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Victoire de Giorgia Meloni aux législatives italiennes: qu'est-ce que le post-fascisme?

Giorgia Meloni face à son public le 26 septembre 2022 à Rome.

Giorgia Meloni face à son public le 26 septembre 2022 à Rome. - Andreas Solaro

C'est la coalition de droite et d'extrême droite qui a remporté les législatives de dimanche en Italie. Le parti Fratelli d'Italia s'est taillé la part du lion lors de ce scrutin et sa leader, Giorgia Meloni, est désormais pressentie pour diriger le prochain gouvernement. BFMTV.com fait le point sur le concept de "post-fascisme", que les observateurs utilisent pour décrire l'idéologie de ce mouvement politique.

La coalition unissant la droite et l’extrême droite italiennes a remporté un triomphe attendu lors des législatives de dimanche. Avec 43% des suffrages exprimés dans ce scrutin lesté par un taux d’abstention particulièrement fort, l’attelage composite allant du Forza Italia de Silvio Berlusconi à la Lega de Matteo Salvini en passant par Fratelli d’Italia s’emparera donc de la majorité des sièges de la prochaine législature.

C’est d’ailleurs cette dernière formation qui s’affirme comme le fer de lance de la victoire du camp conservateur, ayant mobilisé sur son seul nom 26% de l’électorat s’étant prononcé. Probable présidente du Conseil des ministres à venir, sa leader Giorgia Meloni, s’apprête donc à installer le post-fascisme incarné par son parti à la tête de l’Etat italien.

"Cache-sexe"

Si le terme de "fascisme" ravive de douloureux souvenirs, le préfixe qui lui est désormais accolé indique que ce concept a été reconfiguré. Mais le concept de post-fascisme est-il réellement différent du fascisme?

"Pour moi, ‘post-fascisme’ relève du pur nominalisme", affirme l’écrivain et historien spécialiste de l’Italie, Jacques de Saint-Victor. "Il s’agit de dire que le fascisme du XXIe siècle ne sera évidemment pas pareil que celui du XXe mais c’est un cache-sexe du néo-fascisme qui lui-même était un cache-sexe du fascisme interdit après 1945".

En effet, "la loi ne permet pas l’existence d’une association fasciste, même si l’application a pu être sujette à caution", étaye Fabien Gibault, expert en linguistique et enseignant notamment dans les universités de Bologne et de Turin, auteur de nombreux articles sur la scène politique italienne pour le site de l’IRIS.

"Meloni, c’est le fascisme du XXIe siècle. Les idées restent les mêmes: refus de la démocratie telle qu’on l’entend, la promotion de nouvelles élites issues du peuple", égrène pour sa part l’essayiste Dominique Vidal qui a dirigé la rédaction du livre Les Nationalistes à l'assaut de l'Europe.

Discret équilibre

Rien de nouveau, donc, sous le soleil italien? Pas tout à fait non, car l’étiquette ne désigne pas seulement un fascisme mussolinien impossible à brandir en tant que tel mais fait signe vers un dépassement. "Ce qui me frappe chez Meloni, c’est qu’il y a un jeu d’équilibres", reprend ainsi Dominique Vidal : "À la fois, elle a longtemps revendiqué ses racines fascistes car une partie de l’électorat ne votera pour elle que si elle les revendique et en même temps elle se revendique de quelque chose de modernisé, de dédiabolisé. C'est dans cet équilibre que se justifie le préfixe 'post'".

Attention d'ailleurs: utilisé désormais abondamment par les observateurs de la vie publique, le terme de "post-fascisme" n'est pas employé par tout le monde. Surtout pas parmi les premiers intéressés. Lorenzo Castellani, chercheur au sein l'Université Luiss Guido Carli où il est spécialiste des institutions politiques de son pays, met en garde:

"Mis à part la flamme du logo du parti, Giorgia Meloni préfère occulter toute référence directe au post-fascisme. Elle parle de 'conservatisme' et le substitue au mot 'postfascisme'."

Et si le mot a déjà une longue histoire, elle jaillit initialement des rangs de la gauche, selon l'universitaire qui poursuit: "L'emploi politique est d'abord fait par le Parti communiste et les partis de gauche aujourd'hui".

L'expression de "post-fascisme" circule en tout cas - sous la forme d'une accusation - à partir des "années 1970-1980 avec l'évolution du Mouvement Social italien (MSI)", précise à nouveau Lorenzo Castellani. Ce MSI, au sein duquel Giorgia Meloni milite d'abord avant de participer à la création, en 2012, de Fratelli d'Italia. Le concept même de "post-fascisme" connaît une plus large diffusion avec cette nouvelle formation, remarque encore Fabien Gibault qui situe cette explosion "lors des législatives précédentes lorsque le désir de stabilité des Italiens s'est heurté au capharnaüm de la vie politique italienne".

Les piliers du post-fascisme

Le linguiste et professeur de langue fait d'ailleurs reposer le succès post-fasciste sur cette collision, et l'explique par sa reprise de la promesse originelle du fascisme en même temps que son adaptation à l'Italie contemporaine: "L'Italie souffre donc d'une instabilité politique énorme. C'est un problème important dans un pays qui aime et génère des traditions. Or, la ligne directrice du fascisme c'est l'ordre, la rigueur, la stabilité. L'idée avec le post-fascisme, c'est que dans ce grand chaos constant, on va déléguer le pouvoir à une personne forte".

Toutefois, Fabien Gibault arrête ici le parallèle: "Le post-fascisme est un format beaucoup moins social que le fascisme. Il embrasse beaucoup plus les idées libérales à l'oeuvre dans la société italienne depuis 30 ans." Giorgia Meloni a ainsi dit son hostilité au "revenu de citoyenneté" - une aide sociale qui s'apparente à un revenu universel a minima. "Avec Giorgia Meloni, l'aide se fera par le travail", analyse encore Fabien Gibault avant de résumer le programme de Fratelli d'Italia: "De la rigueur sur le territoire, et plus de libéralisme sur le marché européen, avec une personnalité forte qui défendra les Italiens à Bruxelles".

Encore doit-on à présent dessiner le visage des Italiens qui se retrouvent dans l'offre post-fasciste. "Fratelli d'Italia représente les petites entreprises, l'artisanat. Ça reste un parti d'Italie du Nord", pointe Dominique Vidal.

Fabien Gibault renvoie plutôt à une autre fracture: celle séparant les villes des campagnes, et ce, dans toute la péninsule. "Il y a toujours une ambiguïté chez Fratelli d'Italia, une ambiguïté qui va frapper au milieu, une dialectique pour marquer des points partout. Les campagnes du nord vont voter Meloni à cause des concurrences agricoles avec la France, l'Espagne, l'Europe de l'est etc. Et les campagnes du sud, plus traditionnalistes, marquées par la culture catholique, sont parfois angoissées par l'effet de la mondialisation sur les moeurs. Et c'est là que Meloni arrive", dit-il.

La révolution par le passé

Giorgia Meloni elle-même n'a pas cessé de souligner son catholicisme à longueur de meeting et de périple électoral. Et cette foi en bandoulière doit être rapportée au conservatisme que la femme politique affiche. Et de prime abord, cette orientation idéologique semble jurer avec le fascisme, qui se voulait, lui, un parti révolutionnaire.

Là encore, la prudence est de mise. En fait, le post-fascisme n'évacue pas entièrement cette dimension de son héritage, mais la reformule. "Le post-fascisme, c'est la révolution par le passé. C'est une révolution contre la 'bien-pensance', la théorie du genre, 'l'intelligentsia de gauche'. On fait la révolution contre ce que Giorgia Meloni appelle 'le mainstream'", analyse encore Fabien Gibault. Le post-fascisme, donc, ne prétend pas aux lendemains qui chantent, s'inquiétant plutôt des hiers.

Il nous reste nous aussi à nous retourner vers le passé de l'Italie car c'est peut-être là que le post-fascisme garde enfoui le secret de son identité et de sa vogue actuelle. "Il y a quelque chose de très enraciné chez de nombreux Italiens: le souvenir d'une unité politique très tardive", met en exergue Dominique Vidal. Tardive et par conséquent aussi incomplète que fragile. L'essayiste pose alors: "et le post-fascisme veut réaliser l'unité politique italienne à la schlague".

Mais avant de rêver à toute unité italienne, Giorgia Meloni devra déjà réussir à maintenir la cohésion de son gouvernement de coalition. Ce qui, en Italie, n'est pas le moindre des défis.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV