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Ambassade américaine à Jérusalem: "C'est un coup de poker de Trump"

Les affrontements entre l'armée israélienne et des manifestants palestiniens ont fait 55 morts ce lundi à Gaza.

Anniversaire meurtrier, ce lundi en Israël. Alors que l'État hébreu célébrait les 70 ans de son indépendance, des centaines de Palestiniens ont manifesté dans la bande de Gaza, à la frontière avec Israël, contre le transfert de l'ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem.

Tandis qu'Ivanka Trump et son époux inauguraient cette nouvelle ambassade au côté de Benyamin Netanyahou, de violents affrontements entre l'armée israélienne et les manifestants ont éclaté, faisant 52 morts et des centaines de blessés du côté palestinien.

Sur BFMTV, notre éditorialiste et plusieurs spécialistes sont revenus sur les événements de la journée. 

Ulysse Gosset, éditorialiste politique étrangère de BFMTV: Trump agit "comme il l'a fait pour la Corée du Nord"

"Ce passage en force dans cette région sous haute tension inquiète. (...) C’est un coup de poker de la part de Trump. Il s’agit de dire aux Palestiniens 'Je ne céderai pas, j’irai jusqu’au bout de ma logique, et si vous ne voulez pas faire un geste il n’y aura pas de négociations. Par contre, si vous acceptez le dialogue, alors je vous promets quelque chose que vous souhaitez tous, en particulier une capitale pour l’État Palestinien qui pourrait être à Jérusalem-Est'. C’est ça, le grand deal."

La décision de Donald Trump de transférer l'ambassade israélienne de Tel Aviv à Jérusalem est à mettre en parallèle avec sa façon de gérer les crises internationales, selon Ulysse Gosset. Une "façon de jouer et mettre sur la table toutes ses cartes", "comme il l’a fait pour la Corée du Nord, il fait la même chose avec l’Iran, il veut faire la même chose avec les Palestiniens. C’est une stratégie extrêmement dangereuse qui peut de temps à autres fonctionner mais qui n’est pas garantie, loin de là."

"La France comme l’Europe essayent de porter une solution pacifique avec un soutien à l’autorité palestinienne. Le problème c’est le Hamas, le Hamas des durs, de l’aile militaire, qui favorise la confrontation et pousse un certain nombre de manifestants à se heurter aux soldats de l’armée israélienne. On est dans une logique des deux côtés, les ultra du Hamas et puis la droite dure israélienne qui est assez dans cette logique de confrontation, ce qui explique le bilan d’aujourd’hui. "

Hasni Abadi, du Centre d'étude et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen: "On n'a jamais atteint ce chiffre de victimes depuis 2014"

La situation "est très grave parce qu’on n’a jamais atteint ce chiffre de victimes depuis 2014", indique Hasni Abidi. "Tous les habitants de Gaza, sans la direction politique du Hamas et sans la direction à Ramallah de l’autorité palestinienne ont décidé, ils ont annoncé ça depuis plusieurs mois, qu’ils allaient organiser des marches quotidiennes jusqu’à la frontière israélienne d’une manière pacifique."

Selon lui, "si la réponse israélienne c’est une réponse brutale face à des manifestants qui manifestent d’une manière généralement pacifique, ça en dit long sur les jours qui vont venir. Le dernier élément c’est que finalement aujourd’hui l’autorité palestinienne, son dirigeant Mahmoud Abbas sont aux abonnés absents."

David Khalfa, spécialiste des questions de politique étrangère et de sécurité: "Il faut essayer de comprendre la crainte et les perceptions" des deux côtés

"Il y a dans leur grande majorité des manifestants qui en effet sont pacifiques, indique David Kahlfa. Cependant, il affirme que "plus on se rapproche de la frontière internationale, et plus le profil de manifestants et les moyens qu’ils utilisent pour affronter l’armée sont violents." 

"Il faut essayer d’élargir la focale: d’un côté vous avez près de 50.000 manifestants qui ont manifesté à 12 points différents de la frontière et côté israélien vous avez des villages, des kibboutz, des moshav, qui sont très proches de cette frontière, qui sont à 300 mètres. Évidemment, il faut essayer de comprendre la crainte et les perceptions à la fois palestiniennes et israéliennes. La crainte, côté israélien, c’est que les infiltrations se terminent tout simplement par des massacres."

Il est difficile de "distinguer parmi ces manifestants la masse des gens qui sont là en effet pour manifester de manière pacifique et d’autres qui en réalité appartiennent plutôt aux groupes armés du djihad islamique, du Hamas et du Fatah, et qui eux ont un autre agenda."

Dominique Moïsi, géopolitologue: Donald Trump est "dans la logique de son action"

Si Donald Trump prend ce risque, c'est parce qu'"il est dans la logique de son action: 'J’ai dit ce que j’allais faire, je fais ce que j’ai dit'. C’était une promesse de campagne, et on est à six mois des élections de mi-mandat. Et il y a cette idée: 'Rien ne m’arrête, moi je brise tous les tabous, je vais voir le leader nord-coréen à Singapour, je transfert mon ambassade à Jérusalem.'"

"Au niveau des symboles et des émotions, ce que retiennent les Palestiniens c’est qu’ils sont désespérés, isolés, ils vivent dans des conditions épouvantables à Gaza, mais en plus on ne tient absolument pas compte de leurs prises de position. Reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, c’est une évidence mais cela supposerait que l’on reconnaisse également Jérusalem comme la capitale du peuple palestinien."

Nicole Bacharan, politologue spécialiste des États-Unis: Trump "ne propose aucun chemin"

Donald Trump "casse beaucoup de choses", selon Nicole Bacharan: "Il a plus ou moins cassé l’alliance atlantique, cassé l’accord sur l’Iran, cassé l’accord sur le climat, là il casse la situation au Moyen-Orient qui déjà était bien ébranlée. (…) Quand je vois la famille Trump (présentée) comme les meilleurs amis d’Israël, je trouve qu’il y a là quelque chose de faux et de dangereux. Donald Trump est dans les bras de l’électorat évangéliste extrémiste aux États-Unis, c’est sa base électorale parmi d’autres, il les cultive, il les protège, pour les élections de novembre prochain et la prochaine élection présidentielle."

"Mais c’est vrai qu’avec cette ambassade à Jérusalem (…) avec ce mouvement sans aucun égard, d’une certaine manière, avec ce qu’il fait sur l’Iran sans rien proposer ensuite, il ne propose aucun chemin qui préserve même ne serait-ce qu’à demi la dignité des autres participants. Je trouve ça extrêmement destructeur."

Benjamin Pierret