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Irak

Irak: la débandade imprévue du système politique

Une milice populaire soutient les troupes régulières iraquiennes, dans la région de Kirkuk, le 8 août 2014.

Une milice populaire soutient les troupes régulières iraquiennes, dans la région de Kirkuk, le 8 août 2014. - -

Comment et pourquoi l'armée irakienne a-t-elle si rapidement succombé face à l'avancée de l'Etat islamique? Les raisons sont sans doute à chercher du côté du pouvoir irakien.

Depuis un an, la sécurité dans l'Irak de Nouri al-Maliki (le Premier ministre) ne cesse de se dégrader. Les jihadistes apparaissent dans l'Ouest, leurs attentats se multiplient dans les mosquées chiites du pays... Les troupes américaines ne sont plus là, et le rôle des agents de sécurité occidentaux privés a changé. Ils sont désormais utilisés pour la protection et non pour la répression qu'ils ont pu pratiquer par le passé, sous la couverture de cette même armée américaine.

L'armée nationale irakienne, formée par les Américains et leurs alliés, détenant un matériel potable, et disposant de services de renseignements sans doute compétents aurait dû parer à cette éventualité. Mais, les troupes irakiennes se sont débandées à Mossoul début juillet, face aux coups de boutoir de "l'État islamique".

Le pouvoir de Maliki est incomplet, brutal, corrompu

Pourquoi l'armée irakienne est-elle si mauvaise, et l'État islamique si puissant? D'abord l'armée: sous la houlette de Maliki, les institutions nationales sont devenues confessionnelles, en l'occurrence chiites. Son parti, Dawa, est partisan d'un régime clairement anti-laïc et vaguement calqué sur le modèle de l'Ayatollah Khomeini à Téhéran. Pourtant, plusieurs autres chefs confessionnels chiites sont méfiants, voire, hostiles envers Dawa. Maliki a donc construit un régime autour de son parti, mimant les méthodes de Saddam Hussein.

La mainmise de Dawa n'a jamais été totale sur le territoire: le Nord-Est lui échappe, cloisonné dans la région autonome du Kurdistan. Un Nord qui est, d'une manière plus générale, largement sunnite, chrétien, mais aussi ethniquement diversifié avec une forte minorité turcophone. L'Ouest du pays, et notamment la province d'Anbar, est sunnite et tribale, avec des liens avec les tribus de Syrie et d'Arabie. Le pouvoir chiite a depuis longtemps abandonné cette zone. Il y a ensuite le Sud, très chiite mais tenu en partie par les chefs religieux chiites indépendants. Enfin, il y a Bagdad, dont les parties bourgeoises sont mixtes chiites-sunnites, mais dont les banlieues pauvres sont uniconfessionnelles, avec une prépondérance numérique chiite.

Sur tout cela, le pouvoir Maliki est incomplet, brutal, corrompu. Depuis des années, les sunnites insatisfaits se coalisent, et acceptent aisément l'appui des jihadistes, et notamment l'État islamique. Ces sunnites vont jusqu'à s'amalgamer, sur le plan opérationnel militaire, à l'État islamique. Ainsi, dans les rangs de cette force effroyable il y a des combattants tribaux, des anciens de la rébellion sunnite contre les États-Unis et des bribes de l'ancienne armée de Saddam Hussein.

Les Kurdes surpris par la virulence des combattants de l'Etat islamique

Par conséquent, lorsque l'assaut fut donné à Mossoul le mois dernier, la garnison de soldats de l'armée gouvernementale de Maliki se liquéfia bien vite, la population leur étant déjà très hostile.

L'État islamique mis un terme aux intimidations policières de Maliki, et se concentra uniquement sur l'application de sa charia extrême, avec à la clé l'expulsion ou la conversion des incroyants chrétiens et zoroastriens - les Yézidis, adorateurs du feu. Ces derniers ont cherché refuge au Kurdistan irakien.

Les quelques chiites avaient déjà fui. Les soldats de la région kurde se sont quant à eux bandés pour supporter le choc de l'État islamique: ces Peshmergas kurdes furent surpris par la virulence de leurs nouveaux ennemis, auxquels ils ont arraché Kirkuk de justesse, sans certitude de pouvoir tenir leur front.

Bagdad et le sud chiite dominés par des imams et des ayatollahs indépendants survivront au choc de l'État islamique, le Kurdistan, lui, devra être aidé. C'est cela qu'il faudra surveiller du côté de la Maison Blanche et l'Élysée: sauver le Kurdistan pour préserver l'Irak de l'État islamique. George W. Bush devrait se demander si le renversement de l'État de Saddam Hussein n'était pas l'erreur du siècle.

Harold Hyman