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Guerre en Ukraine: qu'est-ce que la "force de dissuasion" nucléaire, mise en alerte par Poutine?

Dimanche, le président russe a annoncé passer en "régime spécial d'alerte" ses forces de dissuasion, composées d'armes nucléaires.

Dimanche 27 février, le président russe Vladimir Poutine a décidé de faire rentrer le conflit ukrainien dans une autre dimension. À l'occasion d'un entretien avec ses chefs militaires retransmis à la télévision, le maître du Kremlin a déclaré: "J'ordonne au ministre de la Défense et au chef d'état-major de mettre les forces de dissuasion de l'armée russe en régime spécial d'alerte au combat".

Près de 6000 têtes nucléaires russes

Alors que les troupes russes ont, selon l'état-major ukrainien, "ralenti le rythme de l'offensive", et qu'un véritable déluge de sanctions économiques s'est abattu sur son pays, Vladimir Poutine a ainsi pris la décision de brandir la menace nucléaire.

Car ces "forces de dissuasion" renvoient en partie à des armes atomiques, comme l'explique au micro de BFMTV Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe.

"Cela renvoie à des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, mais aussi à des bombardiers stratégiques, donc disposant sous leur fuselage de bombes atomiques pouvant être larguées, et des missiles intercontinentaux, balistiques, qui peuvent être armés de têtes nucléaires", explique-t-il.

Impossible de mesurer précisément la force de frappe nucléaire russe, mais selon les chiffres de la Fédération des scientifiques américains, la Russie compterait 5977 têtes nucléaires, à savoir des armes reposant sur la fission de noyaux atomiques. Parmi ces près de 6000 armes destructrices, il faut distinguer les armes offensives, destinées à attaquer l'ennemi, aux armes défensives, qui ont pour mission de défendre le territoire national quand il est attaqué, avec des missiles antibalistiques notamment.

Sur le plan offensif, les têtes nucléaires russes peuvent être montées sur des missiles balistiques intercontinentaux, tirés depuis un porteur mobile ou un silo à missiles. Mais aussi sur des missiles balistiques mer-sol tirés depuis des sous-marins nucléaires lanceur d'engins, ou enfin être largués par des avions bombardiers.

Qu'est-ce que le "régime spécial d'alerte"?

Reste cependant à savoir ce qu'entend Vladimir Poutine par le passage décrété ce dimanche "en régime spécial d'alerte au combat" de ses forces de dissuasion.

Car comme l'a rappelé sur Twitter Hans Kristensen, directeur du Nuclear Information Project, "les forces stratégiques russes sont toujours en alerte". Les forces nucléaires russes, comme celles de l'Otan, peuvent de facto être déclenchées à tout moment en 10 minutes. La véritable question est donc de savoir "s'il a déployé plus de sous-marins ou s'il a armé les bombardiers", continue-t-il.

Selon le général Boris Soloviov, qui a servi dans les Forces des missiles stratégiques russes, le "régime spécial d'alerte au combat" correspond concrètement "au plus haut degré de préparation au combat, le niveau suivant étant celui d'alerte totale", a-t-il expliqué au journal russe Komsomolskaïa Pravda, cité par Le Figaro. Ajoutant que la mallette nucléaire russe n'est accessible qu'à trois personnes: le président Poutine, le ministre de la Défense et le chef d'État-major général.

"On a changé de nature de guerre"

L'annonce de ce dimanche par Vladimir Poutine constitue en tout cas une menace sérieuse. Le maître du Kremlin doit mener de front une invasion de l'Ukraine qui se révèle moins rapide que prévue, couplée à des sanctions économiques occidentales pouvant avoir des conséquences destructrices pour l'économie nationale. Enfin, l'Union européenne a annoncé la livraison d'armes à l'Ukraine, avec des pays tels que le Suède rompant avec leur tradition de neutralité pour aider Kiev à se défendre.

Selon un article publié sur le site de l'Otan, la dissuasion, stratégie héritée de la Guerre froide et de la prolifération des armes atomiques, "consiste à menacer un adversaire d’avoir recours à la force, afin de le décourager d'entreprendre une action indésirable, soit en le menaçant de représailles (dissuasion par représailles), soit en le persuadant que ses objectifs sont voués à l’échec".

Ainsi, en brandissant dimanche la menace de ses "forces de dissuasion", Vladimir Poutine entend passer aux Occidentaux un message clair.

"Il veut dire aux Européens: cessez de livrer des armes à l'Ukraine, cessez ces mesures économiques. Laissez-moi intervenir en Ukraine. Et aux Ukrainiens: ne résistez pas trop", analyse Anthony Bellanger, consultant politique internationale de BFMTV.

Un coup de bluff?

Une escalade aux conséquences potentiellement destructrices, qui ne relève pas du coup de bluff selon le général Vincent Desportes. "Il n'y a pas là de bluff. Hier, nous avons changé de monde. Quand on parle nucléaire, on ne bluffe pas. Quand on tire une arme nucléaire, on ne va pas tuer 1000 personnes à Kiev. On en tue 100.000 ou 1 million à Paris, Londres ou New York" balaie-t-il sur BFMTV.

Selon les analystes et experts occidentaux consultés dimanche par l'AFP, les déclarations de Vladimir Poutine sur la mise en alerte de la dissuasion nucléaire russe relèvent d'un bluff, d'un jeu dangereux et d'une fuite en avant qui montrent la frustration de Vladimir Poutine face à la résistance militaire ukrainienne.

Vladimir Poutine "est une sorte de joueur, quelqu'un qui prend des risques. Il essaye de nous éprouver psychologiquement", assure Eliot Cohen, expert au Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington.

"L'aspect psychologique est capital", confirme David Khalfa, chercheur à la Fondation Jean Jaurès à Paris, soulignant la tentative de Poutine de "dissuader les Occidentaux d'aller plus loin dans les sanctions économiques" qui pleuvent sur Moscou depuis quelques jours.

En 2014, Angela Merkel déclarait à propos du président russe: "Il a perdu tout contact avec la réalité". Un constat qui sonne comme une mise en garde toujours d'actualité huit ans plus tard. "Il y a deux façons de sortir d'une guerre. Soit par le dialogue, soit par la destruction", conclue le général Vincent Desportes.

Jules Fresard