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En visant une base à la frontière polonaise, la Russie joue-t-elle avec le feu?

Au moins 35 personnes sont mortes dans la nuit de samedi à dimanche, suite au bombardement par l'armée russe de la base de Yavoriv. Le 2 mars, ce sont des bombardiers russes qui violaient l'espace aérien suédois.

Dans la nuit de samedi à dimanche, l'armée russe a frappé la base militaire de Yavoriv, également connue sous le nom de "Centre international de maintien de la paix et de sécurité". Située à moins de 20km de la frontière polonaise, elle accueillait, avant que ne débute l'invasion russe de l'Ukraine le 24 février, des exercices militaires conjoints entre les forces de Kiev et celles de l'Otan.

Poutine "teste nos limites"

"Les frappes aériennes ont été menées depuis les mers Noire et d'Azov. Au total, les envahisseurs ont tiré plus de 30 missiles. Le système de défense aérien ukrainien a fonctionné. Nous avons abattu certains des missiles en l'air", a indiqué après l'attaque de cette nuit le ministre ukrainien de la Défense Oleksii Reznikov.

Outre le lourd bilan humain qu'a causé cette attaque - 35 morts selon le dernier point diffusé par les autorités ukrainiennes - la frappe inquiète car elle a été menée aux portes de l'Otan. La ville polonaise de Budomierz ne se trouve qu'à une quarantaine de minutes de voiture.

En sa qualité de membre du commandement intégré de l'Organisation, Varsovie doit, selon l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, recevoir l'assistance de tous les membres de l'Organisation en cas d'agression, dont la France. "La défense collective implique qu'une attaque contre un membre de l'Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre tous les Alliées", écrit l'Otan sur son site.

Bien que l'organisation ait répété à maintes reprises sa volonté de ne pas prendre part directement au conflit, doit-on s'attendre à sa généralisation si un missile russe tombait par erreur sur le sol polonais, alors que Vladimir Poutine n'hésite plus à viser l'extrémité ouest de l'Ukraine? Pire, les manœuvres de l'armée russe aux alentours de Lviv, ville qui avait été jusqu'alors relativement épargnée, signifient-elles la volonté du maître du Kremlin d'étendre son offensive à la Pologne ou aux pays baltes, également membres de l'Otan?

Pour Anthony Bellanger, consultant politique internationale pour BFMTV, Vladimir Poutine "teste nos limites". "On va se calmer. La troisième guerre mondiale, ce n'est pas pour demain. Le danger, c'est plutôt qu'il y ait une frappe par inadvertance. On sait que certaines armes russes sont assez peu précises", précise-t-il.

"Ils testent nos lignes rouges. Ils ont frôlé avec leurs bombardiers l'espace aérien suédois plusieurs fois. Il y a des navires civils qui ont été pourchassés en mer Noire", poursuit-il.

"La guerre, c'est jouer avec le feu"

Mercredi 2 mars, l'état-major suédois a en effet indiqué que quatre avions de combat russes avaient brièvement violé l'espace aérien de l'île du Gotland en mer Baltique, rattachée au royaume scandinave. Une multiplication des provocations, qui pourrait déboucher sur un réel incident impliquant un pays de l'Otan.

"La guerre, c'est jouer avec le feu", reconnaît Gilles Maintré, ancien diplomate à Moscou. "On est maintenant à la frontière, et il faut peu de choses pour qu'un missile puisse créer une bavure", reconnaît cet ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy.

Le choix de commencer à bombarder les alentours de Lviv, la grande ville de l'ouest ukrainien, ne constitue pas un choix anodin de la part de l'état-major russe. Les Russes ont multiplié les frappes sur l'ouest depuis trois jours, une zone qui était jusqu'alors relativement épargnée. Or, c'est à Lviv que se sont délocalisées la plupart des ambassades occidentales ayant quitté Kiev, dont la représentation française. L'ambassadeur de France en Ukraine se trouve toujours dans la ville.

Le bombardement de la base militaire de Yavoriv peut également être interprété comme une conséquence des propos tenus samedi par le vice-ministre russe des Affaires étrangères. Lors d'un entretien à un média russe, ce dernier a indiqué que les livraisons d'armes occidentales à l'Ukraine pouvaient être considérées comme des "cibles militaires légitimes".

La base de Yavoriv a servi ces dernières années de terrain d'entraînement aux forces ukrainiennes sous l'encadrement d'instructeurs étrangers, notamment canadiens et américains. Elle a également déjà servi à des exercices conjoints menés entre l'armée ukrainienne et les troupes de l'Otan.

"C'est un avertissement presque sans frais. Même s'ils visent officiellement une cible militaire, c'est sans intérêt opérationnel pour le renforcement des moyens militaires. La base est peut-être utilisée comme infrastructure d'arrivée de livraisons d'armes, pour les missiles...", analyse sur BFMTV le lieutenant-général Michel Yakovleff.

Une armée russe qui s'enlise

Mais pour Anthony Bellanger, "si un missile venait à tomber par inadvertance, je pense que la diplomatie viendrait avant les armes".

Et pour Gilles Maintré, il ne serait pas dans l'intérêt de Moscou d'élargir le conflit aux pays de l'Otan, alors que la guerre semble s'enliser, poussant la Russie à passer à une logique de "siège", comme l'a indiqué ce dimanche sur France info le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.

"On imagine difficilement Moscou ouvrir un front supplémentaire, alors qu'on voit que la guerre s'installe, qu'il y a des problèmes de ravitaillement et de logistique", croit Gilles Maintré.
Jules Fresard