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Les coulisses du bras de fer entre Thales et Atos

Depuis un an, le groupe de défense rôde autour du spécialiste de l’informatique.

Depuis un an, le groupe de défense rôde autour du spécialiste de l’informatique. - AFP

Depuis un an, le groupe de défense rôde autour du spécialiste de l’informatique. Atos a tenté de se tourner vers Orange. Il a mis en place un plan anti-OPA contre Thales.

"Patrice Caine n’abandonnera jamais son projet de racheter la cybersécurité d’Atos". L’un de ses plus proches collaborateurs est formel sur la totale détermination du PDG de Thales. Le groupe de défense a commencé à rôder autour d’Atos en 2019. A l’époque, les deux groupes ont bataillé pour le rachat de Gemalto, spécialiste des cartes à puces, finalement remporté par Thales. Depuis cette acquisition, son PDG a opéré son virage stratégique vers la sécurité informatique et s’intéresse à la "cyber" d’Atos.

Il a commencé à fourbir ses armes il y a un an, lorsqu’Atos a entamé sa descente aux enfers. A l’été 2021, le groupe a annoncé un effondrement de 30% de ses marges en raison du déclin de son activité historique de gestion de services informatiques pour les entreprises. Dès la rentrée, des discussions informelles ont eu lieu entre Thales, Atos et Orange. Les patrons des trois groupes ont échangé en bilatérale.

Le patron d’Atos de l’époque, Elie Girard, a refusé de vendre l’activité de cybersécurité à son rival. Le PDG de Thales a alors discuté avec celui d’Orange pour tester son appétit et envisager de racheter Atos ensemble. Les deux patrons ont rapidement conclu qu’ils n’étaient pas alliés, mais concurrents.

Elie Girard était en revanche plus ouvert aux réflexions du PDG d’Orange avec qui il a longtemps travaillé. Stéphane Richard envisageait d’apporter l’activité Orange Business Service (OBS), qui fournit aussi du cloud et de la cybersécurité, à celle d’Atos. En échange de quoi Orange serait devenu son actionnaire de référence. Mais ses difficultés financières ont empêché les deux groupes d’aller plus loin.

Un plan anti-OPA contre Thales

Thales est alors passé à l’action en début d’année après la deuxième alerte comptable d’Atos. Ses banquiers ont proposé au nouveau directeur général d’Atos, Rodolphe Belmer, de discuter d’un rachat. Le PDG Patrice Caine était prêt à s’allier au fonds américain Bain qui venait de racheter un autre acteur des services informatiques : Inetum. Le plan prévoyait que l’ancien GFI Informatique reprenne les activités historiques d’Atos pour, selon nos informations, environ 5 milliards d’euros.

Thales a proposé de payer 2,7 milliards d’euros pour la cybersécurité, selon Reuters. "Rodolphe Belmer était prêt à discuter avec nous mais son conseil d’administration lui a interdit" se plaint une source proche de Thales.

Le président d’Atos, était persuadé que Patrice Caine reviendrait à l’attaque. "Il craignait une attaque de Thales et a monté un plan anti-OPA", explique un bon connaisseur du groupe. Bertrand Meunier a été pendant plus d’un an administrateur de Suez qui a lutté contre l’offensive de Veolia. Il y a rencontré Diane Galbe qui pilotait la stratégie de défense. Il l’a faite venir au même poste chez Atos pour préparer la riposte en cas d’OPA de Thales.

Création d’une fondation

Selon plusieurs sources, la direction a alors étudié la création d’une fondation pour y loger ses activités dans le cloud et la cybersécurité et les protéger de leur proie. La même mesure avait été mise en place par Suez contre Veolia. Mi-février, Atos a également sollicité l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour forcer Thales à démentir la préparation d’une OPA. Une tactique destinée à gagner du temps.

En effet, la règlementation impose de tenir cet engagement pendant six mois. Thales a évité la déclaration publique. Mais a quelques semaines des élections présidentielles, il a fait passer le message qu’il "ne lancerait pas d’assaut et laisserait le gouvernement décider" confirme un proche du PDG. Une pause pour mieux repartir à l’attaque? Patrice Caine ne renonce pas.

Au contraire. Il y a dix jours, Atos a dévoilé son plan stratégique visant à sa scission en deux entités, dont une pour la cybersécurité que vise Thales. Un démantèlement et le départ surprise du patron, Rodolphe Belmer, ont fait plonger le cours de Bourse de 40% en quelques jours. Au point que le gouvernement français s’est dit "attentif" à l’avenir d’Atos. La cybersécurité est un actif de souveraineté nationale. Un argument que martèle Thales pour convaincre le gouvernement de soutenir son projet.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business