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Espionnage de la France par la NSA: que faut-il comprendre des révélations du Monde?

Edward Snowden, l'ex-consultant de la NSA qui a révélé les pratiques d'espionnage de la NSA.

Edward Snowden, l'ex-consultant de la NSA qui a révélé les pratiques d'espionnage de la NSA. - -

Lundi, le journal "Le Monde" a précisé comment la NSA a massivement espionné plusieurs pays européens, dont la France. Ces révélations accentuent encore un peu plus le malaise entre notre pays et son allié, les Etats-Unis. Mais ces pratiques sont-elles vraiment faites pour nous surprendre?

Edward Snowden refait encore une fois parler de lui. Lundi, Le Monde a publié des détails sur l'ampleur des interceptions de communications et la manière dont la NSA a espionné massivement plusieurs pays, dont la France. Il apparaît que les interceptions de communications sont encore plus massives que ce que l'on pouvait imaginer. Ulcérée, la diplomatie française a convoqué "immédiatement" l'ambassadeur américain.

Laurent Fabius a ainsi demandé à Charles Rivkin de lui assurer que les interceptions de communication n'ont "plus cours". Le ministre de l'Intérieur a quant à lui qualifié ces informations de "choquantes" et précisé qu'elles appellent des "explications". Jean-Marc Ayrault est aussi monté au créneau, jugeant cette histoire "invraisemblable".

Mais est-ce vraiment une surprise? Et que cela dit-il des relations que la France entretient avec les Etats-Unis? Eléments de réponses.

> Ces révélations du Monde sont-elles vraiment surprenantes?

"Pas du tout. Le Monde cherche à vendre du papier. Il y a des informations, mais tout cela n'est pas nouveau. Cela fait très longtemps que la NSA écoute tout le monde et notamment les Français, les Anglais…", explique Eric Denécé, président du Centre français de la recherche sur le renseignement (CF2R). Selon ce spécialiste de l'espionnage, ces révélations ne changent fondamentalement pas la donne. Créée en 1952, la NSA continuerait ainsi "d'espionner systématiquement les alliés des Etats-Unis et par-dessus la tête de ces derniers".

Des "affaires comme celle-là, on en a une tous les dix ans", note encore Eric Denécé. Il rappelle ainsi qu'en 1994, la presse avait fait grand cas des écoutes d'Edouard Balladur, ce qui avait "conduit à la perte des contrats d'Airbus". Il rappelle aussi que les Américains avaient espionné l'Union européenne juste avant la guerre en Irak. "Dix ans après, on a l'impression que tout le monde a tout oublié", constate-t-il.

> Qu'apportent-elles de nouveau?

Si l'on savait que la NSA espionnait ses alliés, c'est "l'ampleur" nouvelle de l'espionnage qui choque, et qui ne "cesse de s'accroître". "Toutes ces précisions apportées par Le Monde sont intéressantes et permettent de mieux comprendre comment les Américains fonctionnent sur ce dossier", estime Eric Denécé. Mais si cet espionnage "évolue technologiquement, il n'y a sur le fond rien de nouveau".

Une analyse que partage Alain Juillet, du Club des directeurs de sécurité des entreprises pour qui c'est bien "l'ampleur de ce système d'interceptions" qui est en cause.

> Est-il normal que des alliés s'espionnent?

"Il est anormal que nos alliés nous écoutent de cette façon, autant et de manière aussi exagérée", résume Eric Denécé. Mais "ce n'est pas la NSA qui est en tort, c'est le gouvernement américain", analyse-t-il, précisant que "le rôle d'un service d'espionnage est bien d'espionner des personnes et de promouvoir les intérêts des Etats-Unis". Ainsi, quand la NSA espionne non seulement des présumés terroristes, mais aussi des hommes d'affaires, des politiques, des cadres de l'administration française, elle est paradoxalement dans son rôle.

Si l'espionnage s'inscrit par définition en dehors de tout cadre légal, "il ne faut pas confondre le droit et la légitimité". Le spécialiste note que l'espionnage est pratiqué par tous les pays mais que le pratiquer à ce point "dépasse l'entendement". "Je ne sais pas d'ailleurs si ça leur sert à quelque chose [aux Etats-Unis, NDLR]. Je ne suis pas sûr qu'ils parviennent à traiter plus de 10 ou 20% des données interceptées", juge Eric Denécé.

> Les relations entre la France et les Etats-Unis risquent-elles de pâtir de cette affaire d'espionnage?

Sans préjuger de l'évolution future des relations franco-américaines, ces interception massives traduisent avant tout la volonté "hégémonique des Etats-Unis", qui "veulent tout savoir sur tout, sur leurs ennemis, leurs alliés, leurs concurrents", analyse Eric Denécé. Une situation qu'il juge "préoccupante", car les Etats-Unis "veulent donner l'image de la plus grande démocratie du monde, or ce sont eux qui transgressent le plus les règles du jeu".

Du reste, l'arrivée du président Obama au pouvoir n'a rien changé au problème. "Les frappes de drones ont été considérablement accrues sous Obama", note le spécialiste.

> Le renseignement français n'était-il pas au courant de ces pratiques?

Pour le président du CF2R, Laurent Fabius ne pouvait pas faire autrement que de "réagir" fermement face à de telles révélations. Mais, ces dernières années, "la DGSE [direction générale de la sécurité extérieure] et la DCRI [direction centrale du renseignement intérieur] n'ont cessé de prévenir les politiques. Elles l'ont dit à tous les présidents, à tous les ministres". Certes, concède-t-il, "les révélations du Monde ont dû apporter des précisions que les gouvernants n'avaient peut-être pas. Tout cela agace".

David Namias