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Vrai cessez-le-feu ou "piège à la syrienne"? Ukrainiens et Occidentaux méfiants à l'heure d'évacuer Marioupol

Mercredi soir, Moscou a annoncé un cessez-le-feu temporaire et la mise en place d'un corridor humanitaire pour évacuer les civils de Marioupol, assiégée par son armée dans l'est de l'Ukraine. Tandis que ces mesures sont entrées en vigueur ce jeudi à 9h, elles suscitent crainte et scepticisme chez les Ukrainiens et les Occidentaux.

36 jours après le début de l'invasion, au milieu d'exactions - avérées ou présumées - en tous genres commises par son armée, que vaut la parole de la Russie? C'est en substance la question posée par les Ukrainiens, les Occidentaux et de nombreux observateurs du conflit qui ensanglante l'Ukraine après que Moscou a annoncé un cessez-le-feu temporaire et la mise en place d'un couloir humanitaire pour évacuer les civils de Marioupol.

C'est le ministère de la Défense russe qui a fait ces promesses mercredi soir, et celles-ci sont entrées en vigueur à compter de ce jeudi matin, à 9 heures. Après un mois de siège, ce port posé contre la mer d'Azov était encore peuplé de 160.000 habitants, comme enfermés dans cette ville-martyre.

"On ne peut pas croire un seul mot des Russes"

L'annonce est tombée mercredi soir, en provenance du ministère de la Défense russe: il y aurait finalement bien un cessez-le-feu temporaire à Marioupol afin d'évacuer la ville de sa population, via un couloir humanitaire vers la ville ukrainienne de Zaporijia. Dans la matinée, Kiev a affrété 45 bus pour prendre en charge les premiers partants. Mais c'est peu dire que les serments humanitaires de Moscou suscitent pour l'heure doutes et angoisses chez les Ukrainiens, comme parmi leurs partenaires occidentaux.

Ce jeudi matin, Lesia Vasylenko, députée d'opposition à la Rada ukrainienne, est intervenue sur BFMTV alors qu'elle se trouve à Paris pour y rencontrer Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des Affaires européennes et Gérard Larcher, président du Sénat. Un mot d'ordre: méfiance.

"On ne peut pas croire un seul mot des Russes! On en a déjà eu plein de preuves pendant les 36 jours de guerre. Les Russes ont du talent pour mentir. La propagande russe est bien connue. On doit d'abord voir ces armées dégager, ces couloirs s'ouvrir pour que les habitants de Marioupol puissent sortir de cette ville qui est maintenant une ruine totale - plus de 90% de la ville ont été détruits", a-t-elle avancé.

Dans les premiers instants ayant succédé à la profession de foi russe, l'Elysée prévenait déjà mercredi soir: "Nous sommes très prudents à ce stade car ce n'est pas la première fois que la Russie fait une annonce de ce type: cessez-le-feu local ou 'régime de silence' comme ils le formulent".

Evacuer les 160.000 civils encore prisonniers de leur ville de Marioupol, c'était déjà le cap fixé par Emmanuel Macron à Bruxelles vendredi soir à l'issue d'un Conseil européen. Objectif qui semblait cependant avoir achoppé lors du coup de fil entre le président français et Vladimir Poutine mardi, Moscou jugeant que les "conditions" d'une telle opération n'étaient "pas réunies".

Des garde-fous

Ce revirement soulève donc d'autant plus l'inquiétude. Gilles Mentré, ex-diplomate en poste à Moscou, s'est ainsi interrogé à voix haute auprès de BFMTV.

"Est-ce que tous pourront sortir et que va-t-il advenir de ceux qui resteront? On le sait, car Moscou l'a déjà fait par le passé, une fois qu'un corridor humanitaire a été ouvert, ceux qui restent sont considérés comme des ennemis, des belligérants. On risque là d'avoir des choses insoutenables". 

Anticipant ce scepticisme général, Moscou a proposé des garde-fous, demandant à l'ONU et à la Croix-Rouge de l'assister dans l'établissement du corridor humanitaire. Cette même Croix-Rouge dont l'aviation russe aurait bombardé un dépôt local mercredi, d'après les autorités ukrainiennes.

Lesia Vasylenko préfère d'ailleurs une autre garantie: "Les militaires ukrainiens ne seront pas loin, au cas où la population ait besoin d'être protégée". Mais que craint précisément l'élue ukrainienne?

"J'ai peur qu'on tire sur les gens quand ils commenceront à sortir", a-t-elle répondu frontalement, étayant:

"En Ukraine, on a déjà eu des exemples de couloirs 'verts' devenus des couloirs 'rouges' avec le sang des enfants et des femmes qui essayaient de partir. On a eu aussi des expériences de camps de filtration installés par la Russie autour de Marioupol donc j'ai peur que Marioupol devienne un grand camp de filtration, que les Russes cherchent les gens qu'ils laisseront sortir avant de prendre les autres pour des 'éléments actifs ukrainiens' comme ils les appellent, les mettre dans des chambres de torture et les tuer". 

L'ombre d'un "piège à la syrienne"

Et cette peur fait tache d'huile, bien au-delà du cercle des dirigeants et des parlementaires ukrainiens, comme l'a remarqué ce jeudi sur le plateau de notre matinale, notre éditorialiste pour les questions internationales, Patrick Sauce:

"Un diplomate européen m'a dit ce matin: 'ça sent le piège à la syrienne', c'est-à-dire comme à Alep: on fait sortir les populations, on les filtre, on choisit qui va sortir, qui va rester et une fois que les premiers bus sont partis, on finit de raser la ville. C'est la crainte de nombreux Occidentaux".

Les heures à venir fixeront les observateurs sur le bienfondé ou non de ces questionnements.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV