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Des soldats colombiens posent avec quatre enfants membres d'une communauté indigène, retrouvés vivants le 9 juin 2023, plusieurs semaines après le crash de leur avion.

Colombian Presidency / AFP

"Leur mère leur a tout appris": le récit de la survie incroyable de 4 enfants dans la jungle colombienne

Quatre enfants âgés de 1, 4, 9 et 13 ans ont survécu au crash de l'avion qui les transportait avec leur mère en se nourrissant de racines, de semences ou de plantes. Récit de leur quarante jours d'errance dans la jungle colombienne.

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Après quarante jours passés dans la jungle, les quatre enfants ont été miraculeusement retrouvés vivants, à 5 km du lieu du crash de leur avion. Le 1er mai dernier, Lesly (13 ans), Soleiny (9 ans), Tien Noriel (5 ans) et Cristin (1 an) prennent place à bord d'un aéronef de type Cessna 206, accompagnés de leur mère et d'un proche, représentant indigène.

L'appareil décolle d'une zone de jungle connue sous le nom d'Araracuara pour se rendre à San José del Guaviare, l'une des principales villes de l'Amazonie colombienne. Un vol de 350 km au-dessus de la jungle. Mais peu après le décollage, le pilote signale un problème au niveau du moteur. Et juste après, l'avion disparaît des radars.

Le périple incroyable de 4 enfants dans la jungle colombienne
Le périple incroyable de 4 enfants dans la jungle colombienne
17:52

Leur mère leur dit de partir avant de mourir

Les quatre enfants et leur mère survivent au crash. Les premiers jours, les enfants restent près de l'épave et se nourrissent de farine de manioc trouvée à bord de l'appareil. Grièvement blessée, leur mère ne tient que quatre jours, selon le récit du père des enfants.

"Avant de mourir, elle leur a dit: 'Allez-y, partez'" rejoindre votre père, relate-t-il.

Lesly, l'aînée de la fratrie, prend alors en charge son frère et ses sœurs. Elle cherche dans les débris le sac où se trouvent les couches, raconte après leur sauvetage une amie de leur grand-mère.

Dans une valise, Lesly met une bâche, une serviette, quelques vêtements, du matériel de camping, une lampe torche avec des piles, une bouteille de soda mais aussi une boîte à musique et deux téléphones portables. Ces derniers ne leur servent pas à téléphoner, faute de réseau, mais à "se distraire" la nuit, détaillera l'un des sauveteurs.

Racines, semences et plantes

Les enfants connaissent la jungle, ce qui les a sans doute sauvés. Ils font partie de la communauté indigène Uitoto. Elle a été "évangélisée", "mais ils ont gardé leurs croyances animistes et leurs divinités", relate l'amie de leur grand-mère, Adriana Carrera. "Les plantes comme la coca et le tabac sont aussi sacrées à leurs yeux que l'eucharistie."

Pour l'Organisation nationale des peuples Amérindiens de Colombie (Opiac), "la survie des enfants est la démonstration de la connaissance et de la relation qu'entretiennent les indigènes avec la nature, un lien enseigné dès le ventre de la mère". Une connaissance qui leur a en effet permis de se nourrir de racines, semences et plantes.

"Dès l'enfance, on leur transmet cette connaissance et cet amour de la nature", confirme Adriana Carrera. Selon elle, leur mère "leur a tout appris", a-t-elle confié au Parisien.

"Chez les Uitotos, on chante à l'oreille des enfants des comptines sur la forêt", explique-t-elle. "Elles racontent que telle plante est comestible, qu'il ne faut pas manger un fruit qui n'est pas mûr."

Les trois filles et le garçon se nourrissent également de fruits du palmier et de mangues sauvages. Durant toute leur errance, ils restent toujours à proximité d'un cours d'eau, y remplissant leur petite bouteille.

Mais pour la cadette de la fratrie, qui n'a alors que 11 mois et besoin de lait maternel ou maternisé, le mystère reste entier. "Il est probable qu'ils aient utilisé un équivalent qui provient de lianes", envisage pour BFMTV William Wadoux, consultant en projet de développement et coorganisateur de stages de survie en Amazonie. "Sans doute certaines plantes ont pu permettre à l'enfant de survivre."

Des traces de pas et une série d'indices

Les enfants savent que les secours tentent de les retrouver. Ils entendent les hélicoptères qui les survolent et les messages diffusés par haut-parleur, notamment de leur grand-mère qui leur dit, dans la langue Uitoto, qu'ils sont recherchés, leur demande de rester où ils se trouvent afin que les secours puissent les localiser et de ne pas avoir peur du chien Wilson, l'un des chiens sauveteurs parti à leur recherche.

Par hélicoptère, 10.000 tracts, en espagnol et en langue indigène, indiquant la manière de contacter les secours sont largués ainsi qu'une centaine de kits de survie, contenant de l'eau et de la nourriture - on ne sait pas encore si les enfants ont pu en bénéficier.

Car les sauveteurs sont convaincus que les enfants ont survécu. Quinze jours après l'accident, il découvre la carcasse de l'appareil à la vertical, le nez au sol dans une végétation dense, avec à son bord le corps de la mère, du pilote et du représentant indigène.

