Karachi: un droit de tuer "absolu" pour la police pakistanaise?
Karachi, au Pakistan, est une ville confrontée quotidiennement aux disparitions et aux meurtres. Dans cette mégalopole où les gangs font la loi, la police est soupçonnée de recourir à des méthodes expéditives. D'après plusieurs témoignages des proches des victimes mais aussi de médecins légistes, elle se livrerait à des exécutions pour remettre de l'ordre dans cette ville immense où les partis s'affrontent par gangs interposés.
Trente-six membres du Muttahida Qaumi Movement (MQM) auraient ainsi été "tués sans procès" depuis fin 2013, selon un cadre du parti dirigé depuis Londres par Altaf Hussain. A chaque nouvelle disparition, le scénario se répète: la victime est enlevée et tuée avant d'être abandonnée.
C'est ce qui est arrivé à Sohail Ahmed, du MQM. Cet ouvrier sortait d'une mosquée de Karachi lorsqu'il a été embarqué de force dans une voiture. Il a été retrouvé mort un mois plus tard sur un terrain de foot. Rashid Sharif a lui aussi été arrêté en pleine rue par des hommes habillés en civil, embarqué dans une voiture devant sa fillette puis criblé de balles. Son petit frère a également connu le même sort l'année suivante. Si les familles des victimes demandent désormais justice, la police répond qu'elle n'est pas responsable de ces exécutions. Elle se vante en revanche du succès de son opération antigang menée depuis 2013. Depuis juillet dernier, 850 criminels auraient été éliminés au cours de perquisitions et d'affrontements armés. Parmi les personnes tuées se trouveraient des membres d'Al-Qaïda et des talibans pakistanais, selon la police. Mais ces affirmations ne sont cependant pas vérifiables.
De faux affrontements armés
Selon un médecin de l'hôpital Jinnah de Karachi, qui a examiné les corps des victimes, une grande partie d'entre elles portent sur le corps des marques évoquant des exécutions plutôt que des échanges de tirs. En outre, aucun policier n'est jamais blessé au cours des affrontements mentionnés par les rapports officiels. Selon un autre médecin, les victimes examinées ont souvent été abattues de près. Mais pour donner l'impression d'un tir à distance, un morceau de pneu est placé entre le fusil et la personne tuée, ce qui limite les résidus de tirs sur son corps.
Alors que les proches des victimes sont écœurés par ces meurtres à répétition, d'autres habitants se montrent plus satisfaits de la subite baisse de criminalité dans leur ville. "Ici, vous ne pouviez pas sortir la nuit", raconte Haji Abdullah Shah Bokhari, un imam du quartier talibanisé de Sohrab Goth, "si vous le faisiez, vous ne pouviez pas vous attendre à rentrer à la maison vivant! Aujourd'hui, nous nous sentons plus en sécurité". Selon la police, l'opération aurait permis de diminuer de 23% la criminalité à Karachi.