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Asie

Birmanie: qu'est-ce que la crise des Rohingyas?

Après de longues semaines d'un lourd silence, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi a réagi ce mardi à la crise humanitaire en cours dans son pays, où des centaines de milliers de musulmans de l'ethnie Rohingyas fuient pour le Bangladesh voisin. L'ONU, qui ouvre ce mardi sa 72e Assemblée générale, dénonce une "épuration ethnique".

A quelques heures de l'ouverture de l'Assemblée générale des Nations unies, elle a brisé le silence. Très critiquée pour son attitude dans la crise des Rohingyas, ces musulmans forcés de fuir la Birmanie pour le Bangladesh par milliers, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi a adressé ce mardi un message d'apaisement à la communauté internationale, se disant "prête" à organiser le retour des plus de 400.000 Rohingyas musulmans enfuis dans le pays voisin. 

"Nous sommes prêts à débuter la vérification" des identités des réfugiés, en vue de leur retour, a-t-elle déclaré dans un discours télévisé en anglais (et sans sous-titre en birman), sans préciser si les critères de retour, très restrictifs normalement, seraient assouplis.

> Que se passe-t-il en Birmanie? 

Aung San Suu Kyi est attendue au tournant par une opinion publique birmane chauffée à blanc par les critiques internationales sur le sort des plus de 410.000 Rohingyas, réfugiés au Bangladesh, qui ont fui l'Etat Rakhine.

Dans cet Etat de l'ouest du pays, l'armée mène une vaste opération de représailles depuis des attaques perpétrées le 25 août par des rebelles rohingyas contre des postes de police dans l'Etat Rakhine, et qui ont tué au moins douze policiers. Depuis, l'armée birmane est accusée d'avoir incendié les villages rohingyas, pour se débarrasser de cette encombrante minorité considérée en Birmanie comme une menace pour l'identité bouddhiste du pays.

L'ONU parle d'"épuration ethnique" et redoute le "scénario du pire", face à une situation humanitaire catastrophique au Bangladesh. En effet, depuis les attaques, des réfugiés affluent en masse dans cet Etat voisin très pauvre, après des jours de marche. Le 5 septembre, plus de 120.000 réfugiés rohingyas ont passé la frontière pour atteindre le Bangladesh, où vivent déjà 300.000 membres de leur communauté, issus de vagues de violences précédentes. Désemparées, les autorités bangladaises et les organisations étrangères sont débordées par cette marée humaine, alors que le sud du pays s'est transformé en un des plus grands camps de réfugiés du monde, en l'espace de trois semaines. À l'heure actuelle, entre 10.000 et 20.000 Rohingyas épuisés, affamés et parfois blessés franchissent chaque jour la frontière.

Depuis le 16 septembre, le nombre de Rohingyas arrivés au Bangladesh est évalué à plus de 400.000, ce qui en fait l'une des plus graves crises humanitaires de ce début de 21e siècle en Asie.

> Qui sont les Rohingyas?

En Birmanie, leur population est évaluée à un million, dont près de 800.000 dans la partie nord de l'État Rakhine, épicentre des troubles.

A la fin du 18e siècle, le royaume de l'Arakan, déclinant, est conquis par les Birmans puis par les Britanniques après la première guerre anglo-birmane (1824-1826). Ces derniers vont pousser des paysans de l'actuel Bangladesh à venir s'y installer. Ce qui vaut aux Rohingyas, musulmans sunnites parlant un dialecte proche du sud du Bangladesh, d'être considérés par la majorité des Birmans comme des immigrés illégaux du Bangladesh. Selon un recensement britannique datant de 1869, les musulmans représentaient alors 5% de la population de l'Arakan. Quelques années plus tard, en 1912, ce chiffre était passé à 30%.

Ces bouleversements démographiques ont fait naître des tensions. Elles se sont accrues avec la domination des Britanniques. Durant la Seconde guerre mondiale, le Royaume-Uni incite les musulmans à se battre contre les bouddhistes nationalistes birmans alliés aux Japonais. En 1942, au moment où les Britanniques quittent la région, des violences intercommunautaires éclatent. La Constitution de 1947 leur reconnaissait un statut légal et le droit de vote.

Mais l'instauration en 1962 de la dictature militaire tend un peu plus la situation pour les minorités ethniques, très nombreuses dans le pays et dont les droits sont niés par le pouvoir central. En 1978 puis en 1991-92, une campagne de répression de l'armée pousse quelque 250.000 Rohingyas à se réfugier au Bangladesh. Entre ces deux vagues, la loi birmane sur la nationalité de 1982 a laissé les Rohingyas apatrides: la nationalité birmane leur est retirée. En 2012, au cours d'une nouvelle vague de violences avec des bouddhistes extrémistes, 200 personnes sont tuées et 120.000 Rohingyas, chassés de chez eux. Depuis, des milliers d'entre eux ont choisi l'exil. 

> Qu'est-il reproché à Aung San Suu Kyi?

Essentiellement de n'avoir que très peu réagi à ce qui est pourtant considéré comme un "crime contre l'humanité" par de nombreuses ONG. Jusqu'ici, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi n'a en effet que mollement appelé l'armée à la retenue et à épargner les civils, et s'est montrée conciliante avec le courant de nationalisme bouddhiste. Pourtant, l'an dernier, à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU, l'ancienne dissidente louée pendant des années pour son combat contre la junte militaire et élevée au statut d'héroïne, avait promis de défendre les droits de cette minorité considérée comme l'une des plus persécutées au monde.

Mais depuis trois semaines, la prix Nobel de la paix ne s'exprimait qu'à travers son service de presse et n'avait donné qu'une brève interview à la télévision indienne. 

Ce mardi, lors d'une adresse à la Nation, elle a brisé son silence et a appelé à la fin des divisions religieuses entre majorité bouddhiste et minorité musulmane. "Nous sommes profondément désolés pour les souffrances de tous ceux qui se sont retrouvés pris au piège de ce conflit", a-t-elle dit, évoquant les civils ayant fui en masse au Bangladesh mais aussi les bouddhistes ayant quitté leurs villages. Et d'insister: "Nous ne voulons pas que la Birmanie soit divisée par les croyances religieuses". 

Aung San Suu Kyi a aussi eu des mots durs envers l'armée, à laquelle elle avait apporté jusqu'ici son soutien sans faille. "Les forces de sécurité ont reçu des instructions" afin de "prendre toutes les mesures pour éviter les dommages collatéraux et que des civils soient blessés" lors de l'opération antiterroriste, a-t-elle dit, affirmant "condamner toutes les violations des droits de l'homme". Mais la prix Nobel de la paix n'est pas allée jusqu'à publiquement condamner l'armée birmane. Et si elle a promis de punir tous les abus, "encore faut-il que nous disposions de preuves solides" des exactions, a-t-elle ajouté.

Prononcé à quelques heures de l'ouverture de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York, nul doute que ce discours était avant tout destiné à la communauté internationale, dont Aung San Suu Kyi recevait de plus en plus de pression.

Adrienne Sigel avec AFP