BFMTV
Russie

Frappes russes en Syrie: la nouvelle guerre médiatique de Poutine

L'Ukraine puis la Syrie: la Russie d'une guerre médiatique à l'autre (Photo d'illustration).

L'Ukraine puis la Syrie: la Russie d'une guerre médiatique à l'autre (Photo d'illustration). - Yuri Kochetkov - Pool - AFP

Plus d'un an et demi après le début de son action très controversée en Ukraine, l'armée russe affirme désormais lutter activement contre le groupe de l'Etat islamique, bombardé en Syrie. Une opération qui n'obtient pas les faveurs du peuple russe, encore traumatisé par le désastre de l'invasion en Afghanistan de 1979. D'où un très grand travail médiatique de la part des autorités.

Sur les plateaux des télévision à Moscou, les experts de la Syrie ont remplacé ceux de l'Ukraine: avec les premières frappes aériennes russes mercredi, la machine médiatique s'est mise en marche pour tenter de convaincre les Russes, majoritairement opposés à une intervention militaire.

"Sept Russes sur huit sont contre les opérations militaires en Syrie. Mais surtout, ils ne comprennent pas ou sont indifférents à ce qui s'y passe", explique Lev Goudkov, directeur du centre indépendant Levada. Selon un récent sondage de ce centre d'étude de l'opinion publique, près de 84% des Russes reconnaissent ne pas suivre les événements en Syrie. Pour que le Kremlin inverse la tendance et arrive à convaincre la population du bien-fondé des frappes aériennes russes en Syrie, l'information va jouer un rôle crucial, estime encore ce spécialiste.

"Inviter les terroristes chez nous"

Les principales chaînes de télévision, la plupart contrôlées par le gouvernement, l'ont bien compris et depuis plusieurs jours, des chroniqueurs défilent sur les plateaux pour expliquer que la Russie devait intervenir.

"Nous avons un allié solide au Moyen-Orient: la Syrie. L'abandonner, c'est inviter les terroristes à venir chez nous", a martelé lors de son émission hebdomadaire très suivie sur Rossia-1 Dmitri Kisselev, présentateur connu pour ses diatribes antiaméricaines, également à la tête de l'agence de presse officielle Rossia Segodnia.

L'Église orthodoxe, influente dans le pays, a qualifié l'intervention russe de "guerre sainte" tandis que le grand mufti de Russie, Talgat Tadjouddine, a aussi déclaré la soutenir.

"Les gens se souviennent de la guerre en Tchétchénie et sont d'accord pour lutter contre les islamistes, mais dès le premier mort russe, ça changera", avertit Konstantin Kalatchev, du Groupe des experts politiques.

"En Syrie, ce sera pire"

Le nerf de la guerre d'information sera surtout de vaincre le "syndrome afghan": depuis l'invasion de l'Afghanistan en 1979 par l'armée soviétique, suivie d'une longue guerre meurtrière, de nombreux Russes sont réticents à voir leurs soldats déployés à l'étranger.

"Je suis opposée à toute forme d'intervention", affirme Maria Bounina, 62 ans, femme au foyer et mère de cinq enfants. "Bien sûr, je crains la répétition du scénario afghan. Ca va recommencer sauf qu'en Syrie, ce sera pire."

Pour Konstantin Kalatchev, "même si les politologues commandités par le pouvoir affirment que la Syrie effacera le 'syndrome afghan' des esprits russes, la Syrie ne fera en réalité que l'aggraver". Autre difficulté à surmonter: la Syrie se situe hors de la zone d'influence russe traditionnelle, contrairement à l'Ukraine.

La puissante machine médiatique

Comment justifier auprès des Russes que leur aviation intervient en Syrie alors même que le Kremlin assure qu'aucun soldat russe n'est présent dans l'est de l'Ukraine? Cette fois, contrairement à l'Ukraine, la puissante machine médiatique russe ne suffira peut-être pas à convaincre les Russes de la nécessité d'intervenir en Syrie, préviennent les experts.

"La propagande ne marche que lorsqu'il s'agit d'enfoncer des portes ouvertes", rappelle Konstantin Kalatchev. "Si elle introduit des idées nouvelles, elle provoque la méfiance."

La popularité de Poutine en jeu

"Pour la première fois, Vladimir Poutine a pris une décision contre l'avis général", souligne l'expert, qui y voit "un grand pari de Poutine": "Si la guerre n'est pas éclair et si des soldats russes meurent, sa popularité en pâtira", juge-t-il. Parce que la crise ukrainienne s'est progressivement muée en conflit gelé dans l'est de l'Ukraine, et qu'il a provoqué une volée de sanctions occidentales contre Moscou, le soutien de la population à la politique russe s'est érodé, note le centre Levada.

"Remplacer l'Ukraine par la Syrie sur les chaînes de télévision permet d'atténuer le sentiment d'échec de la politique russe en Ukraine, que ressent une frange de la population", juge Lev Goudkov. "C'est une mauvaise manoeuvre pour détourner l'attention de la crise", estime pour sa part Vladimir Kara-Mourza, spécialiste des médias russes. "Cette fois, la télévision n'y arrivera pas", prédit-il.

Jé. M. avec AFP