BFMTV
Europe

Ukraine: "Les Européens ne dicteront pas les termes d'une conciliation"

Des manifestants portant des icônes sont agenouillés face aux policiers anti-émeutes, le 24 janvier, à Kiev.

Des manifestants portant des icônes sont agenouillés face aux policiers anti-émeutes, le 24 janvier, à Kiev. - -

Après plusieurs jours de radicalisation des manifestations de l'opposition à Kiev, marqués par de violents affrontements avec les forces de l'ordre, le président ukrainien a annoncé vendredi l'organisation d'un remaniement gouvernemental, et des amendements aux lois anti-manifestations qui avaient provoqué la colère des Ukrainiens. Un début de détente?

Vers un apaisement dans la crise ukrainienne? Après deux mois de manifestations, le président Viktor Ianoukovitch a finalement annoncé vendredi un remaniement du gouvernement, à venir la semaine prochaine, ainsi que des amendements aux lois anti-manifestations controversées, dont la promulgation la semaine dernière a entraîné une radicalisation de la contestation.

Faut-il y voir un certain recul du pouvoir en place pour désamorcer la crise? Les manifestants vont-ils quitter la place de l'Indépendance de Kiev, épicentre de la mobilisation? Quel est le rôle de l'Union européenne dans ce dossier? BFMTV.com fait le point avec Isabelle Facon, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique.

• Viktor Ianoukovitch a annoncé, ce vendredi, un remaniement du gouvernement et des amendements aux lois anti-protestation qui ont provoqué la colère des Ukrainiens. Est-il en train de céder du terrain?

Compte tenu de ce que joue le président Ianoukovitch, c’est-à-dire sa crédibilité, c'est déjà un pas en avant. L'idée est de créer de nouvelles conditions, en espérant calmer le jeu, puisque l'on peut imaginer que des discussions entre ceux qui pilotent les manifestations vont suivre ces annonces.

• Ces concessions peuvent-elles calmer le mouvement de contestation?

La question va effectivement être de savoir ce que vont en penser les manifestants. Ils espéraient un retrait total des lois anti-manifestations et avaient demandé une démission du président, plus qu'un remaniement ministériel. On peut donc supposer que beaucoup ne trouveront pas cela suffisant, bien qu'il s'agisse d'un début d'ouverture. Reste à voir si l'objectif de Viktor Ianoukovitch n'est pas de diviser les leaders de l'opposition, qui semblent déjà l'être.

• Viktor Ianoukovitch a-t-il subi des pressions, de la part de l'Union européenne par exemple?

Tout dépend de ce que l'on entend par "pressions". Il est clair que les Européens se sont beaucoup axés dans leurs critiques sur ces lois anti-manifestations, et les annonces de Ianoukovitch répondent, ne serait-ce que partiellement, à ces critiques. Sur le reste, l'UE avait surtout appelé le gouvernement à rétablir la stabilité et à stopper les violences. Donc la position européenne est restée assez prudente jusqu'à présent et le terme "sanctions" n'a été prononcé qu'une seule fois.

• Si la crise persiste, l'Union européenne pourrait-elle clairement intervenir?

Pour l'instant, du côté européen, il y a surtout le sentiment d'être sur un terrain délicat. On sait qu'il y a une radicalisation dans la manifestation, sans être capable de dire d'où elle vient. S'agit-il de provocateurs commandités par le pouvoir? Y a-t-il des groupes radicaux plus préoccupants intégrés aux manifestants? On peut imaginer qu'il y a une certaine prudence de la part de l'UE, pour ne pas donner un blanc-seing à des éléments perturbateurs, quelle que soit leur origine.

Mais il y a surtout le fait que l'Ukraine est un pays politiquement très complexe. Je pense que les Européens sont d'accord pour accompagner un mouvement de conciliation, mais ne sont certainement pas disposés à essayer d'en dicter les termes.

Bien que le stade des tensions entre pro-européens et pro-russes soit aujourd'hui largement dépassé, l'UE a, d'une certaine façon, une part de responsabilité dans la polarisation qui a conduit à ces événements. José Manuel Barroso a donc contacté Viktor Ianoukovitch, l'UE s'est dite prête à faciliter un dialogue. Mais il est vrai que les Ukrainiens n'ont encore rien demandé et le fameux principe de non-ingérence s'applique. S'il y avait une dramatisation de la situation, peut-être que, toujours de façon graduée, l'UE multiplierait les déclarations, les appels au calme, tout en évoquant des micro-sanctions. Mais cela reste assez hypothétique.

• Dans ce cas, pourquoi Paris et Berlin ont-ils convoqué leurs ambassadeurs respectifs?

Certainement pour des demandes d'informations sur la situation sur place, mais aussi pour leur transmettre des demandes de retenue, aussi bien par rapport aux lois anti-manifestations que dans l'utilisation du recours à la force contre les manifestants. Ce qui revient effectivement à montrer que l'on n'est pas indifférent à cette crise, qui se déroule à proximité des portes de l'Europe. Mais ça n'ira pas beaucoup plus loin.

Par ailleurs, il est normal que les pays censés être les moteurs de l'Union européenne, sur les plans politique et sécuritaire, soient les premiers à faire ces démarches auprès des diplomates ukrainiens.

• De son côté, la Russie peut-elle se mêler de ce dossier ukrainien?

On entend de moins en moins la Russie sur la question, ce qui n'est pas étonnant car elle se trouve plutôt en position de force dans l'état actuel des choses. Moscou n'a donc pas intérêt à trop se positionner, puisqu'on l'accuse déjà de s'être beaucoup ingérée et d'avoir fait pression sur l'Ukraine.

Les officiels qui s'expriment sur la question mettent d'ailleurs bien en avant le discours russe très traditionnel sur la nécessité de respecter la loi ukrainienne, la non-ingérence dans les affaires intérieures, en rappelant que seule l'ONU est habilitée à statuer sur d'éventuelles sanctions. Mais il va sans dire qu'il y a certainement une communication directe permanente entre Kiev et Moscou.

Propos recueillis par Adrienne Sigel