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Vaccins: pourquoi l'Europe est à la traîne sur les Etats-Unis et le Royaume-Uni

Centre de vaccination aux Pays-Bas.

Centre de vaccination aux Pays-Bas. - AFP

Validation trop tardive, aversion au risque, peu de moyens mis dans le développement des vaccins, malchance, campagnes de vaccination désordonnées... Les raisons sont nombreuses pour expliquer le ratage européen.

"Joe Biden a annoncé 100 millions de vaccinés (aux Etats-Unis), pour nous, se sera dans trois semaines." Interrogé ce dimanche sur TF1, le Commissaire européen à l'industrie Thierry Breton a été forcé de reconnaître le retard dans la campagne de vaccination au sein de l'Union. Mais selon lui il ne s'agit que d'un retard à l'allumage.

"Nous avons validé [le vaccin] quatre semaines après les Britanniques et trois semaines après les Américains, assure Thierry Breton. Nous retrouvons cette différence dans la dynamique actuelle."

En date du 21 mars, sur 100 Européens adultes, près de 13 personnes en moyenne ont reçu au moins une dose d'un des trois vaccins autorisés dans l'Union selon le site Ourworldindata. Aux Etats-Unis, ce nombre est actuellement de plus de 37. Et le Royaume-Uni vient de dépasser les 44 (même s'il s'agit principalement de premières doses pour ce dernier). A ce rythme-là, ces deux dernières nations pourront lever les restrictions dans quelques semaines quand une partie de l'Europe sera encore confinée.

Les Etats-Unis avancent ainsi à grands pas vers l'immunité collective. Le pays a annoncé la semaine dernière avoir dépassé les 100 millions de doses injectées. Et ce sont encore 6 millions de piqûres qui ont été réalisées ces 48 dernières heures. Le Royaume-Uni a de son côté battu son record de vaccination ce samedi avec près de 850.000 doses administrées en une journée. Le même jour, la France piquait 56.417 personnes selon le ministère de la Santé.

"C'est la première fois que nous vaccinons plus de 3 millions de personnes deux jours d'affilée", s'est même félicité sur Twitter Cyrus Shahpar, le responsable de l'information Covid à la Maison Blanche. Des chiffres dont l'Europe rêve.

Est-ce un simple retard de quelques semaines comme l'affirme Thierry Breton? Il semble que ce ne soit pas le cas. Il y a quatre semaines, 26,8% des adultes avaient reçu une dose de vaccin (plus du double des Européens actuellement). Et il y a trois semaines aux Etats-Unis, c'était 22,5% des adultes américains qui avaient été piqués, soit près de 10 points de plus que la part des Européens en date du 21 mars.

S'il n'explique pas tout, il y a pourtant bien eu un retard à l'allumage de la part des pays européens. En négociant au nom des 27, la Commission européenne a certes pu payer ses vaccins moins cher mais au prix d'une lenteur plus importante, la Commission ne prenant aucune décision sans l'accord des 27 pays membres sur le choix des vaccins. Quand les autres négociateurs n'avaient pas cette contrainte.

Surtout, l'UE a dû composer avec le scepticisme anti-vaccins des populations de certains pays (comme de la France par exemple), ce qui l'a conduit à exiger que la responsabilité en cas d'échec ou d'effets secondaires soit partagée entre les Etats et les laboratoires fournisseurs. Ce que n'ont pas fait les Etats-Unis. Les débats ont été âpres et longs avec les juristes des laboratoires américains qui ne souhaitaient pas engager leur responsabilité. Si l'UE a obtenu gain de cause et ne pourra pas être poursuivie, elle s'est toutefois engagée sur des garanties financières. Et accessoirement a perdu quelques précieuses semaines.

C'est pour cette même raison que l'Union a refusé les procédures d'urgence de validation des vaccins comme l'ont fait le Royaume-Uni ou les Etats-Unis pour les premiers vaccins. Si l'Agence européenne du médicament l'avait fait, cette procédure aurait exonéré les laboratoires de leur responsabilité.

Un financement insuffisant

De nombreuses craintes initiales donc, et une volonté farouche de se protéger expliquent le retard initial des 27.

Mais il n'explique pas la lenteur actuelle. Car si l'UE n'est pas partie à point, elle n'a pas pour autant couru plus vite. Le 16 mars, ce sont ainsi 69,5 millions de doses qui ont été livrées à l'Union Européenne selon les données de la Commission Européenne pour une population de plus de 447 millions d'habitants. Contre 157 millions de doses aux Etats-Unis qui ne comptent que 330 millions d'habitants.

Si les approvisionnements ont été en deçà des attentes de chaque pays (en dehors d'Israël), c'est en Europe que les ruptures d'approvisionnement ont été les plus importantes. Si l'UE a en partie joué de malchance dans la course aux vaccins avec aucun laboratoire européen pionnier dans la course aux vaccins, elle n'a aussi peut-être pas assez mis les moyens dans leur développement et n'est ainsi pas la priorité des laboratoires.

"Le financement de l'UE s'est également révélé insuffisant, prévenait déjà en janvier Guntram Wolff, le directeur du think tank bruxellois Bruegel dans le Guardian. La stratégie vaccinale de l'UE de l'année dernière a alloué 2,7 milliards d'euros aux accords d'achat anticipé, à la recherche et à la capacité. Celui-ci a été augmenté de 1,09 milliard d'euros en septembre. Mais ces chiffres sont modestes par rapport aux 18 milliards de dollars fournis par les États-Unis dans le cadre de son "Operation Warp Speed". Les bas prix d'achat de l'UE par vaccin ont peut-être encore ralenti les livraisons."

Concédant une certaine naïveté, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a confié seulement fin janvier à Thierry Breton la mission d'orchestrer la production industrielle des vaccins sur les territoires. Ce dernier s'entretient depuis tous les matins avec les présidents des grands laboratoires Pfizer, Moderna et AstraZeneca.

"Nous avons été trop optimistes quant à la production de masse, reconnaissait le 10 février dernier Ursula von der Leyen devant les députés européens. Et peut-être avons-nous eu aussi trop de certitudes sur le fait que les commandes seraient effectivement livrées dans les temps."

Des vaccins dans les frigos

Si l'Europe a sa part de responsabilité, les Etats ont aussi la leur avec la campagne de vaccination. Si les pays de l'UE ont fait des progrès, les débuts ont été difficiles. Ainsi début février, à peine 54% des vaccins reçus en Europe avaient été administrés quand ce taux monte à 80% aux Etats-Unis. Certes, depuis les pays européens ont affiné leur logistique et le taux est monté à 73%, il reste toutefois encore inférieur aux taux américains et britanniques.

Et cette défaillance s'explique principalement par le retard d'administration du vaccin d'AstraZeneca dont les taux d'utilisation sont très loin de ceux de Pfizer et Moderna. Personnel soignant frileux en France, tergiversation autour de l'efficacité du vaccin, changement dans les prescriptions (réservé aux moins de 65 ans, puis ouvert à tous avant d'être conseillé au plus de 55 ans...), suspension de la campagne après les cas de thromboses... Résultat: des centaines de milliers de doses dorment dans des frigos alors que certains circuits comme les pharmacies ne sont plus ou presque plus livrés depuis une semaine.

"C'est la cacophonie générale sur ce vaccin, se désespère Pascal Fontaine, le directeur commercial des Pharmacies Lafayette. On avait déjà du retard et on a perdu une semaine de plus avec la suspension le temps de tout remettre en branle. Les pharmacies devraient recevoir 498.000 doses cette semaine, mais pas avant mercredi pour la plupart. Il faut surtout refaire le travail: ré-expliquer sans cesse que ce vaccin est sûr, rassurer..."

Et si le taux de confiance des Français pour le vaccin anglo-suédois a chuté à 20% la semaine dernière, ce responsable d'officines est toutefois confiant pour l'avenir.

"Nos pharmaciens pensent que ça finira par repartir, assure Pascal Fontaine. Quand on voit les bars et les terrasses qui ouvrent à New York ou en Israël, on sent bien que l'envie d'en sortir prendra le pas sur les réticences."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco