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Filets de pêche: des milliers de dauphins pêchés par accident chaque année en France

Image d'illustration -Un filet de pêche en nylon recyclé

Image d'illustration -Un filet de pêche en nylon recyclé - FRED TANNEAU / AFP

Dans le golfe de Gascogne, sur les côtes françaises, les pêches accidentelles sont la principale cause de mortalité des dauphins, devant les problèmes de pollution et de réchauffement climatique.

Depuis deux semaines, une baleine est coincée dans des filets au large de la ville japonaise de Taiji. Plusieurs ONG s'inquiètent que le cétacé meure de faim ainsi piégé, et cherchent à mobiliser l'opinion pour que les pêcheurs locaux "libèrent cette baleine, coupent les filets et la laissent partir", déclarait mercredi sur BFMTV Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France.

"Il faudrait aussi qu'elle devienne un emblême de cette catastrophe que sont les filets de pêche qui tuent des centaines de milliers de ses congénères chaque année", ajoute-t-elle. Car rien qu'en France, plusieurs milliers d'animaux marins s'échouent tous les ans sur les côtes, après avoir été pris accidentellement dans des filets de pêcheurs.

Les pêches accidentelles - un animal mourant après avoir été pris dans un filet qui n'avait pas pour but de le capturer - sont "la principale cause de mortalité des dauphins dans le golfe de Gascogne", déclare à BFMTV.com Hélène Peltier, biologiste à l'observatoire Pelagis, qui travaille sur ces échouages. Coincé sous l'eau par les filets, les dauphins, qui ont besoin de remonter respirer à la surface, meurent d'asphyxie.

Elle explique également que le nombre d'échouages "augmente de manière extrêmement importante" ces dernières années, sans que les scientifiques arrivent encore à étabir pourquoi. "Il n'y a pas tellement plus de bateaux, pas plus de dauphins et les méthodes de pêche n'ont pas beaucoup changé ces dernières années", assure-t-elle.

Des milliers d'animaux concernés sur les côtes françaises

"Au cours des 4 premiers mois de l’année 2018 les correspondants ont enregistré plus de 518 dauphins communs [échoués] et selon les examens établis, 63% des animaux examinables présentaient des lésions compatibles avec une mort par capture accidentelle dans un engin de pêche", explique un rapport de l'Observatoire de Pelagis. Sachant que les causes de la mort, "pour la plupart sont encore mal identifiées en raison de l’état de dégradation des carcasses".

Et ces échouages corrélés à l'activité de la pêche ne sont que la partie visible de l'iceberg, explique Hélène Peltier: "80% des animaux qui meurent en mer coulent ensuite", il est donc difficile voire impossible de les retrouver.

L'observatoire a élaboré un modèle permettant d'estimer le nombre de dauphins morts en mer après des prises accidentelles de pêche: 5000 à 10.000 animaux sont concernés chaque hiver sur la côte Atlantique selon eux.

Un autre modèle d'évaluation des dégâts causés par la pêche accidentelle existe, explique à BFMTV.com Thomas Rimaud, chargé de mission à l'Organisation des Producteurs des Pêcheurs de Bretagne. Avec le programme Obsmer des observateurs scientifiques sont déployés sur différents bateaux et examinent l'ensemble des captures de pêche, y compris les captures accidentelles. Ils évaluent ensuite ce qu'elles peuvent représenter pour toute une flotte de pêche.

Avec ce modèle, "on arrive à 4000 captures accidentelles par an sur la côte Atlantique Nord-Ouest", explique Thomas Rimaud, pour qui "le chiffre véritable se retrouve certainement entre les deux méthodes".

"L'océan est un terrain miné"

Dans le monde "les estimations c'est un peu plus de 300.000 mamifères marins - décompte n'incluant pas les requins, les tortues, ou encore les oiseaux - qui sont tués par les filets de pêche", déclare Lamya Essemlali. "Aujourd'hui, c'est devenu la première cause de mortalité, devant la pollution des océans".

Elle explique que rien que dans le golfe de Gascogne, les bateaux français lâchent chaque jours des dizaines de milliers de kilomètres de filets, "l'océan est un terrain miné, on place des pièges mortels sur des zones où vivent ces espèces, et on considère que ce sont des dommages collatéraux".

En plus des filets de pêche en activité, les ONG pointent régulièrement du doigt les "filets fantômes", du matériel perdu ou abandonné qui reste dans les fonds marins, et en plus de le polluer, font des victimes dans la faune. "En 2018, dans les eaux mexicaines, près de 300 tortues marines ont été retrouvées mortes lors d’un seul incident car elles s’étaient emmêlées dans des filets fantômes", rappelle par exemple Greenpeace.

Les filets en nylon "sont très résistants, c'est un piège mortel pendant des années", déclare Lamya Essemlali. "La maille est faite pour piéger, si un poisson se prend dedans, plus il tire, plus il est coincé", abonde à BFMTV.com François Chartier, chargé de la campagne océan de Greenpeace France. Il explique également que les requins sont "énormément" touchés par ces accidents de filets, mais une fois morts, ils coulent, ce qui rend leur mortalité invisible.

"La capture accidentelle d'un mamifère marin ne fait plaisir à personne"

"La capture accidentelle d'un mamifère marin ne fait plaisir à personne. L'objectif pour les professionnels et pour tout le monde, c'est de limiter ces captures accidentelles", déclare Thomas Rimaud. Mais "quand on a une activité de pêche et une population de dauphins, évidemment par accident, il y a des captures", explique-t-il, assurant "qu'à l'échelle individuelle des navires, c'est un événement très rare".

Il raconte que depuis l'augmentation des échouages en 2017, différents systèmes sont à l'étude pour éviter les captures accidentelles. Les épisodes de mortalité ces dernières années sur la côte Atlantique "ont amené les professionnels de la pêche à se mobiliser pour trouver des solutions permettant de réduire les captures accidentelles", écrivait en janvier 2020 le Comité national des pêches (CNPMEM).

Le principal outil actuellement mis en place est le pinger, un dispositif de dissuasion acoustique ayant pour but d'éloigner les animaux marins des bateaux de pêche, et d'éviter ainsi les pêches accidentelles. Cette méthode a été testée sur des chalutiers pélagiques - des bateaux tirant un filet appelé "chalut" - en 2018, et a démontré une diminution de 65% des captures accidentelles sur ces bateaux, selon les Pêcheurs de Bretagne. Depuis 2019, les pingers sont obligatoires sur les chalutiers pélagiques de plus de 12 mètres, entre le 1er janvier et le 30 avril, dans le golfe de Gascogne.

"Aujourd’hui, 40 chalutiers sont équipés de ces pingers. Ils seront 80 en 2021. Il est prévu qu’au moins 25% des navires soient contrôlés à compter de 2021", écrit le ministère de la Mer.

Mais cette méthode ne convainc pas tous les scientifiques et ONG. Hélène Peltier note que même avec la mise en place de cette méthode les pêches accidentelles ont continué d'augmenter, et souligne qu'il "s'agit d'un son très intense pour les dauphins". "Ces systèmes n'émettent qu'en présence des dauphins, et à l'entrée du chalut", assure Thomas Rimaud.

"Interdire les méthodes de pêche non-sélectives"

Une explication qui ne satisfait pas les ONG. "Cela créé une vaste zone d'exclusion dans la zone de pêche des dauphins, et les repousse dans des zones sans poisson", note par exemple Lamya Essemlali. Pour elle, le pinger n'est pas une solution miracle, et pour réellement faire chuter le nombre de pêches accidentelles, il faut "interdire les méthodes de pêche non sélective dans les zones où l'on trouve des espèces protégées", comme c'est le cas du dauphin.

Avec le chalutage "on prend tous les poissons qui nagent, c'est une pêcherie mixte, et il peut y avoir des volumes monstrueux", explique François Chartier qui demande également à ce que soit privilégiée une pêche plus sélective avec des techniques artisanales, évitant la surpêche "qui vide nos océans".

En juillet, Sea Shepherd a fait condamner la France par la Commission Européenne pour "la carence de l’État dans la protection des mammifères marins sur la côte atlantique". L'ONG exige aujourd'hui des caméras embarquées sur les navires "pour documenter l'impact réel de la pêcherie".

Actuellement, plusieurs mesures technologiques pour éviter les captures accidentelles sont testées au niveau européen, explique Hélène Peltier. En attendant que l'une d'elles fasse ses preuves, une des solutions d'urgence proposée actuellement par les sicentifiques pour préserver la faune est une fermeture ponctuelle de la pêche.

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV