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Leila Alaoui, 30e victime de Ouagadougou: une photographe au travail salué

La photographe Leile Alaoui, touchée par balles pendant l'attaque du café Capuccino, a succombé à ses blessures.

La photographe Leile Alaoui, touchée par balles pendant l'attaque du café Capuccino, a succombé à ses blessures. - Capture Instagram

Leila Alaoui est la 30e victime des attaques de Ouagadougou. A 33 ans, elle était déjà une photographe admirée pour son travail sur le monde africain et venait  de terminer une exposition à la prestigieuse Maison européenne de la photographie, à Paris.

Un inestimable talent de la photographie s'est éteint après les attaques de Ouagadougou. Blessée par balles, la Franco-Marocaine Leila Alaoui a succombé à ses blessures dans la soirée du 18 janvier, plongeant la profession dans le deuil.

Tuée alors qu'elle était en mission pour Amnesty International au Burkina Faso, la photographe et vidéaste a péri au cœur d'une terre qu'elle avait toujours farouchement défendue, l'Afrique, contre le regard simplificateur de l'Occident.

Le documentaire esthétique

Le travail qu'elle démarrait pour l'ONG humanitaire était représentatif de son engagement. "Mon corps, mes droits" est une campagne mondiale lancée à l'occasion de la dernière Journée internationale du droit des femmes. Elle s'articule autour d'un manifeste de sept principes qui visent à affirmer la liberté sexuelle et à lutter contre les mariages forcés, notamment au Burkina et au Mali. Une exposition de ses photos devait avoir lieu en avril prochain.

Le travail de Leila Alaoui se distingue par sa capacité à marier l'esthétique et la force de son message. Elle utilisait son origine marocaine pour créer le contact, mais savait gagner une distance méticuleuse. Interrogée par France24, Samira Daoud, sa directrice de campagne, explique pourquoi l'ONG l'avait choisie pour cette commande:

"Elle était parfaite pour ce travail: à la fois à l’aise sur le terrain tout en gardant de la distance. De plus, le fait qu’elle soit une femme facilitait le dialogue avec ses modèles".

Un mélange d'intimité et de sobriété que l'on devinait déjà à travers certains de ses anciens travaux.

Sortir du prisme de l'exotisme

L'un des derniers projets de Leila Alaoui a obtenu une grande reconnaissance, retenant l'attention du New York Times et de Vogue. En France, il a été exposé tout l'hiver dans le temple de la photographie parisienne, la Maison européenne de la photographie de Paris (MEP).

Lancée en 2010, cette série, Les Marocains, s'attache à dépeindre le Maroc rural de la manière la plus neutre et honnête qui soit. Un travail sur l'identité, la diversité culturelle et contre le formatage dont l'œil occidental est parfois victime. 

Leila Alaoui avaait choisi de s'inscrire dans la démarche des artistes post-coloniaux, qui ont eu à cœur d'effacer la manière faussée de présenter les anciennes colonies par le prisme de l'exotisme. Elle revendiquait l'influence du théoricien littéraire palestinien Edward Saïd, qui décrivait un "Orient créé par l'Occident". Sur le site de la MEP, elle expliquait: 

"Les photographes utilisent souvent le Maroc comme cadre pour photographier des Occidentaux, dès lors qu’ils souhaitent donner une impression de glamour, en reléguant la population locale dans une image de rusticité et de folklore et en perpétuant de ce fait le regard condescendant de l’orientaliste."

Dans les traces de Richard Avedon et de Robert Frank

Cette démarche aura été nourrie des plus grands photographes, tels que le portraitiste américain Richard Avedon et sa fameuse série In the American West. Pour sortir de cette condescendence à l'égard de l'Orient, elle avait choisi d'exalter, en immersion, la fierté des individus qu'elle avait rencontrés.

L'autre paternité, dans ce travail, est à chercher du côté de Robert Frank. Ce célèbre photographe américano-suisse est l'auteur de The Americans, un road trip à la rencontre de la véritable Amérique le long de la route 66, et une œuvre majeure de l'histoire de la photographie.

Voler l'âme des gens

Comme Richard Avedon, Leila Alaoui s'était déplacée dans les petits villages reculés de son pays natal à la rencontre de leurs habitants. Avec son studio photo sur le dos, elle avait installé son drap noir, son éclairage puissant et sa batterie à proximité des marchés. Puis elle avait demandé aux passants si elle pouvait les prendre en photo.

La plupart ont refusé, car l'appareil photo y suscite encore beaucoup de méfiance. Les gens "considèrent souvent la photographie comme une façon de voler l’âme des gens", comme l'expliquait la photographe sur son site web.

Il lui fallait travailler vite car le flash faisait souvent peur à ses modèles. Elle n'avait souvent droit qu'à une seule chance, car une fois le cliché pris, la personne décampait sans demander son reste.

Leila Alaoui avait publié sur sa page Facebook un album de 16 photos issues de cette série, qu'elle ne terminera jamais:

Une grande portraitiste

A 33 ans seulement, Leila Alaoui avait déjà réalisé beaucoup de choses, toujours en rapport avec une problématique sociale ou bien la culture Maroc. Dans sa série No Pasara, elle s'interrogeait sur le sort de ces jeunes Marocains qui rêvent d'Occident, refoulés aux barrières de l'Europe. En 2008, ils avaient partagé leur quotidien avec elle. Ce travail était une commande de l'Union européenne.

Et des portraits, toujours beaucoup de portraits. Comme ces 40 artistes marocains qu'elle avait voulu faire connaître au monde. Même lorsqu'elle s'essayait au reportage, comme en 2013 avec Natreen, une plongée au cœur des camps de réfugiés syriens au Liban, ses photos montrent une grande proximité avec ses sujets. Elles forcent le spectateur à se rapprocher d'eux, à lire dans leur regard leurs interrogation, leur révolte ou leur détermination.

Revoir cette œuvre inachevée ne rend pas la mort de Leila Alaoui plus tragique que celle des 29 personnes qui ont été emportées avec elle, en revanche cela réveille d'autant plus le sentiment d'un effroyable gâchis.