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Ces jihadistes qui veulent finalement "rentrer à la maison"

Jihadiste français parti au Mali et appréhendé à son retour par les autorités françaises.

Jihadiste français parti au Mali et appréhendé à son retour par les autorités françaises. - AFP

C'est un voyage au pays de la désillusion, un retour à une réalité souvent rude, très loin des intentions de départ et de la propagande islamiste. Certains occidentaux partis faire le jihad en Syrie, demandent des garanties avant de rentrer au pays, quitte à se conformer à "un programme de déradicalisation". 

La désillusion du jihad. Le quotidien The Times, qui s'appuie sur des informations du Centre d’études sur la radicalisation et les violences politiques (ICSR) à Londres, révèle qu'environ 20% des jihadistes britanniques qui ont rejoint les rangs de l'Etat islamique (EI) souhaitent rentrer "à la maison", c’est-à-dire au Royaume-Uni.

A la source du problème, cette méprise inattendue, explicitée par le quotidien britannique: "Un certain nombre de jihadistes auraient fait part de leurs craintes sur les réseaux sociaux de ne pas pouvoir accéder au statut de martyr et à ses avantages au paradis s’ils mouraient en combattant d’autres groupes islamistes". Du coup, ces jihadistes, qui se trouvent entraînés dans par la rivalité opposant la branche syrienne d'Al-Qaïda et l'EI, souhaitent vite déserter. Le groupe qui a contacté l'ICSR se dit "prêt à suivre des programmes de "déradicalisation" et de se soumettre à une surveillance, pour pouvoir rentrer au Royaume-Uni.

Pas de chiffre sur les retours en France

En France, si l'on sait que 900 personnes sont parties mener le jihad (contre 500 pour le Royaume-Uni), aucune statistique sur les retours n'est disponible, indique Nathalie Goulet Sénatrice UDI de l'Orne, à l'initiative de la commission d'enquête parlementaire pour la lutte contre les réseaux jihadistes en France.

Le terme de "jihad" recouvre des réalités très différentes

Pour Mathieu Guidère, islamologue, il faut faire une distinction. D'un côté, il y a ceux qui partent en Syrie dans une démarche d'"hijra" - qui consiste "comme l'avait fait le prophète (NDLR: Mahomet), à se rendre dans une terre plus favorable à l'islam" - demeurent dans une "logique de construction et croient à un lieu où ils pourront vivre l'islam comme ils entendent le faire". Au risque évidemment d'être déçus. Ensuite, il y a, les partisans "du jihad mondial qui n'a pas de fin", qui s'inscrivent dans une conception "nihiliste" du jihad. Ceux-là, sont souvent "considérés comme perdus, irrécupérables", par les pays, Yémen et Arabie Saoudite, qui ont mis en place des structures visant les "déradicaliser".

Un voyage "adolescent" au pays de la désillusion

De manière moins exégète, Raphaël Liogier, sociologue et auteur de Le mythe de l'islamisation (ed. Seuil 2012) et Ce populisme qui vient (ed. Textuel 2013), voit dans ce grand saut vers le jihad "un phénomène très adolescent" où "passé l'enthousiasme de départ", ces jeunes qui restent malgré tout "très occidentalisés", "se lassent". A la fin de ce processus de désenchantement, "leur propre religiosité leur apparaît à eux-mêmes comme exotique", note le spécialiste. En réalité, le retour de "cette aventure" n'a d'aucune manière permis à ces jeunes de guérir "la blessure narcissique" qui les a poussé à partir.

Pour la sénatrice Nathalie Goulet, ces jeunes ont aussi été victimes de "discours prédigérés, destinés à les toucher psychologiquement" et qui montrent un "islam dévoyé". Selon cette élue, "un problème identitaire" se trouve à l'origine du phénomène. Pour ceux qui rentrent en France, il faut "reconstituer un processus de confiance dans le travail, dans la société".

Des pays pratiquent de manière beaucoup plus poussée cette "déradicalisation".

Une "déradicalisation" efficace, mais longue et coûteuse

"Nous avons maintenant dix ans de recul concernant ces structures de déradicalisation, officielles depuis 2003", note Mathieu Guidère. Le centre le plus important se situe à Riyad, en Arabie Saoudite. "Ces structures ont été voulues par les Saoudiens après le 11-Septembre", explique-t-il.

Le processus de "délavage de cerveau" est long et "dure trois ans en moyenne", explique le spécialiste. Il se réalise par palier, marche après marche. Ainsi, à la "phase de diagnostic" et de "discussions libres", précède une "phase de doute", faîte de "débats avec d'autres détenus charismatiques" et qui ont déjà fait un bout du chemin. Ensuite, troisième étape, la discussion quitte le registre de l'opinion pour entrer sur le terrain "théologique". Le plus souvent, les débats sont menés par "des membres des services du renseignement saoudien infiltrés". En point d'orgue de cette rééducation religieuse se joue la "confrontation avec un ouléma (savant), autorité religieuse incontestable", détaille encore Mathieu Guidère. Ensuite, les personnes en cours de "déradicalisation" sont placées "dans des communautés", avant un retour progressif à la vie normale, puis dans leurs familles.

Le taux de réussite est "officiellement de 97%, mais on n'est plus proche des 80%", révèle l'islamologue.