L'épave d'un avion retrouvé dans la jungle colombienne après son crash, le 19 mai 2023.
L'épave d'un avion retrouvé dans la jungle colombienne après son crash, le 19 mai 2023. © Colombian army / AFP

Les soldats découvrent ensuite un "abri de fortune fait de bâtons et de branches", puis un chien des ciseaux et un bout de bandeau pour les cheveux. Par la suite, ils identifient des empreintes de pas qui pourraient être celles des enfants.

"D'après les indices retrouvés, nous concluons que les enfants sont vivants", déclare fin mai un général à la radio. "S'ils étaient morts, il serait certainement facile de les retrouver parce qu'ils seraient immobiles."

Le chien Wilson

Les secouristes trouvent également les traces d'un chien. Ce que les enfants confirment par la suite: durant leur séjour dans la jungle, ils ont en effet reçu la visite d'un animal, qu'ils dessinent durant leur hospitalisation. Un chien au pelage marron clair et aux oreilles pointues qui correspond à Wilson. Participant aux recherches, il s'était à son tour perdu dans l'épaisse végétation.

"Le chien était avec eux, il partait et revenait (...) puis il a disparu", a confirmé le grand-père des enfants. Lesly a également raconté que ce chien les avait accompagnés "pendant un moment".

Le lendemain, soit le 9 juin, les enfants sont finalement retrouvés par des membres de communautés indigènes locales, engagés auprès de la centaine de soldats mobilisés dans le cadre de l'opération baptisée "espoir". Au total, près de 2656 km de jungle ont été parcourus pour sauver les enfants.

Hagards et affaiblis, mais vivants

Une vidéo diffusée par le gouvernement colombien les montre installés sur une bâche, émaciés, hagards et particulièrement affaiblis. S'ils sont déshydratés, présentent quelques égratignures et piqûres et que Tien Noriel (le seul garçon de la fratrie) est trop épuisé pour marcher, "leur état est acceptable", annonce le ministre de la Défense colombien.

Quatre enfants membres d'une communauté indigène, retrouvés vivants le 9 juin 2023, plusieurs semaines après le crash de leur avion.
Quatre enfants membres d'une communauté indigène, retrouvés vivants le 9 juin 2023, plusieurs semaines après le crash de leur avion. © Colombian Presidency / AFP

Autre miracle: pas une seule attaque d'animaux ou de blessure accidentelle durant leur quarante jours dans la jungle.

Lors de leur sauvetage, les enfants se trouvaient depuis quatre jours au même endroit. Ils sont conscients et l'aînée se souvient de tout.

"Lesly, en tenant la petite par la main, a couru vers moi", raconte l'un des sauveteurs. "Je l'ai prise dans mes bras, elle m'a dit: 'j'ai faim'."

À côté, le garçon de 5 ans est allongé. "Après un premier câlin et lui avoir donné un peu de nourriture, il s'est levé et il m'a dit, très conscient de ce qu'il disait: 'ma maman est morte'", se souvient-il encore.

Les secouristes les réconfortent, leur disent qu'ils sont des amis et qu'ils viennent de la part de la famille. Le garçon leur répond: "je veux du pain et du chorizo". "Ils ne pensaient qu'à manger, manger, encore manger", poursuit le sauveteur.

Leur état de santé évolue favorablement

Les enfants sont hélitreuillés et transportés par hélicoptère vers la ville de San José del Guaviare puis acheminés par avion médicalisé à Bogota. À leur arrivée, ils sont évacués en civière et embarqués à bord de plusieurs ambulances.

La Première dame colombienne rend visite, le 10 juin 2023 à Bogota, à l'un des enfants membres d'une communauté indigène retrouvé vivant plusieurs semaines après le crash de l'avion qui le transportait.
La Première dame colombienne rend visite, le 10 juin 2023 à Bogota, à l'un des enfants membres d'une communauté indigène retrouvé vivant plusieurs semaines après le crash de l'avion qui le transportait. © Colombian Presidency / AFP

Après deux jours de soins, "ils sont de très bonne humeur, ils ont colorié et dessiné. Ils aiment parler (....), ils sont très bien disposés", indique la directrice adjointe de l'Institut colombien de protection de la famille (ICBF), même s'ils ne peuvent pas encore s'alimenter normalement.

Plus d'une semaine après leur sauvetage, la santé des enfants évolue "favorablement" mais ils sont toujours en "déficit nutritionnel", a indiqué l'hôpital militaire de Bogota. Les enfants restent notamment à "haut risque" face à d'éventuelles pathologies infectieuses du fait de leur état de faiblesse. Ils devraient ainsi rester hospitalisés encore deux à trois semaines.

Quant à leur avenir, rien n'est encore tranché. Car ils sont désormais au cœur d'une querelle familiale. L'ICBF conservera la tutelle des enfants jusqu'à la résolution du différend: les proches de leur mère accusent le père des deux plus jeunes enfants - il n'est pas le père des deux aînés - de maltraitance, ce que de dernier dément. Le père des deux aînés ne s'est pas manifesté et la grand-mère maternelle demande la garde des quatre enfants.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV