BFMTV
Afrique

TOUT COMPRENDRE - Combats de rue, explosions, près de 200 morts... Que se passe-t-il au Soudan?

Alors que les militaires auraient dû confier le pouvoir à un gouvernement civil ce mois-ci, de violents affrontements ont éclaté entre les troupes de deux généraux ennemis dans plusieurs villes du pays.

Le mois d'avril aurait dû marquer une étape importante dans le cheminement démocratique emprunté par le Soudan il y a quatre ans, avec la transmission du pouvoir détenu par les militaires à un gouvernement civil. Mais dans un pays historiquement marqué par les coups d'État, cette transition annoncée s'est transformée en violents affrontements, qui ont d'abord éclaté samedi dans la capitale Khartoum, avant de se répandre dans de nombreuses autres villes.

La raison? Une lutte intestine entre les deux généraux les plus puissants du pays. D'un côté, Abdel Fattah Al-Bourhane, à la tête des forces armées soudanaises et de facto leader du Soudan depuis le soulèvement populaire qui a mis fin au régime d'Omar el-Béchir en 2019. Et de l'autre, son adjoint Mohamed Hamdane Daglo, à la tête des Forces de soutien rapide soudanaises.

• Quel est le bilan des affrontements?

Depuis samedi, l'ONU a recensé plus de 185 morts et 1800 blessés. Parmi ces victimes, trois humanitaires du Programme alimentaire mondiale, tués dans la région du Darfour-Nord, à l'ouest du pays. L'ONG Médecins sans frontières a de son côté annoncé avoir accueilli en trois jours 183 blessés dans cette même région du Darfour, "une majorité de civils, dont beaucoup d'enfants".

Les combats entre les partisans d'Abdel Fattah Al-Bourhane et de Mohamed Hamdane Daglo ont débuté samedi 15 avril. Ils se sont d'abord concentrés sur des bases militaires de la capitale, peuplée de 5 millions d'habitants, avant de se déplacer en centre-ville, notamment autour du palais présidentiel, mais aussi de l'aéroport international. À l'heure actuelle, il reste impossible de dire qui contrôle quoi. Ce mardi, de nouvelles explosions ont secoué Khartoum.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs vidéos prises durant le week-end montrent des combats de rue, avec des véhicules blindés patrouillant dans des quartiers résidentiels. Comme le rapporte le New York Times, plusieurs responsables occidentaux présents à Khartoum ont indiqué la présence de nombreux avions militaires, et la compagnie Saudia Airlines a déclaré qu'un de ses avions avait été endommagé sur le tarmac de l'aéroport de Khartoum.

Dans la capitale, d'où s'échappe des volutes de fumée noire, les habitants sont retranchés chez eux, parfois sans eau ni électricité, et des pillages de commerces ont été recensés. Certains hôpitaux, qui doivent gérer un flux incessant de blessés, sont parfois eux-mêmes coupés d'électricité. Deux d'entre eux ont été évacués, visés par des tirs.

Mardi, le général Hamdane Daglo a annoncé sur Twitter la signature d'un "cessez-le-feu de 24 heures". L'armée du général al-Bourhane a immédiatement publié un dementi sur Facebook, qui a jugé cette annonce comme "une déclaration de la rébellion visant à dissimuler sa défaite imminente".

• Quels sont les camps qui se font face?

Ces combats résultent de tensions qui n'ont fait que croître ces derniers mois entre les deux généraux à la tête de la junte militaire, Abdel Fattah Al-Bourhane et Mohamed Hamdane Daglo.

Le premier est un militaire de carrière, qui a pendant de nombreuses années travaillé sous les ordres du dictateur Omar el-Béchir, avant de changer de position lors du soulèvement de 2019. Il est également à la tête des forces armées soudanaises. Abdel Fattah Al-Bourhane était jusqu'à samedi considéré comme le leader de facto du pays, sur lequel il a progressivement étendu sa mainmise.

Abdel Fattah Al-Bourhan le 5 décembre 2022 à Khartoum au Soudan.
Abdel Fattah Al-Bourhan le 5 décembre 2022 à Khartoum au Soudan. © ASHRAF SHAZLY / AFP

Il est secondé dans ce rôle par Mohamed Hamdane Daglo, surnommé "Hemeti", qui a par le passé commandé les milices Janjawids, qui ont semé la terreur dans la région du Darfour. Il dirige depuis les Forces de soutien rapide (RSF), et possède une influence indéniable dans le monde économique. Il est à la tête d'une importante fortune. Après le soulèvement populaire en 2019, il s'est également retourné contre la figure d'Omar El-Béchir, et a mis sur pied une alliance de façade avec Abdel Fattah Al-Bourhane.

Mohamed Hamdan Daglo à Araq au Soudan le 22 juin 2019.
Mohamed Hamdan Daglo à Araq au Soudan le 22 juin 2019. © YASUYOSHI CHIBA / AFP

Avant de se faire face, les deux hommes ont mené conjointement un coup d'État en octobre 2021, renversant les institutions de l'époque, dont le gouvernement civil transitoire et son Premier ministre. La manœuvre a eu pour conséquence de renforcer Abdel Fattah Al-Bourhane en tant que leader du Soudan, et Mohamed Hamdane Daglo en tant que vice-leader.

• Une crise annoncée de longue date?

La crise qui a fait émerger ces deux figures est le soulèvement populaire de 2019 mené contre le régime d'Omar el-Béchir. Les manifestations de l'époque avaient débouché sur un premier coup d'État militaire, qui avait destitué Omar el-Béchir, emprisonné depuis.

En décembre 2022, les deux généraux qui se font aujourd'hui face avaient signé un accord de transition soutenu par les pays occidentaux, impliquant le passage du pouvoir à un gouvernement civil en avril 2023. Mais des tensions avaient par la suite été révélées, notamment concernant la création d'une armée soudanaise unifiée.

Ainsi, comme le rapporte Le Monde, depuis plusieurs semaines, des mouvements d'hommes et de matériels en direction de la capitale Khartoum ont été détectés. Mais la véritable cause derrière le déclenchement des combats reste floue, les deux camps s'accusant mutuellement d'avoir lancé les hostilités.

La séparation est désormais bien consommée. "Nous sommes désolés de devoir combattre nos soldats, mais ce criminel (Al-Bourhane, NDLR) est celui qui nous force à le faire", a déclaré Mohamed Hamdane Daglo à la chaîne de télévision Al-Jazeera.

Avant de poursuivre: "nous allons capturer Bourhane et le mener en justice, ou il peut mourir comme n'importe quel chien".

"Je ne suis pas surpris du tout. Malheureusement, d'un côté vous avez une milice, et de l'autre un général qui a transformé l'armée en milice pour rester au pouvoir", a déclaré au New York Times Galal Yousif, un artiste résidant à Khartoum.

• Pourquoi l'inquiétude monte sur la scène internationale?

En 2019, l'espoir avait gagné les chancelleries de nombreux pays, lors de la chute du dictateur Omar el-Béchir. Avant que leurs espoirs ne soient douchés par la mainmise de l'armée sur les institutions du pays.

Le Soudan, troisième plus grand pays d'Afrique, est un point stratégique pour les Occidentaux, notamment car Moscou cherche à y étendre son influence. Les mercenaires de la milice russe Wagner y sont présents et contrôlent une mine d'or. Moscou fait pression pour que ses bateaux puissent accoster dans les ports du pays, situés au bord de la mer Rouge.

Le secrétaire d'État américain Anthony Blinken s'est dit "très concerné" par les combats au Soudan, et le Kremlin a appelé à "des mesures d'urgence en faveur d'un cessez-le-feu". Une inquiétude qui se justifie d'autant plus qu'Anthony Blinken a confirmé que des tirs avaient visé un convoi diplomatique américain. De même, l'ambassadeur de l'Union européenne au Soudan a été agressé dans sa résidence.

Preuve de l'importance de la crise, plusieurs chefs d'État sont attendus dans les prochains jours au Soudan, parmi lesquels le Sud-Soudanais Salva Kiir, mais également le président kényan William Ruto, et le président de Djibouti Ismaïl Omar Guelleh.

Cette intense activité diplomatique cache la crainte que les tensions puissent s'étendre à d'autres pays, notamment au Tchad voisin.

"Il existe un réel potentiel de déstabilisation régionale si le conflit s’intensifie", a déclaré au Monde Cameron Hudson, rattaché au Center for Strategic and International Studies.

Ce lundi, le ministère français des Affaires étrangères a renouvelé "sa vive inquiétude en cours au Soudan".

Jules Fresard