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Séries Mania: "Hannibal", "Star Trek"... Janice Poon, l'artiste qui imagine les plats "délicieusement hideux" des séries

La styliste culinaire Janice Poon.

La styliste culinaire Janice Poon. - Séries Mania

La styliste culinaire canadienne, qui a notamment travaillé sur "Hannibal", "Star-Trek: Discovery" ou "American Gods" est mise à l'honneur lors du festival Séries Mania. L'occasion pour elle de revenir sur ce métier peu connu du grand public.

Son nom ne vous dit peut-être rien et pourtant. Sans Janice Poon, de nombreuses séries n'auraient pas la même saveur. La Canadienne est connue dans le milieu pour chercher "la poésie dans l'assiette" à travers son métier de styliste culinaire, une profession mise en avant au festival Séries Mania dans l'exposition "L'Envers du décor".

"Je suis la personne qui crée la nourriture que vous voyez dans les séries ou les films. Faire de la nourriture pour une série, ce n'est pas comme faire de la nourriture pour sa famille. Vous ne le faites pas pour le goût ou les saveurs, mais pour accommoder les acteurs et les aider à entrer dans leur personnage", raconte la styliste culinaire à BFMTV.com.

La styliste culinaire Janice Poon.
La styliste culinaire Janice Poon. © Séries Mania

"Couvrir les cinq sens juste avec l'apparence"

Car le métier de styliste culinaire a plus à voir avec de l'organisation et de l'art que de la cuisine. Surtout pour Janice Poon, connue pour ses contributions à des séries de science-fiction ou horrifiques, notamment Hannibal, le véritable tournant de sa carrière.

"Il faut être au courant des restrictions alimentaires (des acteurs, NDLR), de l'ambiance des scènes, de ce que vous essayez de représenter. Il faut que la nourriture puisse rester dehors pendant des heures, il faut en avoir en grande quantité pour couvrir une scène avec plusieurs prises", énumère Janice Poon.

Car au final, "la nourriture doit couvrir les cinq sens juste avec l'apparence". "C'est pour cela que j'essaie de faire en sorte que la nourriture soit vraiment parlante, car les acteurs doivent réagir comme ils le feraient dans la situation qu'ils interprètent."

Pour ce faire, avant d'arriver au moment fatidique du tournage, tout commence avec le script. En le recevant, Janice Poon commence à décrypter l'ambiance de la scène. Que mangent les personnages et pourquoi? Le but est-il d'effrayer ou de montrer de l'affection?

"Je traduis cela dans la nourriture. Par exemple, la viande est souvent une incitation à l'agression. Les légumes avec des petites fleurs décoratives sont une invitation. Nous connaissons tous cette langue, nous n'avons juste pas de dictionnaire", sourit la styliste culinaire.

Des talents de peintre très utiles

Elle propose ensuite ses idées grâce à des sketchs, utilisant ses talents d'artiste-peintre. Une fois l'approbation du réalisateur donnée, "vous commencez à faire des achats et à vous inquiéter de ce qui va mal se passer (...) La pire chose qui puisse arriver, c'est d'être à court de ce que vous ne saviez pas qu'ils allaient vous demander", ajoute-t-elle, se remémorant de la fois où elle a dû créer une demi-douzaine d'huîtres en urgence... à l'aide de bananes.

"C'est comme des maths: quelles sont les quantités nécessaires, combien de personnages sont dans la scène, combien de prises seront requises, etc. Et on achète deux fois plus que ce dont on pense avoir besoin."

Mais Janice Poon n'a pas toujours été destinée au métier de styliste culinaire. Elle a grandi dans une petite ville du Canada où sa famille tenait plusieurs restaurants chinois. Malgré cette proximité avec le milieu culinaire, elle se tourne dans vers la publicité.

"En tant que directrice artistique, je travaillais beaucoup avec des marques alimentaires. J'ai vu un styliste culinaire et j'ai été fascinée, car je ne me rendais pas compte de tout ce qu'il fallait faire pour présenter la nourriture à l'écran comme on le souhaitait", se remémore-t-elle.

La Canadienne a surtout un œil artistique, ayant réalisé des études dans les arts. "Janice est une artiste complète. Aujourd’hui elle est styliste culinaire mais avant ça elle était décoratrice d’intérieur, couturière, elle est dessinatrice de livres pour enfant", raconte Charlotte Blum, curatrice de l'exposition l'Envers du décor, à BFMTV.com.

"C’est une vraie artiste, quand elle parle de son métier, elle est hyper passionnée, hyper cultivée. Elle a une connaissance de l’art, de la peinture folle."

"Hannibal", une expérience marquante

Ses qualités de peintre lui ont donné un sens aigu du design, de la couleur et des textures, lui permettant de savoir comment attirer l'oeil du spectateur. Des talents qu'elle a développés dans la série Hannibal, de Brian Fuller, sur la relation entre le célèbre tueur en série cannibale et l'un de ses patients, un jeune profiler du FBI.

"Hannibal a été l'expérience la plus incroyable que j'ai vécue dans l'industrie. C'est l'un de ces moments de la vie où l'on se dit 'c'est un tournant pour moi'. Je pense que c'est parce qu'ils ne pouvaient trouver personne d'autre. J'étais en pleine réécriture d'un livre pour enfants et l'offre est arrivée", se souvient Janice Poon.

La styliste culinaire garde en mémoire un "travail difficile", car la série n'avait pas beaucoup d'argent mais surtout une "expérience merveilleuse de coopération", grâce à l'ouverture d'esprit du showrunner Brian Fuller, avide de la créativité de ses équipes.

Un sketch de la styliste culinaire Janice Poon, pour une scène de l'épisode 13 de la saison 2 d'Hannibal.
Un sketch de la styliste culinaire Janice Poon, pour une scène de l'épisode 13 de la saison 2 d'Hannibal. © Janice Poon/ Blog Feeding Hannibal

Car Janice Poon a dû redoubler d'imagination pour créer les plats du serial killer cannibal: bras, jambes, cerveau, tout y est passé. "J'aime utiliser ce qui se rapproche le plus de la réalité. Heureusement pour moi, les cochons ont des organes très similaires aux humains, ils font presque la même taille", rigole la Canadienne ajoutant que "s'ils (les acteurs, NDLR) sont véganes, je dois changer cela".

Depuis, la styliste culinaire a continué à travailler pour des œuvres horrifiques ou de science-fiction, American Gods, Foundation, Star Trek: Discovery, Hemlock Grove... Un comble pour celle qui a peur des films d'horreur et n'en regarde jamais. "Mais il s'agit d'un genre où vous n'êtes pas limité, explique-t-elle. Personne ne vous dira 'il ne mange pas ça', parce que vous ne savez pas."

Une liberté créative qui convient à Janice Poon. Tout au long de sa carrière, elle a toujours voulu trouver un équilibre entre la beauté et le terrifiant, pour créer la "chose la plus délicieusement hideuse".

Marine Langlois