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Rentrer en France ou rester? Le dilemme des Français au Liban qui "craignent que le conflit se propage"

Un homme à son balcon à Beyrouth (Photo d'illustration).

Un homme à son balcon à Beyrouth (Photo d'illustration). - Flickr - CC Commons - Maya Anaïs Y

Au Liban, la population retient son souffle ces derniers jours, alors qu'est redoutée une propagation du conflit entre Israël et le Hamas. Des Français sur place racontent à BFMTV.com l'angoisse et la tension grandissante des habitants. Si certains expatriés, étudiants et voyageurs d'affaires sont déjà rentrés en France, d'autres hésitent ou ne peuvent tout simplement pas se résigner à partir.

Quitter le Liban à peine deux mois après son arrivée, Maëlle de Longevialle n'en avait vraiment aucune envie. Pourtant vendredi, c'est le coeur serré que l'étudiante de 22 ans en école de commerce a dû faire ses valises et prendre un vol aller sans retour pour Lyon. À Beyrouth, Jounieh ou dans des zones plus reculées, les ressortissants français actuellement au Liban racontent à BFMTV.com le dilemne auquel ils font face, partagés entre l'idée de rentrer en France et la crainte d'une escalade régionale du conflit entre Israël et le Hamas.

Ainsi depuis une semaine, le Quai d'Orsay déconseille aux Français de se rendre au Liban, "sauf raison impérative", et le Consulat de France au Liban a rappelé ce lundi aux Français sur place les "bons réflexes en situation dégradée". Et pour cause, la situation s'est considérablement tendue ces derniers jours à la frontière israélo-libanaise depuis l'attaque lancée par le Hamas.

Dimanche, l'armée israélienne a accusé le Hezbollah libanais d'entraîner le Liban dans une guerre, au lendemain d'échanges de tirs entre l'armée israélienne et des combattants du Hezbollah qui ont fait des morts et des blessés dans la zone frontalière, dans le sud du pays.

"Le choix de la raison sur celui du coeur"

"J'ai beaucoup hésité à partir", confie Maëlle de Longevialle, qui a dû écourter sa mission humanitaire dans l'éducation entamée début septembre à Jounieh (sur la côte ouest du pays, à environ 1h30 de la frontière sud). L'étudiante lyonnaise devait initialement rester trois mois sur place.

"Je suis frustrée et très triste de la décision qu'on m'a imposée. J'ai un peu l'impression de partir sans avoir fini ce pourquoi j'étais venue, mais en même temps je comprends bien que c'est plus prudent. C'était vraiment le choix de la raison sur celui du coeur".

En réalité, Maëlle reconnaît qu'"on ne l'a pas vraiment forcée". Son école et l'association pour laquelle elle oeuvrait lui conseillaient très vivement de revenir en France, ne sachant pas ce qui allait se passer par la suite. Selon elles, "la situation pouvait évoluer en 2-3 jours". Sur place, l'étudiante ne se disait pourtant pas particulièrement inquiète, même si elle ressentait beaucoup l'inquiètude croissante des Libanais.

Sur les quelque 20.000 Français résidant au Liban (en 2022, selon le Quai d'Orsay), un certain nombre sont déjà partis, à en croire Ariane Visier, une jeune femme de 28 ans installée à Beyrouth depuis environ un an. Parmi son cercle d'amis proches sur place, cinq sont déjà rentrés en France par mesure de précaution. Aujourd'hui, elle et son compagnon se posent sérieusement la question.

Des conditions de vie qui se dégradent

"On hésite", affirme cette chargée de projet dans une ONG dans le domaine de l'eau. "On est un peu perdus face à la masse d'informations. Pour l'instant, on reste encore quelques jours mais on surveille de près l'évolution de la situation, et on bougera au moindre signe de l'ambassade dans ce sens-là."

