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3 commandants en 3 mois: pourquoi Vladimir Poutine change-t-il encore de général en chef en Ukraine?

Vladimir Poutine et Valéri Guerassimov.

Vladimir Poutine et Valéri Guerassimov. - Sergei GUNEYEV / SPUTNIK / AFP

Un communiqué du ministère de la Défense russe l'a officialisé mercredi: Valéri Guerassimov va diriger les opérations de l'armée sur le front ukrainien. Celui qui les commandait jusqu'ici - et depuis trois mois seulement - Sergueï Sourovikine, est rétrogradé.

On apprenait mercredi que les troupes lancées par le Kremlin sur l'Ukraine allaient connaître un nouveau chef, le troisième en trois mois. En effet, le ministère de la Défense russe a intronisé par communiqué Valéri Guerassimov commandant de son "groupement combiné des troupes déployés en Ukraine", selon l'intitulé complet. Il remplace donc Sergueï Sourovikine, qui lui-même avait repris ce poste, en octobre, à Alexander Lapine.

Redresser une guerre mal engagée, nécessité de changer de profil et de contrer l'influence du groupe de mercenaires Wagner, les facteurs de ce chassé-croisé orchestré par Vladimir Poutine sont multiples.

Le Kremlin soigne l'habillage

Valéri Guerassimov ne sort pas de nulle part. Il est en effet chef d'état-major des armées russes depuis 2012. Il a d'ailleurs dressé les plans de l'invasion de l'Ukraine dont il assure désormais la conduite. Et c'est ce profil madré que le pouvoir met très officiellement en avant pour justifier cette nouvelle substitution.

"Le ministère de la Défense veut tout simplement optimiser la gestion de l’opération spéciale, puisque monsieur Guerassimov qui est le chef de l’état-major des armées est un militaire averti, très expérimenté qui était à l’origine de la planification militaire et qui maintenant sera aussi responsable de la mise en œuvre de ces plans militaires", a d'abord présenté Alexander Makogonov, porte-parole de l'ambassade de Russie en France sur BFMTV mercredi soir, avant de poursuivre:

"Cette nomination est liée à la nécessité d’assurer la bonne coordination de toutes les branches de l’armée, participant à l’opération, y compris l’approvisionnement infaillible de nos troupes sur place."

Dégradé par la guerre

"Un militaire averti, expérimenté": le portrait dessiné en creux de son prédécesseur Sergueï Sourovikine, repeint en perdreau de l'année, n'est guère flatteur. Le communiqué gouvernemental est plus dur encore, n'hésitant pas à dire qu'il s'agit d'élever le niveau:

"La hausse du niveau de commandement de l'opération spéciale (en Ukraine) est liée à un élargissement de l'ampleur des missions à accomplir, à la nécessité de mener une interaction plus étroite entre les composantes des forces armées".

L'exécutif russe change donc de chef car il change de ton: "l'opération spéciale élargie" n'est plus très loin de la "guerre", réalité évidente sur le front mais sémantiquement bannie des discours dictés par le sommet de l'État.

C'est pourtant la guerre - et la spirale de défaites, d'échecs qui ballotte l'armée russe depuis près d'un an - qui motive l'abaissement de Sergueï Sourovikine à un simple rôle d'adjoint de Valéri Guerassimov. Comme elle avait emporté le vaincu de Kherson, Alexander Lapin, général en chef avant lui.

Patrick Sauce, éditorialiste de BFMTV pour les questions de politique étrangère, a listé ce jeudi les griefs militaires de Moscou à l'égard de Sergueï Sourovikine: "C’est l’homme du changement de stratégie de la rentrée. Il a opéré le retrait de Kherson mais c’est aussi lui qui a appuyé cette stratégie de la frappe sur les infrastructures énergétiques". Deux manœuvres qui n'ont rien eu de décisif visiblement.

Pire, l'armée russe a essuyé une humiliation majeure sous son pilotage, a encore remarqué notre journaliste: "C’est aussi la frappe ukrainienne sur Makiivka – 89 soldats décédés selon le décompte russe peut-être 400 selon le décompte ukrainien – et il paie sans doute cette erreur-là".

Encombrante amitié

Avec l'arrivée de Valéri Guerassimov, Sergueï Sourovikine doit encaisser un désaveu d'un autre ordre: il n'avait plus le profil. Sergueï Sourovikine passe pour impitoyable, pour un soldat auquel ses méthodes expéditives ont valu le surnom de "général Armageddon". Valéri Guerassimov apparaît plus compassé, plus roué. En un mot: politique. On appelle même "doctrine Guerassimov" une approche de la guerre ne se voulant pas exclusivement militaire mais hybride, conjuguant mouvements sur le front et bataille médiatique larvée, fondée sur la désinformation.

Le recul de Sergueï Sourovikine dans la chaîne de commandement est en fait politique à plus d'un titre. L'homme est victime de ses ambiguïtés. Car si le colonel Michel Goya, consultant militaire de BFMTV, a souligné mercredi soir en studio qu'il était "l'un des rares généraux que Poutine écoutait", que l'autocrate et lui avaient longtemps entretenu un "lien particulier", on lui reproche d'avoir voulu manger à trop de râteliers.

Patrick Sauce, notre éditorialiste pour les questions internationales, n'hésite pas: "Sourovikine est 'marketé' Prigojine, c’est un proche du patron du groupe Wagner". Or, Evgueny Prigojine et sa milice privée font de plus en plus de bruit et montent en puissance. Au point que le premier agace Vladimir Poutine par ses prétentions politiques grandissantes et que la seconde embarrasse l'armée régulière. Ces derniers jours, le curieux ping-pong verbal autour de la bataille de Soledar l'a assez montré.

Un vassal fidèle remplace un suspect

Tandis que Wagner a revendiqué la prise de cette ville de l'est ukrainien et qu'Evgueny Prigojine soutient mordicus que ses hommes sont les seuls impliqués dans cette victoire supposée, la parole publique cherche à rabattre le caquet de ce dernier. "Wagner ne cesse de dire qu’elle est la seule unité à avoir pris Soledar. Or, le ministère de la Défense dit depuis deux jours que la bataille continue, même si le sort de Soledar est sans doute scellé, mais ce n’est pas terminé", a pointé Patrick Sauce ce jeudi.

La veille, le porte-parole de l'ambassade de Russie en France, a été plus désagréable encore. "Il faut toujours se rappeler que monsieur Prigojine n’est pas un officiel de l’État russe donc quand il s’exprime, il s’exprime pour lui-même, il donne son avis privé", a-t-il dit, ajoutant même: "Il se félicite d’un succès pas encore évident, peut-être qu’il parle trop vite".

Valéri Guerassimov est plus patient. Surtout, ce fidèle du président russe ne fricote pas avec Evgueny Prigojine. Il a gagné la confiance du chef d'État lors de la guerre en Tchétchénie, a rendu la copie qu'on attendait de lui dans le Donbass et en Ukraine en 2014. Chef d'état-major depuis 2012, il a même été appointé vice-ministre de la Défense par le Kremlin.

Mais la relation ne va pas sans nuage. En mars dernier, Guerassimov - comme son ministre Sergueï Choigou - a disparu une quinzaine de jours, plongeant les médias du monde entier dans la perplexité. Force est de constater que cette éclipse n'a pas entraîné le crépuscule de la carrière de Valéri Guerassimov. Pas plus d'ailleurs que l'éviction d'Alexander Lapin n'a été définitive: mardi celui-ci a même été nommé chef d'état-major de l'armée de terre. Il n'est donc peut-être pas trop tard côté Sergueï Sourovikine pour rêver retour en grâce et promotions futures.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV