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"Comment vais-je faire pour payer?": ces propriétaires qui angoissent face aux mesures anti-passoires thermiques

Les propriétaires de biens en copropriété devront parfois obtenir des accords pour réaliser des travaux de rénovation énergétique...

Les propriétaires de biens en copropriété devront parfois obtenir des accords pour réaliser des travaux de rénovation énergétique... - Unsplash

Les bailleurs propriétaires de logements énergivores s'inquiètent des futures interdictions qui pèsent sur eux et sur les obligations de rénovation induites avec des coûts relativement élevés.

Alors qu'un tiers des bailleurs pourraient arrêter de la location en raison des mesures d'interdiction de location de "passoires thermiques" selon un sondage de Particulier à particulier (PAP.fr), BFM Immo a interrogé des bailleurs inquiets.

Monique, 70 ans : "Même avec des aides, le reste à charge serait trop important"

Monique, 70 ans, retraitée et propriétaire d'un 80m² en location vide à Toulon, témoigne :

"J'ai acheté cet appartement en 2017 sans trop penser à l'étiquette du DPE. Noté E avant la réforme du diagnostic de performance énergétique, je me demande d'ailleurs si je ne vais pas me retrouver en F ou en G et donc dans l'obligation de rénover encore plus rapidement. Lorsque j'ai appris que je devrais faire des travaux de rénovation lourds pour continuer à louer, ça a été le coup de massue ! Ce logement est mon unique patrimoine. Je fais de l'investissement locatif pour avoir des compléments de revenus pour ma retraite qui n'est pas très élevée et pour aider mes enfants pour lesquels je ne veux pas devenir une charge en vieillissant.

Je ne peux absolument pas me démunir de mes économies pour ces travaux colossaux. Surtout qu'à mon âge, emprunter est particulièrement compliqué, même pour un crédit à la consommation. Le reste à charge serait trop important pour moi qui perçois 830 euros/mois avant imposition de ces revenus. Après impôts, il me reste environ 500 euros. Alors même avec des aides, je ne sais pas comment je vais faire car il faut aussi que je commence à regarder des maisons de retraite pour moi, et ça coûte cher! J'ai l'impression d'avoir un couteau sous la gorge.

J'hésite à vendre ce bien pour ne pas être embêtée dans les prochaines années. Même si je comprends la mesure de lutte contre les logements énergivores, c'est-à-dire tous les logements anciens disons-le clairement et pas uniquement les biens en location, je trouve qu'il s'agit d'une injustice pour les bailleurs petits propriétaires dont je fais partie. Je respecte scrupuleusement la loi, j'entretiens mon bien dès qu'il y a une réparation à faire, je n'applique pas un loyer au-dessus des niveaux que me communique l'ADIL chaque année. Et je suis vraiment angoissée par toute cette histoire. Si je devais faire des travaux, je devrais les répercuter sur le loyer, ce qui n'est pas franchement juste pour les locataires et pourrait même faire partir ceux qui sont en place. Comment vais-je faire pour payer? Je n'ai pas la possibilité de déduire quoi que ce soit de mes revenus locatifs pour payer moins d'impôts... Et si je vends, je vais perdre de l'argent, car les acquéreurs vont vouloir négocier en raison du DPE... Il faut laisser plus de temps aux bailleurs !".

Fabrice, 59 ans : "Ce n'est pas réalisable techniquement"

Fabrice, ingénieur de 59 ans possède 11 logements en location à Paris dont plusieurs notés F ou G. Pour lui, ces mesures vont dans le bon sens pour l'environnement, mais les travaux nécessaires pour changer d'étiquette ne sont pas toujours réalisables...

"Depuis l'annonce de cette loi, j'ai passé quelques nuits blanches... Ce n'est pas une question de budget pour moi, mais il faut être réaliste, ces travaux ne sont tout simplement pas réalisables dans ces délais. On va manquer de matériaux et d'artisans. Dans les recommandations du DPE, on préconise d'installer une pompe à chaleur dans un de mes studios sous les toits ou encore de condamner une fenêtre... Je vais vendre un de mes appartements pour financer les travaux que j'estime à 10.000 euros par logement avec un reste à charge de 6.000 euros par appartement. L'avantage que je peux avoir, c'est d'être sous le régime réel, ainsi je pourrai déduire le montant des travaux des revenus locatifs.

Et même si je trouve que la loi va dans le bon sens et que je ferai mon possible pour la respecter, je trouve que les recommandations son abracadabrantesques d'un point de vue technique et administratif. Car je ne suis même pas certain d'obtenir l'accord de la copropriété pour ces travaux... Pas plus celui de la mairie pour créer une ventilation par la façade ou le toit. J'ai contacté l'ADIL pour avoir des informations et des professionnels du service public FAIRE, mais je trouve que nous manquons encore cruellement d'informations."

Laurent, 58 ans : "Je ne pourrais changer d'étiquette sans des travaux de la copropriété "

Même constat pour Laurent, 58 ans, propriétaires de plusieurs appartements à Strasbourg, lassé des contraintes qui pèsent sur les bailleurs.

"Je trouve que ces mesures sont scandaleuses. C'est contraindre les propriétaires bailleurs et leur faire porter l'entière responsabilité de la rénovation thermique. Alors que nous ne pouvons pas imposer les travaux aux copropriétés. De plus, si je devais rénover tous mes appartements, cela me coûterait une fortune! Je vais probablement revendre les logements pour lesquels les travaux me demanderaient le plus d'investissement aussi bien en argent qu'en énergie. Je suis découragé.

Je ne peux pas déduire ces travaux de mes revenus et puis, il faut encore pouvoir avancer les sommes nécessaires et ce n'est juste pas possible. Je pense que c'est difficilement applicable. Sauf si les copropriétés vont dans ce sens et votent des rénovations par l'extérieur par exemple... De mon côté j'ai déjà du double vitrage dans tous les appartements et je ne vois pas comment je pourrais changer d'étiquette sans des travaux à l'échelle de la copropriété. Bref, on complique encore la vie du bailleur !".

Un calendrier précis

Sur les 4,8 millions de passoires thermiques en France, 1,7 millions sont des locations du parc privé selon les données du gouvernement. La loi Climat prévoit l'interdiction de location des logements classés G dès 2025 et dès 2028 pour les logements classés F. Les logements notés E seront par la suite rendus eux aussi impropres à la location à partir de 2034.

Les bailleurs de ces biens seront alors dans l'obligation de réaliser des travaux de rénovation énergétique pour améliorer leur étiquette énergétique: isolement par le toit, les murs intérieurs ou extérieurs, changement des fenêtres et porte, du système de chauffage... Gagner une note sur le DPE ne sera pas suffisant pour les biens classés F ou G.

Ces travaux qui coûtent assez cher malgré des aides disponibles (comme MaPrimeRénov') demandent parfois plusieurs semaines de chantier. Période pendant laquelle les locataires ne pourront pas toujours rester dans le logement. Et, si les travaux durent plus de 21 jours, le propriétaire est dans l'obligation d'accorder une baisse de loyer proportionnelle au locataire. Enfin, s'il ne réalise pas ces travaux, une fois les mesures en vigueur, le bailleur s'exposera à des poursuites de la part du locataire et pourra être contraint de réaliser les travaux.

Marion Marten-Pérolin