Des drapeaux palestiniens lors d'une manifestation contre Israël dans les rues de Beyrouth au Liban le 20 octobre dernier.
Des drapeaux palestiniens lors d'une manifestation contre Israël dans les rues de Beyrouth au Liban le 20 octobre dernier. © Joseph EID

La jeune femme de 28 ans explique que "le climat est un peu bizarre" dans la capitale libanaise ces derniers jours. "Les conditions de vie sont de moins en moins agréables et les perspectives à court terme très incertaines. Si ça continue de se dégrader, on partira très certainement".

Vendredi dernier, le couple a eu interdiction de quitter son quartier pour des raisons de sécurité, alors que des milliers de personnes manifestaient contre les bombardements israéliens sur Gaza.

"On a pas envie de partir, et surtout pas dans ce contexte-là, qui voudrait dire qu'on ne sait pas pour combien de temps. Toute notre vie est ici: notre appartement, nos affaires, notre voiture", explique cette femme.

"Toute notre vie est ici"

Marine Chochoy, elle, ne peut pas se résoudre à partir. Cette femme de 64 ans, qui vit dans les montagnes à environ 25 minutes au nord de Beyrouth, est expatriée au Liban depuis une dizaine d'années avec ses deux enfants de 23 et 24 ans. Originaire d'Agen, elle estime qu'elle ne pourrait pas revenir en France et que "sa vie est ici maintenant".

"On est obligatoirement inquiets", confie-t-elle. "La semaine dernière, j'ai annulé un séjour en Belgique de peur de ne pas pouvoir rentrer au Liban, et de laisser mes enfants tout seuls sur place. Mais bon... on est dans les montagnes, je pense que la région est assez reculée pour qu'on soit 'à l'abri'. En tout cas, je ne sauterai le pas que si la France m'y contraint... et je le ferai à contrecoeur".

"C'est délicat de tout laisser derrière soi comme ça", continue Ariane Visier. "Mais on remarque tout de même que tout le monde se demande si la guerre va se propager ici ou pas..."

"Le climat est assez tendu ici. Le sujet est sur toutes les lèvres, il est inévitable", confirme Augustin*, gérant d'un nouveau café dans le centre de Beyrouth. Dans la capitale, "les gens évitent de se déplacer et ne parlent que de ça car tout le monde a peur que ça dégénère. C'est légitime, on a peur de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment".

La crainte de rester coincé dans un pays en proie à la guerre

Le Franco-Libanais de 29 ans rapporte que les touristes et les étrangers sont quasiment tous partis depuis la semaine dernière. "On sent bien le ralentissement économique. En seulement quelques jours, le chiffre d'affaires a bien diminué, il n'y a pas photo. Mercredi, on était à 70-80% de clients en moins par rapport à d'habitude".

Pourtant, Augustin ne souhaite pas partir. Selon lui, "les gens partent sans trop se poser de questions aussi parce qu'ils ont en tête le souvenir du (13 juillet) 2006", lorsque l'aéroport de Beyrouth a été bombardé par l'aviation israélienne, au début de la guerre des 33 jours.

"C'était il n'y a pas si longtemps. Forcément, il y a la crainte que ça se reproduise, donc les gens ne veulent pas prendre le risque de se retrouver bloqués ici si le conflit se propageait", fait valoir le jeune homme.

C'est précisément ce qu'a préféré faire Rima Habis. Jeudi dernier, cette interprète franco-arabe de 54 ans a raccourci son voyage au Liban de trois jours, au vu des événements. "J'étais à Baalbeck, dans le sud, la semaine dernière pour mon travail, mais j'ai eu peur d'être coincée là-bas. Des proches libanais m'ont dit qu'il y avait un risque que ça pète, et que ça pouvait barder, donc j'ai préféré rentrer plus tôt".

Le puissant Hezbollah pro-iranien est un allié du mouvement islamiste palestinien Hamas qui a mené le 7 octobre une attaque d'une ampleur sans précédent contre le territoire israélien, entraînant une riposte d'Israël sur Gaza. Le conflit a déjà fait des milliers de morts dans les deux camps depuis une semaine.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV