "C'est difficile d'en faire, mais j'aimerais en faire des vraies avec des gens qui te racontent leur vie, qui puent un peu de la gueule, qui sont relous, qui squattent, qui te disent des choses gentilles comme 'J'ai adoré'."

En attendant de pouvoir rencontrer son public, le dessinateur réfléchit déjà à la suite. Plusieurs idées sont en cours d'écriture. Il a aussi commencé un nouvel album qui proposera une plongée dans l’Allemagne des années 1930. Au programme: l'art et la spoliation des collectionneurs juifs. Déjà 25 pages terminées. "C'est plus casse-gueule, plus difficile", prévient-il.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV